LA
PRINCESSE DISPARUE
L'EMPEREUR ET LE ROI
L'INFIRME
LE ROI QUI DECRETA LA CONVERSION
LE PRINCE DE PIERRES PRECIEUSES
LE ROI HUMBLE
LA MOUCHE ET L'ARAIGNEE
HISTOIRE D'UN RAV ET DE SON FILS UNIQUE
L'HISTOIRE DE 'HACHAM ET DE TAM
LE MARCHAND ET LE PAUVRE
LE FILS DU ROI ET LE FILS DE LA SERVANTE QUI FURENT ECHANGES
LE BAAL TEFILAH
LES SEPT MENDIANTS
LA PRINCESSE DISPARUE
En chemin, j'ai raconté une histoire qui a provoqué chez tous ceux qui l'ont entendue une réflexion sur la Téchouvah.
Il était une fois
un roi qui avait six fils et une fille. Cette fille lui était très
chère, il l'aimait beaucoup et se trouvait souvent en sa compagnie. Un
jour qu'ils étaient ensemble, il se mit en colère contre elle
et ces mots s'échappèrent de sa bouche : " Que le 'Pas Bon'
t'emporte! "
Le soir venu, elle regagna sa chambre. Au matin, on ne la trouva pas. Son père
fut très triste et la chercha partout. Voyant cela, le Vice-Roi se présenta
devant le roi et demanda qu'on lui donnât un serviteur et un cheval, de
l'argent pour ses dépenses et il partit à la recherche de la princesse.
Il la chercha pendant très longtemps et finit par la retrouver.
Voici comment :
Il partit longtemps. Il
la chercha dans les déserts, les champs et les forêts. Alors qu'il
traversait un désert, il remarqua un chemin sur le côté
de sa route. Il se dit : " Je voyage depuis si longtemps et pourtant je
ne peux la retrouver. Je vais emprunter ce chemin et j'atteindrai peut-être
un endroit habité. "
Il suivit le chemin et arriva en vue d'un château. Autour du château,
qui était très beau, se tenaient des soldats bien rangés.
Il craignait que les soldats ne l'empêchent d'y pénétrer,
mais il se risqua à essayer. Il laissa son cheval, se dirigea vers le
château, et on le laissa entrer.
Il alla d'une pièce à l'autre et personne ne se mit en travers
de sa route. Il arriva à un palais où trônait un roi couronné.
Autour du roi se tenaient des soldats ainsi qu'un grand nombre de musiciens.
Tout était magnifique. Personne ne lui posa de questions, pas même
le roi. Apercevant des mets succulents, il en mangea puis partit s'allonger
dans un coin pour voir ce qui allait se passer.
Il entendit le roi ordonner que la reine vint ; ce qui fut fait. Lorsque la
reine arriva, des cris d'allégresse retentirent et les musiciens jouèrent
et chantèrent. On lui installa un siège et on la fit asseoir à
côté du roi. En la voyant, le Vice-Roi reconnut la princesse. Celle-ci
promena son regard sur la salle et remarqua quelqu'un allongé dans un
coin.
Elle le reconnut, se leva, se dirigea vers lui, le toucha et lui demanda :
- Me connais-tu ?
- Oui, je te connais. Tu es la princesse qui a disparu. Que fais-tu ici ?
- Je suis ici à cause des paroles qui ont échappé à
mon père. Et l'endroit du " Pas Bon ", c'est ici.
Il lui dit alors que son père était très triste et l'avait
cherchée durant de nombreuses années. Il lui demanda :
- Comment puis-je te faire sortir d'ici ?
- Tu ne pourras le faire que si tu choisis un endroit où rester pendant
un an et où tu devras te languir à cause de moi. Quand tu auras
le temps, aies de la nostalgie, espère et souhaite me sortir d'ici. Jeûne.
Le dernier jour de l'année, tu jeûneras aussi et tu ne dormiras
pas pendant vingt-quatre heures.
Il partit et fit ce qu'elle lui avait dit.
A la fin de l'année,
le dernier jour, il jeûna et ne dormit point. Il se leva et se rendit
chez la princesse pour la délivrer. Il aperçut un arbre sur lequel
poussaient des pommes magnifiques. Il en eut très envie et en mangea.
Dès qu'il eut mangé une pomme, il tomba et le sommeil s'empara
de lui. Il dormit très longtemps ; son serviteur essaya de le réveiller,
mais en vain.
Puis il s'arracha au sommeil et demanda au serviteur : " Où suis-je?
" L'autre lui raconta toute l'histoire : " Tu dors depuis longtemps,
depuis tant d'années. Quant à moi, j'ai vécu de fruits.
"
Il eut beaucoup de peine.
Il partit et trouva la princesse. Elle se plaignit beaucoup et fut très
triste : " A cause d'un jour, tu as perdu, parce que tu n'as pas su te
retenir et que tu as mangé la pomme. En effet, si tu étais venu
ce jour-là, tu m'aurais délivrée. Il est vrai que ne pas
manger est très difficile, en particulier le dernier jour, car c'est
à ce moment que le Yetser Hara (le mauvais penchant) est au comble de
sa force. C'est pourquoi tu dois à nouveau choisir un endroit et y rester
un an. Mais le dernier jour, tu pourras manger. Cependant, tu ne dormiras point,
et tu ne boiras pas de vin afin de ne pas t'endormir, car l'essentiel est le
sommeil. "
Il partit et obéit à ce qu'elle avait dit.
Le dernier jour, il repartit. Il vit une source qui coulait et dont la couleur
de l'eau était rouge. Il demanda à son serviteur : " As-tu
vu ? C'est une source, ce devrait être de l'eau mais sa couleur est rouge
et son odeur est celle du vin. " Il goûta un peu de la source. Aussitôt
il tomba et s'endormit pour longtemps, soixante-dix ans.
De nombreux soldats passèrent par là avec leurs chariots ; le
serviteur se cacha pour ne pas être vu. Puis vint un chariot où
se tenait la princesse. Elle s'arrêta près du Vice-Roi et descendit.
Elle s'assit à côté de lui, le reconnut et tenta de le réveiller,
mais en vain. Elle commença à le plaindre : " Après
tant d'efforts, tant de peine, après tant d'années pendant lesquelles
tu as souffert et souffert pour pouvoir me délivrer, voici qu'à
cause d'un jour où tu aurais pu me délivrer, tu as tout perdu.
" Elle pleura abondamment et reprit : " Quel dommage pour toi et pour
moi ! Je suis ici depuis si longtemps et ne puis sortir. " Puis elle prit
le foulard qui recouvrait sa tête, écrivit dessus avec ses larmes
et le posa à côté de lui. Elle se releva, remonta dans le
chariot et s'éloigna.
Plus tard, il se réveilla et demanda à son serviteur : "
Où suis-je donc? " L'autre lui raconta toute l'histoire. Tant de
soldats étaient passés, il y avait eu un chariot ; elle avait
pleuré sur son sort et s'était lamentée : " Quel dommage
pour toi et pour moi ! "
Pendant ce temps, le Vice-Roi regardait autour de lui et aperçut le foulard.
Il demanda au serviteur : " D'où vient ceci ? " L'autre répondit
: " Elle a écrit dessus avec ses larmes et l'a posé ici.
"
Il prit le foulard et le tint en face du soleil. Il distingua des lettres et
lut ce qui était inscrit, ses pleurs et ses lamentations. Il y était
écrit qu'elle n'habitait plus dans le même château et qu'il
devait à présent chercher un château de perles sur une montagne
d'or, " là tu me trouveras. " Laissant son serviteur, il partit
seul à sa recherche.
Il marcha et la chercha de nombreuses années. Etant expert en cartes,
il réfléchit au fait qu'un château de perles et une montagne
d'or ne se trouvaient certainement pas dans un endroit habité. "
J'irai donc chercher dans les déserts. " Et il partit à sa
recherche dans les déserts durant de nombreuses années.
Un jour, il vit un homme
très grand, d'une taille surhumaine, et qui portait un gros arbre. L'homme
demanda :
- Qui es-tu ?
- Je suis un homme, répondit-il.
- Cela fait longtemps que je vis dans le désert et je n'y ai jamais vu
d'hommes, s'étonna le géant.
Le Vice-Roi lui raconta toute son histoire et lui dit qu'il cherchait une montagne
d'or et un château de perles. L'autre lui répondit que cela n'existait
certainement pas et il le dissuada de chercher, ajoutant :
- On t'a sûrement raconté des sottises, car de telles choses n'existent
pas.
- Cela existe, c'est sûr, cela doit se trouver quelque part, répondit
le Vice-Roi en pleurant
L'homme sauvage le dissuada de chercher, disant :
- On t'a raconté des sottises !
- Cela existe sûrement quelque part, répondit le Vice-Roi.
- A mon avis, ce sont des sottises, mais puisque tu insistes, je vais t'accorder
une faveur. Je règne sur les bêtes sauvages et je vais les appeler.
Elles parcourent le monde entier et peut-être l'une d'elles connaît-elle
la montagne et le château.
Il convoqua toutes les bêtes sauvages, grandes et petites, et les interrogea.
Elles répondirent toutes qu'elles n'avaient jamais vu de telles choses.
Il lui dit :
- Tu vois bien qu'on t'a raconté des bêtises. Ecoute-moi, retourne-t-en
car tu ne trouveras certainement pas de telles choses qui n'existent nulle part.
Le Vice-Roi insista encore et encore :
- Cela existe certainement.
- J'ai un frère dans le désert qui règne sur tous les oiseaux.
Peut-être savent-ils, étant donné qu'ils volent haut dans
les airs. Peut-être ont-ils vu la montagne et le château. Va voir
mon frère et dis lui que c'est moi qui t'envoie.
Il se mit en route et après
de nombreuses années, il rencontra à nouveau un géant qui
portait lui aussi un arbre. Le géant lui posa la même question
que le premier. Il lui répondit, raconta toute son histoire et dit que
c'était son frère qui l'envoyait. L'autre essaya à son
tour de le dissuader de chercher, disant que de telles choses n'existaient pas.
Mais le Vice-Roi l'implora :
- Cela existe sûrement.
- Je règne sur tous les oiseaux. Je vais les appeler ; peut-être
savent-ils quelque chose.
Il les appela et les interrogea tous, petits et grands. Ils répondirent
à l'unanimité qu'ils ne savaient rien de la montagne et du château.
- Tu vois, cela n'existe nulle part. Ecoute-moi, retourne-t-en, car cela n'existe
pas.
Le Vice-Roi insista beaucoup et dit :
- Cela existe certainement quelque part !
- Plus loin dans le désert vit mon frère. Il règne sur
tous les vents qui parcourent le monde. Peut-être savent-ils, lui répondit
l'autre.
Il partit à sa recherche
pendant de nombreuses années. A nouveau il rencontra un géant
qui portait un gros arbre et l'interrogea. Il lui raconta toute l'histoire.
Ce géant, lui aussi, le dissuada de chercher mais le Vice-Roi l'implora.
Alors, l'autre lui dit qu'il lui accorderait une faveur. Il allait convoquer
tous les vents et les interroger. Il les appela et tous les vents arrivèrent.
Il les questionna tous. Aucun ne connaissait la montagne et le château.
Le géant dit au Vice-Roi :
- Tu vois qu'on t'a raconté des sottises.
- Je sais que cela existe, répondit le Vice-Roi en pleurant abondamment.
Cependant, un vent venait d'arriver. Le gouverneur des vents le gronda :
- Pourquoi es-tu en retard J'avais ordonné à tous les vents de
venir ! Pourquoi n'es-tu pas venu avec eux ?
- Je suis en retard parce que j'ai dû transporter une princesse vers un
château de perles sur une montagne d'or, répondit le vent.
Le Vice-Roi fut très content d'avoir mérité d'entendre
ce qu'il désirait entendre. Le gouverneur des vents demanda au vent :
- Qu'y a t il là-bas ?
- Des choses précieuses. Là-bas, tout est précieux, répondit-il.
Alors, le gouverneur des vents dit au Vice-Roi :
- Puisque cela fait si longtemps que tu la cherches, que tu as fait tant d'efforts
et que tu auras peut-être besoin d'argent, je vais te donner un vase ;
si tu y plonges la main, tu en retireras de l'argent.
Puis il donna l'ordre au vent de le conduire là-bas. Un vent de tempête
se leva et emporta le Vice-Roi jusqu'à la porte où se tenaient
des soldats. Ils ne voulurent pas le laisser entrer dans la ville. Il plongea
la main dans le vase et en sortit de l'argent. Il soudoya les gardes et entra
dans la ville. C'était une belle ville.
Il se rendit chez un homme riche et paya la pension car il devait y rester quelque
temps. En effet, il lui fallait toutes les ressources de son intelligence pour
délivrer la princesse.
Et le Rebbe (Rabbi Na'hman) ne nous a pas raconté comment il la délivra. A la fin, il la délivra. Amen. Sélah.
L'EMPEREUR ET LE ROI
Il était une fois
un empereur qui n'avait pas d'enfant, et un roi qui, lui non plus, n'avait pas
d'enfant. L'empereur décida de parcourir le monde, s'étant dit
qu'il trouverait peut-être quelque conseil ou quelque remède à
son problème. Quant au roi, il décida, lui aussi, de parcourir
le monde.
Le roi et l'empereur se rencontrèrent dans une auberge, mais ils ne se
connaissaient pas. Cependant, l'empereur reconnut le roi d'après ses
manières royales. Il l'interrogea et le roi lui avoua effectivement son
identité. Lui aussi avait remarqué les manières royales
de son interlocuteur et l'empereur confirma son impression. Ils se racontèrent
le but de leur voyage. Ils convinrent que si à leur retour leurs épouses
avaient, qui une fille, qui un garçon, ils marieraient les enfants l'un
à l'autre.
L'empereur rentra chez lui et eut une fille ; le roi rentra chez lui et eut
un garçon. Mais l'arrangement fut oublié. L'empereur envoya sa
fille étudier, et le roi envoya son fils étudier. Les deux enfants
arrivèrent chez un précepteur et tombèrent amoureux l'un
de l'autre. D'un commun accord, ils décidèrent de se marier. Le
prince prit une bague, la passa au doigt de la princesse et ils s'unirent. Plus
tard, l'empereur envoya chercher sa fille et la fit ramener chez lui. Le roi
envoya chercher son fils qu'il fit ramener chez lui.
On fit un arrangement de mariage pour la fille de l'impératrice, mais
celle-ci n'en voulut point, à cause de son lien avec le prince. Quant
à lui, il éprouvait beaucoup de nostalgie pour elle. La princesse
était toujours triste. L'empereur lui fit visiter sa cour, ses palais,
lui montra sa magnificence mais la princesse demeurait toujours aussi triste.
Quant au prince, il éprouvait une si profonde nostalgie pour elle qu'il
finit par en tomber malade.
Lorsqu'on lui demandait : " Pourquoi es-tu malade ? " il ne voulait
pas répondre. On dit à son serviteur : " Peut-être
réussiras-tu à le faire parler " ? Le serviteur répondit
: " Je sais ". Il avait accompagné le prince chez le précepteur
et savait de quoi il souffrait. Il leur dévoila l'histoire. Le roi se
souvint alors de l'arrangement qu'il avait conclu bien longtemps auparavant
avec l'empereur. Il demanda par écrit à l'empereur d'organiser
les préparatifs du mariage, car le pacte avait été conclu
depuis longtemps. Mais l'empereur ne voulait plus de cet arrangement. Cependant,
comme il ne souhaitait pas froisser le roi, il lui envoya une lettre dans laquelle
il lui demandait de lui envoyer son fils, afin de voir s'il était capable
de diriger les affaires d'un pays.
Le roi envoya son fils chez
l'empereur qui l'installa dans une chambre. Il lui fournit des documents relatifs
aux affaires de l'état afin de tester ses capacités à diriger
le pays. Le prince se languissait de voir la princesse, mais il lui était
impossible de la rencontrer. Un jour, tandis qu'il se promenait le long d'un
mur de miroirs, il aperçut la princesse et s'évanouit. Elle se
rendit auprès de lui, lui redonna courage et lui déclara qu'elle
ne voulait pas d'autre parti que lui à cause du lien qui les unissait.
Il lui dit alors : " Que faire ? Ton père n'est pas d'accord ".
Elle lui répondit que, quoiqu'il en fût, elle resterait quand même
avec lui. Et ils décidèrent de partir sur les mers. Ils achetèrent
un navire et partirent loin sur les mers.
Ils voguèrent, puis voulurent accoster. Ils arrivèrent en vue
d'un rivage où se dressait une forêt. Ils débarquèrent
et pénétrèrent dans la forêt. La princesse enleva
sa bague qu'elle donna au prince et s'étendit pour dormir. Lorsque le
prince vit qu'elle allait se réveiller, il posa le bijou près
d'elle. Puis ils revinrent au navire. Alors, la princesse se souvint qu'ils
avaient oublié la bague dans la forêt et envoya le prince la récupérer.
Il partit mais ne put retrouver l'endroit. Il avança plus loin mais ne
trouva pas la bague. Il chercha d'un endroit à l'autre et finit par se
perdre, sans pouvoir retourner au rivage. La princesse partit à sa recherche
et se perdit. Quant au prince, il avait continué à errer et avait
aperçu un chemin. Il l'emprunta et arriva dans un village. N'ayant rien
à faire, il devint serviteur.
La princesse erra puis décida de s'installer au bord de la mer. Elle
revint au rivage. Des arbres fruitiers y poussaient. Elle s'installa. Dans la
journée, elle parcourait le rivage, espérant trouver quelqu'un.
Elle vivait de fruits ; la nuit, elle grimpait dans un arbre pour se protéger
des bêtes sauvages.
Il était une fois
un marchand très important qui faisait du commerce dans le monde entier.
Il avait un fils unique. Le marchand était déjà vieux.
Un jour, son fils lui dit :
- Etant donné que tu es vieux et que je suis encore jeune, que tes gens
de confiance ne font pas attention à moi, que va-t-il se passer ? Si
tu meurs et que je reste seul, je ne saurai pas quoi faire. Donne-moi donc un
navire et des marchandises. Je partirai sur les mers pour devenir habile au
commerce.
Son père lui ayant fourni un navire et des marchandises, il visita plusieurs
pays, vendit ses marchandises, en acheta d'autres et réussit. Alors qu'il
était en mer, il aperçut les arbres où habitait la princesse.
L'équipage pensait que l'endroit était habité et voulut
y accoster. En s'approchant, ils s'aperçurent qu'il ne s'agissait que
d'arbres et voulurent faire demi-tour. Mais le fils du marchand regarda dans
la mer et vit un arbre au sommet duquel était assise une forme humaine.
Il se dit qu'il se trompait peut-être et en parla à ses hommes.
Ils regardèrent et virent aussi une forme humaine dans l'arbre. Ils décidèrent
de s'approcher. Ils envoyèrent l'un d'entre eux dans une barque et gardèrent
les yeux fixés sur l'eau afin que le messager puisse arriver jusqu'à
l'arbre. Le messager arriva près de celui-ci et vit qu'un homme y habitait.
Il en informa ses camarades. Le fils du marchand se rendit près de l'arbre
et vit la princesse. Il lui dit de descendre. Elle lui répondit qu'elle
ne viendrait pas à bord de son navire tant qu'il ne lui ferait pas la
promesse de ne pas la toucher jusqu'à ce qu'il fût rentré
chez lui et qu'ils fussent mariés. Il promit et la princesse monta à
bord du navire. Le fils du marchand remarqua qu'elle était musicienne
et qu'elle connaissait plusieurs langues. Il se réjouit beaucoup de l'avoir
rencontrée.
Alors qu'ils approchaient de chez lui, elle lui indiqua la marche à suivre.
Il devait rentrer chez lui, informer son père, sa famille et ses amis
qu'une dame noble l'accompagnait, et leur dire de venir tous à sa rencontre.
Alors, il saurait qui elle était. (Elle avait auparavant posé
la condition suivante : il ne devait pas chercher à connaître son
identité ; il la saurait après leur mariage). Il consentit à
tout cela.
Elle lui dit encore :
- Tu dois aussi donner à boire à tous les matelots du navire et
leur faire savoir que leur patron se marie avec une grande dame.
Il lui obéit. Il prit du meilleur vin qu'il avait à bord et en
donna aux matelots, qui s'enivrèrent.
Le fils du marchand rentra chez lui pour informer son père et ses amis.
Les matelots, enivrés, descendirent à terre et s'écroulèrent
d'ivresse.
Pendant ce temps, la famille du marchand s'apprêtait à venir accueillir
la princesse. Mais celle-ci largua les amarres, déploya les voiles et
partit à bord du navire. La famille se rendit à l'endroit où
le navire devait être amarré, mais ne le trouva pas. Le marchand
fut très en colère contre son fils. Ce dernier s'écria
: " Crois-moi, j'ai rapporté un navire et des marchandises ! "
Mais sa famille ne vit rien. Il dit : " Demandez aux matelots ! "
Le père partit les interroger. Ils étaient couchés à
terre, ivres. Finalement, ils se relevèrent et on les interrogea. Ils
ne comprenaient pas ce qui se passait. Tout ce qu'ils savaient, c'était
qu'on avait rapporté un navire plein de marchandises. Mais ils ignoraient
où il était. Le marchand fut très en colère et chassa
son fils de chez lui, le bannit de sa vue. Le fils partit et erra. Quant à
la princesse, elle était partie en mer.
Il était une fois
un roi qui s'était fait construire des palais sur la mer, car il aimait
l'air marin. Des navires passaient au large de ses résidences. La princesse
qui parcourait les mers passa près du palais royal. Le roi regarda et
vit un navire voguant sans direction et sans personne à son bord. Il
pensa qu'il se trompait. Il ordonna à ses gens de regarder et ils virent
la même chose que lui.
La princesse, qui s'était approchée du palais, pensa : "
Qu'ai-je à faire d'un palais ? " et manuvra pour repartir.
Alors, le roi la vit et envoya ses gens pour la ramener chez lui. Puis il la
fit entrer.
Le roi n'avait pas de femme car il n'arrivait pas à choisir. En effet,
celle qu'il désirait ne voulait pas de lui, et inversement. Lorsque la
princesse entra chez lui, elle lui demanda de jurer qu'il ne la toucherait pas
avant qu'ils ne furent mariés selon la loi. Il jura. Puis elle lui dit
qu'il ne devait ni ouvrir, ni toucher à son navire, lequel devait rester
en mer jusqu'au mariage, afin que chacun sût qu'elle avait apporté
des marchandises et ne dise pas que le roi avait pris une femme de la rue. Il
le lui promit.
Le roi envoya des lettres d'invitation à son mariage dans tous les pays.
Puis il fit construire des palais pour la princesse qui ordonna qu'on lui trouvât
onze filles de princes en guise de suivantes. Le roi donna un ordre et on lui
envoya onze filles de princes et ministres de haut rang. On leur fit bâtir
onze palais privés ; la princesse avait aussi le sien. Les dames de compagnie
rendaient visite à la princesse, faisaient de la musique et jouaient
avec elle.
Un jour, elle leur dit qu'elle désirait partir en mer avec elles. Elle
partirent sur le navire et jouèrent. La princesse ajouta qu'elle souhaitait
leur offrir du vin qui se trouvait à bord et leur en donna. Elles s'enivrèrent,
tombèrent et restèrent allongées. Alors, la princesse défit
les amarres, déploya les voiles et le navire prit la mer.
Le roi et ses gens s'aperçurent que le navire de la princesse n'était
plus là, et en furent très effrayés. (Le roi ne savait
pas que la princesse s'était enfuie. Il la croyait dans son palais).
Le roi dit à ses gens : " Veillez à ne pas lui annoncer la
nouvelle brutalement, car cela l'attristerait beaucoup ". Il craignait
que la princesse pensât qu'il eût lui-même fait partir le
navire. Il donna l'ordre d'envoyer une des dames de compagnie annoncer la nouvelle
à la princesse avec tact. On se rendit dans l'une des chambres et on
ne trouva personne. Il en fut de même dans la suivante : personne. On
ne trouva âme qui vive dans les onze chambres. Le roi et ses gens décidèrent
d'attendre la nuit et d'envoyer une vieille femme annoncer la nouvelle à
la princesse. On se rendit dans sa chambre où on ne trouva personne non
plus. Le roi et ses gens eurent très peur.
Entre-temps, les pères des dames de compagnie avaient remarqué
qu'ils ne recevaient pas de nouvelles de leurs filles. Ils envoyaient des lettres
qui restaient sans réponses. Ils se rendirent chez leurs filles et ne
trouvèrent aucune d'entre elles. Ils furent très en colère.
Comme ils étaient ministres du royaume, ils voulurent bannir le roi.
Mais ils se dirent : " En quoi le roi est-il coupable et mérite-t-il
une telle punition ? Il n'est pas vraiment fautif. " On décida cependant
de le faire abdiquer et de le chasser. Il fut renversé du trône
et chassé. Le roi partit.
La princesse s'était
donc enfuie sur son navire. Les dames de compagnie finirent par se réveiller
et recommencèrent à jouer avec elle. Elles ignoraient que le navire
était déjà loin de la côte. Elles dirent à
la princesse : " Rentrons à la maison ! " Elle leur répondit
: " Restons ici encore un peu ! "
Puis un vent de tempête se leva. Elles répétèrent
: " Rentrons à la maison ! " Elle leur avoua que le navire
était déjà très loin de la côte. Elles lui
demandèrent : " Pourquoi as-tu fait cela ? " Elle leur répondit
qu'elle avait craint que le navire ne se brisât à cause de la tempête
et qu'elle avait agi ainsi pour cette raison.
La princesse et ses dames de compagnie continuèrent donc leur voyage
en mer tout en jouant de la musique. Elles passèrent au large d'un palais.
Les dames de compagnie dirent à 1a princesse : " Allons vers ce
palais. " Elle leur répondit qu'elle ne le voulait pas car elle
regrettait déjà de s'être approchée de celui du roi.
Plus tard, elles aperçurent une chose qui ressemblait à une île.
Elles s'y rendirent et rencontrèrent douze voleurs qui voulurent les
tuer. La princesse leur demanda : " Quel est le plus important d'entre
vous ? " Ils le lui indiquèrent. Elle dit au voleur : " Que
faites-vous ? " Il lui répondit qu'ils étaient voleurs. Elle
dit alors : " Nous aussi nous sommes des voleurs, mais tandis que vous,
vous volez grâce à votre force, nous, nous volons grâce à
notre sagesse, car nous connaissons les langues et la musique. A quoi bon nous
tuer ? Prenez-nous plutôt pour femmes et vous posséderez en plus
de grandes richesses ". Et elle leur montra ce qu'elle avait à bord
du navire lequel appartenait au fils du marchand qui possédait de nombreux
biens. Les voleurs écoutèrent ses paroles. Ils lui montrèrent
leurs richesses et firent visiter l'île à la princesse et à
ses suivantes. Puis tous décidèrent d'un commun accord de ne pas
s'épouser en même temps, mais l'un après l'autre. Chacun
choisirait la dame qui lui convenait selon son rang.
La princesse leur dit qu'elle leur ferait l'honneur de leur donner du bon vin
qu'elle avait à bord de son navire. Elle ajouta n'avoir jamais ouvert
ce vin et qu'il était resté caché jusqu'à ce que
Dieu lui envoie un compagnon selon son mérite.
Elle leur versa du vin dans douze gobelets et dit : " Que chacun boive
à la santé de tous ! " Ils burent, s'enivrèrent et
s'écroulèrent. Elle appela ses dames de compagnie et leur dit
: " A présent, que chacune aille tuer son homme ! " Et elles
les tuèrent tous.
Sur l'île, elles trouvèrent de grandes richesses telles qu'aucun
roi n'en a jamais possédées. Elles décidèrent de
ne prendre ni le cuivre, ni l'argent mais uniquement l'or et les pierres précieuses.
Elles jetèrent par dessus bord tout ce qui n'avait pas grande valeur
et chargèrent le navire d'objets rares, d'or et de pierres précieuses
trouvés sur l'île. Elles décidèrent de ne plus porter
de vêtements féminins, et se cousirent des habits d'homme selon
la mode allemande. Puis, elles repartirent avec le navire.
Il était une fois
un roi qui avait un fils unique. Il l'avait marié et lui avait donné
son royaume. Un jour, le prince annonça à son père qu'il
partait se promener en mer avec sa femme, car il souhaitait l'habituer à
l'air marin au cas où il leur serait un jour nécessaire de s'enfuir
par mer. Le prince monta à bord d'un navire avec sa femme et les grands
du royaume, et ils partirent. Ils étaient joyeux et s'amusaient. Tous
décidèrent d'enlever leurs vêtements si bien qu'il ne leur
resta plus que leurs sous-vêtements. Puis ils essayèrent de voir
qui serait capable de grimper jusqu'en haut du mât. Le prince aussi grimpa.
Entre-temps, la princesse qui était à bord de son navire aperçût
celui du prince. Elle eut d'abord peur de s'approcher. Elle s'en approcha quand
même un peu, et voyant qu'on s'y amusait beaucoup, elle comprit que ce
n'était pas un navire pirate. Elle fit approcher son navire un peu plus
et dit à son entourage : " Je suis capable de faire tomber ce chauve
dans la mer " (c'est-à-dire le prince qui avait grimpé en
haut du mât et qui était chauve). Les dames de compagnie lui demandèrent
: " Comment est-ce possible ? Ils sont si loin de nous ! " Elle leur
dit alors qu'elle possédait une lentille capable de faire brûler
et grâce à laquelle elle ferait tomber le prince dans la mer. Elle
décida d'attendre que le prince eût atteint le haut du mât
pour le faire tomber, car tant qu'il était à mi-chemin, s'il tombait,
ce serait sur le pont ; mais s'il tombait depuis la pointe, ce serait dans la
mer. Elle attendit donc qu'il fût arrivé en haut, saisit la lentille
et la dirigea vers le cerveau du prince jusqu'à le brûler. Le prince
tomba dans la mer. Alors la panique s'empara du navire. Personne ne savait quoi
faire. Comment rentrer ? Le roi mourrait de chagrin. On décida d'aller
à la rencontre du navire de la princesse que l'on apercevait. Il s'y
trouverait peut-être un médecin susceptible de leur donner quelque
conseil. Ils s'approchèrent et dirent aux hommes présents sur
le navire de la princesse de ne pas avoir peur, car ils ne leur feraient aucun
mal. Ils leur demandèrent : " Peut-être avez-vous à
bord un médecin qui puisse nous conseiller ? " Et ils racontèrent
toute l'histoire, à savoir que le prince était tombé dans
la mer. La princesse leur dit d'aller le repêcher. Ils partirent, retrouvèrent
le prince et le sortirent de l'eau. La princesse prit le pouls du prince et
déclara que le cerveau du prince avait été brûlé.
On découpa son crâne et on constata qu'elle avait dit juste. Les
gens du prince furent effrayés ; c'était en effet pour eux une
grande merveille que le médecin (la princesse) eût deviné
juste. Ils l'implorèrent de venir chez eux en leur compagnie. Elle serait
le médecin du vieux roi qui la chérirait beaucoup. Elle refusa,
disant qu'elle ne pratiquait pas la médecine, et qu'elle savait uniquement
quelques petites choses. Mais les gens du prince ne voulaient pas retourner
chez eux.
Les deux navires voguèrent de concert. Les grands du royaume auraient
aimé que leur reine (la femme du prince) épousât le médecin
car ils avaient compris que celui-ci était très savant (ils pensaient
que la princesse était médecin à cause des vêtements
masculins qu'elle portait). C'est pourquoi ils désiraient que la reine
l'épousât et que ce dernier fût leur roi. Quant au vieux
roi, le père du prince, ils le tueraient. Mais ils avaient honte de proposer
à la reine d'épouser le médecin. La reine aussi souhaitait
vivement l'épouser ; cependant elle craignait qu'on ne voulût pas
de lui pour roi dans son pays.
On décida donc de donner un banquet, de telle sorte qu'après avoir
bu, lorsque tous seraient très joyeux, on puisse en discuter. On organisa
une fête pour tout le monde. Comme on donnait ce banquet en l'honneur
du médecin (la princesse), il leur offrit de son vin et tous s'enivrèrent.
Au beau milieu des réjouissances, les ministres du royaume s'écrièrent
qu'il serait merveilleux que la reine épousât le médecin.
Celui-ci s'écria aussi que ce serait en effet merveilleux, mais qu'il
fallait en parler à jeun. La reine dit à son tour combien elle
serait ravie de l'épouser, mais que le pays devait approuver ce projet.
Le médecin répéta que ce serait fabuleux, à condition
de ne pas en discuter tout en buvant. Puis, sortis de leur état d'ébriété,
les ministres se souvinrent de leurs paroles et ils eurent honte d'avoir ainsi
parlé devant la reine. La reine elle-même eut honte d'avoir parlé
du projet devant les ministres. Mais elle se dit que eux aussi l'avaient évoqué.
Alors, on se mit à discuter, puis on prit une décision. La reine
se fiança au médecin (la princesse que l'on prenait pour tel)
et ils rentrèrent dans leur pays.
Les habitants du pays furent très contents de les voir revenir car le
prince était parti en mer depuis longtemps déjà et on ignorait
où il était. Entre-temps, le vieux roi était mort. Lorsque
le navire accosta, les habitants du pays virent que le prince, qui était
leur roi, ne se trouvait pas à bord. Ils demandèrent : "
Où est notre roi ? " Les autres leur racontèrent les faits
: le prince était mort depuis longtemps et ils s'étaient choisi
un nouveau monarque lequel les accompagnait. (il s'agissait du médecin,
c'est-à-dire la princesse). Les habitants du pays se réjouirent
beaucoup d'avoir un nouveau roi.
Celui-ci (la princesse) fit proclamer dans toutes les provinces du royaume que
toute personne, étranger ou réfugié sans exception, assiste
à son mariage où il recevrait de beaux cadeaux. En outre, le roi
fit ériger des fontaines partout dans la ville, afin que quiconque ait
soif, ne fût pas obligé d'aller ailleurs pour boire, mais trouvât
une fontaine à proximité. Et le roi (la princesse) fit accrocher
son portrait au-dessus de chacune d'elles et fit poster des gardiens pour les
surveiller. Quiconque venait regarder attentivement son portrait et faisait
la grimace, devait être arrêté et emprisonné. Les
ordres du roi furent exécutés.
Ils arrivèrent tous les trois : le premier prince, époux légitime
de la princesse ; le fils du marchand qui avait été exilé
à cause de la princesse qui s'était échappée, et
le roi, chassé à cause de la princesse qui s'était enfuie
avec les onze dames de compagnie. Tous reconnurent son portrait ; ils le regardèrent
attentivement, se souvinrent et devinrent très tristes. On les arrêta
et les jeta en prison.
Le jour du mariage, le roi
(la princesse) ordonna de faire comparaître les prisonniers devant lui.
On les amena tous les trois et elle les reconnut, mais eux ne la reconnurent
pas, car elle était habillée en homme. Elle prit la parole et
dit : " Toi, le roi, tu as été chassé à cause
des onze suivantes disparues. Prends-les et retourne dans ton royaume. Et toi
le marchand, ton père t'a renvoyé de chez lui à cause du
navire et des marchandises disparues. Reprends ton navire et tes marchandises.
Comme ton argent a été immobilisé longtemps, ton navire
contient plus de richesses à présent car elles se sont multipliées
(il avait en plus le butin des voleurs). Quant à toi, prince, viens et
rentrons chez nous ! "
Et ils rentrèrent chez eux. Amen et amen.
L'INFIRME
Avant de mourir, un sage
convoqua ses enfants et sa famille. Sa dernière volonté était
qu'ils arrosent des arbres : " Vous pouvez aussi vous occuper d'autres
choses, mais veillez à toujours arroser des arbres. " Il mourut,
laissant des enfants, dont un fils qui ne pouvait pas marcher. Il pouvait se
tenir debout mais ne pouvait pas marcher. Ses frères lui donnaient ce
qui lui était nécessaire pour vivre. Ils lui donnaient tant, qu'il
lui restait toujours quelque chose et, à force d'économiser petit
à petit sur ces dons, il se retrouva avec une somme rondelette.
Il prit la résolution suivante : " Pourquoi être entretenu
par eux ? Mieux vaut entreprendre de faire du commerce. " Bien qu'il fut
infirme, il louerait un chariot, engagerait un homme de confiance et un cocher
avec qui il se rendrait à Leipzig où il pourrait faire du commerce,
malgré son infirmité.
Les siens furent très contents de sa décision et dirent : "
Pourquoi lui donnerions-nous un pécule ? Mieux vaut qu'il gagne lui-même
sa vie. " Ils lui prêtèrent de l'argent pour son entreprise.
Il loua donc un chariot, engagea un homme de confiance et un cocher, puis se
mit en route.
Il arriva à une auberge et son homme de confiance lui dit : " Passons
la nuit ici ! " Il refusa de lui être agréable et, après
maintes discussions, ils repartirent et s'égarèrent dans une forêt.
Surgirent des brigands devenus ce qu'ils étaient par la force des choses
: pendant une famine, un homme entra dans la ville, proclamant que quiconque
voulait manger vienne le voir. Nombreux furent ceux qui accoururent. Il renvoya
ceux qui ne lui seraient d'aucune aide. Puis, il disait à l'un : "
Tu peux être artisan. " A l'autre, il disait : " Tu peux travailler
dans un moulin. " Il choisit les jeunes gens les plus malins, les emmena
dans la forêt et les persuada de devenir brigands, car " ici passent
les routes de Leipzig et de Breslau (Wroclaw), et d'autres encore. Les marchands
empruntent ces routes ;nous les dépouillerons, et nous aurons ainsi de
l'argent. " (C'est ainsi que le brigand qui avait fait la proclamation
en ville, les persuada.)
Les brigands attaquèrent donc celui qui ne pouvait pas marcher, ainsi
que ses employés, l'homme de confiance et le cocher. Ces derniers pouvaient
s'enfuir et s'échappèrent. L'infirme resta seul dans le chariot.
Les brigands se dirigèrent vers lui, s'emparèrent du coffre qui
contenait son argent, et demandèrent à l'infirme : " Pourquoi
restes-tu assis ? " Il répondit qu'il ne pouvait pas marcher. Ils
lui dérobèrent son coffre et ses chevaux. Il resta dans le chariot.
L'homme de confiance et le cocher qui s'étaient enfuis se dirent que,
étant donné que des nobles leur avaient remis des lettres de change,
ils risquaient fort de se retrouver en prison s'ils rentraient chez eux. Mieux
valait rester là où ils étaient, et louer leurs services
à quelqu'un d'autre.
L'infirme était resté dans le chariot où il disposait des
provisions qu'il avait emportées. Il les mangea et lorsqu'elles furent
épuisées, il ne lui resta plus rien pour se nourrir. Que faire
? Il se jeta hors du chariot pour pouvoir manger de l'herbe. Il passa la nuit
seul dans le pré et eut si peur, que ses forces le quittèrent
au point de ne plus pouvoir se tenir debout. Il ne pouvait que ramper. Il mangea
toute l'herbe qui poussait autour de lui. Tant qu'il pouvait atteindre l'herbe
et manger, il mangeait. Lorsque l'herbe eut disparu alentour et que sa main
ne rencontra plus rien, il rampa plus loin et mangea à nouveau. Il se
nourrit ainsi d'herbe pendant un certain temps.
Une fois, il remarqua une plante dont il n'avait jamais vu la pareille. Il avait
mangé des herbes tout le temps et les connaissait toutes, mais cette
plante lui plut beaucoup car il n'en avait jamais vu d'identique. Il décida
de l'arracher, elle et ses racines. Ce faisant, il trouva un diamant sous les
racines. Celui-ci était cubique et chacune de ses facettes possédait
une vertu particulière. Sur l'une des facettes, il était écrit
que celui qui tiendrait cette facette serait transporté à l'endroit
où le jour et la nuit se rejoignent, c'est-à-dire au point de
rencontre du soleil et de la lune. En arrachant la plante et ses racines, l'infirme
avait saisi la facette dont la vertu était de pouvoir le transporter
là où le jour et la nuit se rejoignent. Il y fut transporté,
comme il put s'en rendre compte en regardant autour de lui. Il entendit le soleil
et la lune bavarder.
Le soleil se plaignait auprès de la lune de ce qu'il existât un arbre doté de nombreuses branches, de beaucoup de feuilles et de beaucoup de fruits. Chaque fruit, chaque feuille, chaque branche possédait une vertu particulière. Telle feuille était un remède pour enfanter, telle autre pour avoir de quoi vivre, telle autre encore était un remède contre certaine maladie, et telle autre guérissait d'une autre maladie. La moindre partie de l'arbre avait une vertu particulière. Celui-ci devait être arrosé. Il serait d'un grand secours s'il était arrosé. " Et moi, non seulement je ne l'arrose pas, mais je darde mes rayons sur lui et je le dessèche ! "
La lune répondit au soleil : " Tes soucis ne sont rien du tout. Je vais te faire part des miens. Je possède mille montagnes. Autour de ces mille montagnes, il y a encore mille autres montagnes. Et là se trouvent les démons qui ont des pattes de poulet. Comme ils n'ont aucune force dans leurs pattes, ils puisent la force qui se trouve dans mes pieds. Et à cause de cela, je n'ai plus de force dans les pieds. J'ai une poudre remède pour mes pieds. Le vent surgit et l'emporte. "
Le soleil dit : " Ce sont là tes soucis ? Je vais te donner un remède. Il existe une route d'où partent de nombreuses autres routes. L'une d'elles est la route des Tsadikim (Justes). Le Tsadik (Juste) qui l'emprunte voit la poussière de cette route répandue sous ses pas. A chaque pas qu'il fait, il foule cette poussière. Il y a aussi une route des hérétiques. L'hérétique qui avance sur cette route, voit la poussière qui est répandue sous ses pas, etc. Il y a la route des fous ; le fou qui l'emprunte voit la poussière qui est répandue sous ses pas, et ainsi de suite. Il y a de cette manière de nombreuses routes. Par exemple, celle où des Tsadikim prennent sur eux de nombreuses souffrances et sont conduits enchaînés par des seigneurs. Ces Tsadikim n'ont pas de forces dans les pieds. On répand la poussière de cette route sous leurs pas et leurs pieds reprennent des forces. Va donc là-bas. Il y a beaucoup de poussière et tes pieds en seront guéris. "
L'infirme avait entendu
toute la conversation entre le soleil et la lune. Il examina une autre facette
du diamant et y lut que quiconque se saisirait de cette facette serait transporté
sur la route d'où partaient de nombreuses autres routes, celle-là
même dont le soleil avait dévoilé l'existence à la
lune. Il saisit la facette et se retrouva sur cette route.
Il posa les pieds sur cette route dont la poussière était un remède
pour les pieds, et fut aussitôt guéri. Il marcha et ramassa de
la poussière de toutes les routes. Il enferma un peu de chacune d'elles
séparément dans des sachets. Il mit de la poussière de
la route des Tsadikim dans un sachet et fit de même avec toutes les autres
poussières. Puis il décida de retourner dans la forêt où
il avait été dépouillé, en emportant les sachets.
Une fois arrivé, il choisit un arbre proche du chemin emprunté
par les brigands pour commettre leurs méfaits.
Il saisit de la poussière pour Tsadikim, la mélangea à
de la poussière pour fous, puis répandit le mélange sur
le chemin. Ensuite, il grimpa dans l'arbre et s'y installa pour voir ce qui
allait se passer. Il vit arriver les voleurs envoyés par le vieux brigand
dont nous avons parlé plus haut. Aussitôt sur le chemin, ils marchèrent
sur la poudre qui y était répandue et ils devinrent des Tsadikim.
Ils se mirent à pleurer à cause des jours et des années
passés à dépouiller et à assassiner tant d'êtres
humains. Cependant, comme la poussière pour Tsadikim était mélangée
à de la poussière pour fous, ils devinrent des Tsadikim fous.
Ils commencèrent à se quereller. L'un disait à l'autre
: " C'est toi qui nous a poussés à tuer ! " L'autre
répondait : " C'est toi ! " Ils continuèrent à
se disputer ainsi et finirent par s'entre-tuer. Puis, le vieux envoya d'autres
brigands et il se produisit la même chose qu'avec les premiers. Le manège
se répéta jusqu'à ce que tous les brigands se soient entre-tués.
L'infirme, installé dans l'arbre, comprit qu'il ne restait plus qu'un
seul brigand avec le vieux qui les avait persuadés de le suivre. Il descendit
de son arbre, ramassa la poussière du chemin et la remplaça uniquement
par de la poussière pour Tsadikim. Puis, il regrimpa dans l'arbre.
Le vieux s'étonna beaucoup qu'aucun des hommes qu'il avait envoyés
ne soit revenu. Il décida d'aller voir ce qui se passait accompagné
du seul homme qui lui restait. Dès qu'il eut posé le pied sur
le chemin recouvert de poussière pour Tsadikim, il devint un Tsadik et
se mit à pleurer sur l'épaule de son compagnon à cause
des années et des jours passés à tuer et à dépouiller
tant d'êtres humains. Il creusa des tombes, fit téchouvah et fut
pris de remords. Voyant qu'il faisait téchouvah, l'infirme descendit
de son arbre. Apercevant un homme, le brigand se lamenta à grand bruit
:
- Malheur à moi ! J'ai commis tel et tel crime. Par pitié, dis-moi
quelle pénitence je dois faire !
- Rends-moi le coffre que toi et tes hommes m'avez volé.
En effet, les brigands tenaient un registre de chaque vol commis, sa date et
le nom de la victime.
- Je vais te le rendre immédiatement. Je te fais même cadeau de
tous les trésors que nous avons volés. Dis-moi seulement quelle
pénitence je dois faire.
- Voici quelle sera ta pénitence : tu devras aller en ville crier et
avouer : " C'est moi qui ai fait la proclamation et j'ai commis de nombreux
crimes. J'ai tué et j'ai dépouillé beaucoup d'hommes. "
Voilà ta pénitence.
Le brigand donna tous les trésors à l'infirme et se rendit en
ville avec lui. Il fit tout ce que l'autre lui avait ordonné. En ville,
il fut jugé. Comme il avait tué un grand nombre de personnes,
il fut condamné à la pendaison à titre d'exemple afin que
d'autres en tirent une leçon. Quant à l'infirme, il décida
d'aller jusqu'aux deux mille montagnes voir ce qui s'y passait.
Il s'arrêta à
quelque distance des deux mille montagnes. Il aperçut des myriades et
des myriades de familles de démons. En effet, les démons croissent
et se multiplient, ont des enfants tout comme les hommes, et sont très
nombreux. Il aperçut leur souverain assis sur un trône. Aucun homme
" né d'une femme " (Shabbat 88b) ne s'était jamais assis
sur un tel trône. L'infirme vit les démons qui se moquaient. L'un
d'eux racontait comment il avait mutilé un enfant ; un autre comment
il avait coupé une main ; un troisième comment il avait coupé
un pied, et autres sortes de farces.
L'infirme aperçut ensuite un père et une mère en larmes.
On leur demanda : " Pourquoi pleurez-vous ? " Ils répondirent
qu'ils avaient un fils qui avait l'habitude de partir quelque part et de revenir
au bout d'un certain temps. Mais aujourd'hui, après un grand laps de
temps, il n'était toujours pas rentré. Le père et la mère
furent amenés devant le roi qui ordonna d'envoyer des émissaires
dans le monde entier à la recherche du fils.
En revenant de chez le roi, les parents du démon rencontrèrent
quelqu'un qui était parti avec leur fils, et qui leur demanda : "
Pourquoi pleurez-vous ? " Ils lui racontèrent l'histoire. Il leur
répondit : " Je vais vous raconter une histoire :
Nous avions une île sur la mer, qui était notre endroit. Le roi
à qui l'île appartenait arriva et voulut y construire des palais.
Il avait déjà posé les fondations et votre fils me proposa
d'aller lui causer du tort. Nous partîmes donc pour dépouiller
le roi de sa force. Il fit alors venir des docteurs, mais ceux-ci ne réussirent
pas à l'aider. Il consulta des sorciers. L'un d'eux connaissait la famille
de votre fils, mais pas la mienne ; par conséquent il ne pouvait pas
me faire de mal. Cependant, il connaissait la famille de mon compagnon, il s'empara
de lui et le tortura. "
Le démon qui avait
raconté tout cela répéta son histoire devant le roi des
démons. Ce dernier déclara :
- Rendons au roi de l'île sa force.
Le démon dit alors :
- L'un d'entre nous n'avait pas de force et nous lui avons donné celle
du roi de l'île.
- Reprenons-lui cette force et rendons-la au roi de l'île, ajouta le roi
des démons.
On dit alors au roi des démons que le démon à qui on avait
donné la force du roi de l'île était devenu un nuage. Le
roi des démons donna l'ordre de convoquer ce nuage et de l'amener. On
envoya un messager à la recherche du nuage.
Alors, l'infirme qui avait assisté à toute la scène, se
dit : " En route ! Allons voir comment ces gens deviennent des nuages.
" Il suivit le messager et arriva dans la ville où vivait le nuage.
Il demanda aux habitants :
- Pourquoi y a t il un nuage au-dessus de la ville ?
- En fait, il n'y a jamais eu de nuage au-dessus de la ville. Ce n'est que depuis
quelque temps qu'un tel nuage recouvre la ville, répondirent les habitants.
Le messager arriva, appela le nuage et ils repartirent ensemble. L'infirme décida
de les suivre pour entendre leur conversation. Il entendit le messager demander
:
- Comment se fait-il que tu sois devenu un nuage ?
L'autre lui répondit :
- Je vais te raconter une histoire :
Il était une fois,
dans un pays, un sage. L'empereur du pays vivait dans une grande hérésie
et y entraîna tout le pays. Le sage convoqua tous les gens de sa famille
et leur dit : " Vous voyez que l'empereur est un grand hérétique
et qu'il a rendu tout le pays à son image, ainsi qu'une partie de notre
famille. Par conséquent, partons dans le désert afin de conserver
notre foi en Dieu Béni-Soit-Il. " Tout le monde fut d'accord. Le
sage prononça un nom divin qui les transporta dans un désert.
Celui-ci ne plut pas au sage, alors, il prononça un autre nom divin.
Ils furent transportés dans un second désert qui lui non ne convint
pas au sage. Il prononça un troisième nom qui les transporta dans
un autre désert lequel fut au goût du sage ; il se trouvait à
proximité des deux mille montagnes. Le sage entreprit de tracer un cercle
autour de lui et de sa famille, afin que nul ne pût s'approcher d'eux.
Il existe un arbre. Si cet arbre était arrosé, il ne resterait
plus rien de nous autres, démons. C'est pourquoi certains d'entre nous
creusent continuellement, jour et nuit près de l'arbre, afin que l'eau
ne parvienne pas jusqu'à lui. "
Le messager demanda au nuage :
- Pourquoi faut-il être présent là-bas jour et nuit, et
creuser ? Il serait suffisant de creuser une seule fois pour empêcher
l'eau d'arriver !
- Parmi nous, il y a des Bavards, répondit le nuage. Ces Bavards vont
provoquer la guerre entre un roi et un autre. Les guerres éclatent et
ont pour résultat de faire trembler la terre. La terre qui est autour
des tranchées s'effondre, et l'eau peut arriver jusqu'à l'arbre.
C'est pourquoi il faut être présent là-bas et creuser en
permanence.
Lorsque nous nous choisissons un roi, nous faisons les bouffons et nous nous
réjouissons. L'un d'entre nous raconte d'un ton moqueur comment il a
brutalisé un enfant et comment la mère se lamente. Un autre nous
fait part de quelque farce. Il y a ainsi toutes sortes de plaisanteries. Lorsque
notre roi est réjoui, il va se promener avec les princes du royaume et
tente de déraciner l'arbre. En effet, si cet arbre n'existait plus, ce
serait tout à notre avantage. Le roi fortifie son cur afin de pouvoir
le déraciner. Mais lorsqu'il arrive près de lui, l'arbre pousse
un grand cri. Alors, l'effroi s'empare du roi et l'oblige à rebrousser
chemin.
Un jour, nous eûmes un nouveau roi devant lequel nous nous conduisîmes
comme des bouffons. Il en fut fort réjoui et son cur en fut tout
revigoré. Il voulut déraciner l'arbre et partit se promener avec
les princes. Le cur rempli de force, il courut afin de déraciner
l'arbre. Lorsqu'il arriva à ses côtés, l'arbre fit entendre
un grand cri. Le roi prit peur, recula, et entra dans une grande colère.
Il regarda autour de lui et aperçut des gens installés là.
(C'était le sage et sa famille.) Il envoya ses gens s'occuper d'eux.
(C'est-à-dire les tuer, comme c'est l'habitude des démons). En
les voyant, la famille du sage eut très peur. Alors que les démons
approchaient, l'ancien (le sage) dit à sa famille : " Ne craint
rien ! " Cependant, le cercle qui entourait le sage et sa famille empêcha
les démons d'avancer. Le roi des démons envoya d'autres hommes,
mais ces derniers non plus ne purent s'approcher. Le roi en conçut une
grande colère et s'avança en personne ; en vain. Alors, il demanda
au sage de le laisser entrer. Le vieillard lui répondit : " Puisque
tu me supplies, je vais te laisser entrer. Mais comme il n'est pas convenable
qu'un roi aille seul, je te laisserai entrer accompagné de quelqu'un
d'autre. " Il créa une ouverture dans le cercle ; ils entrèrent,
et le sage referma le cercle.
Le roi demanda au vieillard :
- Comment se fait-il que vous soyez installés sur mon territoire ?
- Pourquoi est-ce ton territoire ? C'est le mien !, répondit le sage.
- Tu n'as pas peur de moi ? demanda le roi.
- Non.
- Tu n'as pas peur ?
Puis le roi se mit à grandir démesurément jusqu'au ciel
et voulut avaler le vieillard.
- Je n'ai toujours pas peur de toi. Mais si je le désire, alors toi tu
auras peur de moi.
Et il partit réciter quelques prières.
De gros nuages se formèrent et le tonnerre retentit. La foudre tua tous
les princes qui accompagnaient le roi. Le roi resta seul avec son compagnon
qui étaient entré avec lui dans le cercle. Le roi supplia le vieillard
de faire cesser le tonnerre ; le tonnerre cessa. Le roi dit alors au vieillard
:
- Puisque tu appartiens à cette sorte d'hommes, je vais t'offrir un livre
où sont répertoriées toutes les familles de démons.
Il y a des Maîtres des Noms qui ne connaissent qu'une famille, et encore,
ils ne savent pas tout sur elle. Mais dans le livre que je vais te donner sont
répertoriées toutes les familles. Et ceci pour le bénéfice
du roi. Même ceux qui naissent sont répertoriés pour lui.
Le roi envoya son compagnon chercher le livre. (Il se trouve que le sage avait
eu raison de faire entrer le roi avec quelqu'un d'autre, car sinon, qui le roi
aurait-il envoyé ?) L'autre rapporta le livre. Il l'ouvrit et vit qu'il
renfermait la liste de myriades de leurs familles. Le roi assura au vieillard
que les démons ne tueraient jamais un des siens. Puis il ordonna de faire
apporter les portraits de tous les membres de la famille du vieillard. Et s'il
y avait une naissance, on devait aussitôt apporter le portrait du nouveau-né,
afin que personne appartenant à la famille du vieillard ne fût
tué.
Plus tard, lorsque arriva la fin de ses jours en ce monde, le vieillard convoqua
ses enfants et leur transmit ses dernières volontés en ces termes
: " Je vous confie le livre. Vous savez que j'ai le pouvoir de l'utiliser
avec sainteté. Cependant, je ne l'ai jamais utilisé, car j'ai
confiance en Dieu Béni-Soit-Il. Vous non plus, ne l'utilisez pas. Même
si l'un d'entre vous peut l'utiliser avec sainteté, qu'il n'en fasse
rien. Qu'il ait seulement confiance en Dieu Béni-Soit-Il. " Puis
il mourut.
Le livre se transmit par héritage et arriva dans les mains du petit-fils
du sage. Ce dernier avait le pouvoir de l'utiliser avec sainteté. Mais
il plaça sa confiance en Dieu Béni-Soit-Il et n'utilisa pas le
livre, conformément à la volonté du sage.
Les Bavards, qui existaient parmi les démons, essayèrent d'influencer
le petit-fils du vieillard : " Etant donné que tes filles sont déjà
grandes, et que tu n'as pas les moyens de les nourrir ni de les marier, utilise
le livre ". Il ignora que les démons essayaient de l'influencer.
Il pensait que c'était son cur qui lui parlait ainsi. Il se rendit
sur la tombe de son grand-père et dit : " Ta dernière volonté
fut que l'on ne fît aucun usage du livre et que l'on eût seulement
confiance en Dieu Béni-Soit-Il. Aujourd'hui, mon cur me pousse
à l'utiliser. " Son grand-père (qui était mort) lui
répondit : " Bien que tu puisses te servir du livre avec sainteté.
mieux vaut avoir confiance en Dieu Béni-Soit-Il et ne pas se servir de
l'ouvrage. Dieu Béni-Soit-Il t'aidera. " Il obéit.
Un jour, le roi du pays où vivait le petit-fils du vieillard tomba malade.
Il consulta des docteurs qui ne surent le guérir. A cause de la grande
chaleur qui régnait dans le pays, les remèdes n'avaient aucun
effet. Le roi décréta que les Juifs prient pour lui. Notre roi
déclara : " Puisque le petit-fils a le pouvoir de se servir du livre
avec sainteté et qu'il n'en fait rien, accordons lui quelque faveur.
" Le roi m'ordonna de devenir un nuage dans le pays du roi malade, afin
qu'il guérisse grâce aux médicaments qu'il avait déjà
pris et à ceux qu'il prendrait encore. Quant au petit-fils du sage, il
ne sut rien de tout cela. Et c'est ainsi que je suis devenu un nuage.
Tout cela fut raconté
au messager par le nuage. L'infirme, qui les avait suivis, avait tout entendu.
Le nuage fut amené devant le roi qui ordonna de lui reprendre sa force
et de la rendre au roi de l'île qui en avait été dépouillé
pour avoir construit sur le territoire des démons. On lui rendit donc
sa force. Et le fils, dont le père et la mère pleuraient sur le
sort, revint. Il était tout affaibli, sans forces, car il avait été
torturé. Il était très en colère à cause
du sorcier qui l'avait tant fait souffrir. Il demanda à ses enfants et
à sa famille de se tenir constamment à l'affût du sorcier.
Les Bavards partirent avertir le sorcier qu'on le recherchait et qu'il devait
se protéger. Le sorcier inventa des stratagèmes et fit appel à
d'autres sorciers connaissant de nombreuses familles de démons, afin
d'être protégé. Le fils, ainsi que sa famille, furent très
en colère contre les Bavards qui avaient dévoilé le secret
au sorcier.
Un jour, des membres de la famille du fils et des Bavards prirent ensemble leur tour de garde auprès du roi. La famille du fils calomnia les Bavards. Le roi fit tuer ces derniers. Ceux qui restaient furent très en colère et provoquèrent une guerre entre tous les rois. La famine, la maladie. la désolation et les épidémies s'abattirent sur les démons. De grandes guerres éclatèrent entre tous les souverains. La terre trembla, s'effondra et l'arbre fut entièrement arrosé. Il ne resta plus rien des démons, comme s'ils n'avaient jamais existé. Amen.
Heureux l'homme qui ne suit point les conseils des méchants, qui ne se tient pas dans la voie des pécheurs, et ne prend point place dans la société des railleurs (....) Il sera comme un arbre planté auprès des cours d'eaux (...) (Téhilim Psaumes n°1). Toute cette histoire fait allusion à ce Psaume. Celui qui a des yeux verra et celui qui a un cur comprendra ce qui se passe dans le monde.
LE ROI QUI DECRETA LA
CONVERSION
Il était une fois un roi qui décréta dans son pays que
tout le monde se convertît sous peine de déportation. Celui qui
voulait rester dans le pays devait se convertir, sinon il était expulsé.
Certains se défirent de leurs biens et de leurs richesses, et, pauvres,
ils quittèrent le pays afin de conserver leur foi et de rester Juifs.
D'autres aimaient leurs richesses et restèrent. Ils devinrent des Marranes.
Ils suivaient en cachette les usages des Juifs mais n'avaient pas le droit de
se conduire comme des Juifs en public.
Puis, le roi mourut. Son fils accéda au trône et entreprit de mener
le pays d'une main de fer. Il conquit de nombreux pays. C'était un sage.
Comme il était très strict à l'égard des princes
du royaume, ceux-ci se conjurèrent et décidèrent de l'assassiner,
lui et tous ses enfants. Parmi les princes se trouvait un Marrane. Il se dit
: " Pourquoi suis-je un Marrane ? Parce que j'aimais mes biens et mes richesses.
Si on tue le roi, le pays restera sans souverain et les gens se dévoreront
vivants, car un pays ne peut rester sans roi. " II décida de tout
raconter au roi, à l'insu des princes. Il se rendit devant lui et lui
annonça qu'on complotait contre lui.
Le roi tenta de savoir si tout cela était vrai et découvrit qu'il
en était bien ainsi. Il fit poster des sentinelles et lorsque les conjurés
l'attaquèrent, ils furent tous capturés. On les jugea et les condamna
tous.
Puis le roi dit au prince qui était un Marrane :
- Quel honneur vais-je t'accorder pour avoir sauvé ma vie et celle de
mes enfants ? Vais-je faire de toi un seigneur ? Tu en es déjà
un. Te donnerai-je de l'argent ? Tu en possèdes déjà. Dis-moi
ce que tu désires et je te l'accorderai.
- Feras-tu ce que je dirai ?
- Oui, tu peux en être sûr, je ferai ce que tu veux.
- Prête-moi serment sur ta couronne et sur ton royaume.
Le roi prêta serment. Alors, le Marrane déclara :
- Voici ce que je désire : je veux pouvoir être Juif ouvertement.
Je veux pouvoir mettre le talith et les Téfilin librement.
Le roi en fut très troublé, car aucun Juif n'était toléré
dans son royaume. Cependant, il n'avait pas le choix à cause du serment
selon lequel il ferait tout ce que l'autre désirait.
Le lendemain matin, le Marrane mit talith et Téfilin en public.
Plus tard, lorsque le roi
mourut, son fils lui succéda. Il gouvernait le pays avec bonté
car il avait vu que l'on avait voulu tuer son père. Il conquit de nombreux
pays et c'était un sage. Un jour, il convoqua tous les astrologues afin
qu'ils lui disent ce qui provoquerait l'extinction de sa dynastie, et afin qu'il
puisse s'en protéger. Les astrologues lui dirent que sa dynastie ne s'éteindrait
pas, à condition qu'il prît garde au buf et à l'agneau.
On consigna cela dans le Livre des Chroniques. Ensuite, le roi enjoignit à
ses enfants de mener le pays avec bonté, en suivant son exemple. Puis
il mourut.
Son fils lui succéda et dirigea le pays d'une main de fer comme l'avait fait son grand-père. Il conquit de nombreux pays. Il imagina un stratagème et fit appliquer la résolution suivante : on ne devait trouver dans le pays ni buf ni agneau, afin que sa dynastie ne disparût pas. Et il se dit qu'à présent il ne craignait plus rien. Il continua à diriger le pays avec force, et comme il était très rusé, il conçut un plan pour s'emparer du monde sans faire la guerre.
Il y a sept régions
dans le monde, car le monde est divisé en sept parties. Et il y a sept
planètes, c'est-à-dire sept étoiles qui correspondent aux
sept jours de la semaine. Chaque planète illumine l'une des sept parties
du monde. Il y a aussi sept sortes de métaux (l'or, l'argent, le cuivre,
l'étain, etc.). Chacune des sept planètes brille sur un métal
particulier.
Le roi prit les sept métaux et ordonna que lui soient apportés
tous les portraits en or de tous les rois. Ces portraits étaient accrochés
dans les palais des rois.
Avec tout cela, il fabriqua un homme : sa tête était en or, son
tronc en argent, et ses autres membres étaient faits avec les autres
différents métaux. L'homme était constitué de l'ensemble
des sept métaux.
Le roi fit installer cet homme au sommet d'une haute montagne. Les sept planètes
l'illuminaient. Si quelqu'un cherchait un conseil pour mener ses affaires à
bien ou pour toute autre raison, et ne savait que faire, il n'avait qu'à
se mettre contre le membre fait du métal correspondant à la région
du monde dont il venait. Il devait garder présent à l'esprit ce
qui le préoccupait ; et il savait ainsi s'il devait ou non faire ce dont
il avait besoin. Si la réponse était affirmative, le membre s'allumait
et brillait ; si elle était négative, le membre restait terne.
Tout cela avait été réalisé par le roi qui conquit
ainsi le monde entier et amassa beaucoup d'argent.
Cependant, l'homme qu'il avait fabriqué à partir des sept métaux
n'avait de pouvoirs qu'à une seule condition : le roi devait rabaisser
les puissants et élever les humbles.
Le roi convoqua tous ses généraux et ministres, tous ceux qui
avaient charges et privilèges. Tous obéirent. Il les disgracia
et leur retira tous leurs droits. Il fit de même avec ceux qui avaient
mérité leur rang au service de son grand-père. Parmi eux
se trouvait le Marrane. Le roi lui demanda : " Quel est ton privilège
?" Il répondit : " Mon seul privilège est de pouvoir
être Juif ouvertement grâce au service que j'ai rendu à ton
grand-père ". Le roi le lui retira et le prince redevint un Marrane.
Il arriva qu'une nuit le
roi rêva dans son sommeil. Il vit un ciel clair et les douze constellations.
(Les étoiles sont réparties en douze ensembles correspondant aux
douze mois de l'année. Une constellation ressemble à un agneau,
c'est le mois de Nissan. La constellation correspondant à Iyar est appelée
buf ; chaque mois a ainsi sa constellation). Parmi les constellations,
le roi vit celle du buf et de l'agneau se moquer de lui. Il se réveilla
en colère et eut très peur. Il fit apporter le Livre des Chroniques
où tout est consigné. Il lut ce qui y était écrit
: sa dynastie disparaîtrait à cause d'un buf et d'un agneau.
Il fut terrifié et raconta tout à la reine. La reine et ses enfants
furent saisis d'épouvante. Le cur du roi battait très fort.
Il convoqua tous les interprètes de songes. Chacun donna son interprétation,
mais aucune ne retint son attention et il eut très peur.
Alors, un sage se présenta devant lui et lui dit qu'il tenait une tradition
de son père d'après laquelle le soleil avait trois cent soixante
cinq trajectoires. D'autre part, il existait un endroit illuminé par
les trois cent soixante cinq trajectoires du soleil. A cet endroit poussait
un sceptre de fer. L'homme qui avait peur, n'avait qu'à s'approcher de
ce sceptre pour être délivré de ses craintes.
Voilà ce que le sage raconta au roi. Ce dernier fut ravi et se mit en
route vers cet endroit, accompagné de sa femme, de ses enfants et des
gens qui étaient de son sang, ainsi que du sage.
Au milieu du chemin se tient
l'ange tutélaire de la colère ; en effet, à cause de la
colère, un ange destructeur et corrupteur est créé. Il
règne sur toutes les forces destructrices. C'est à cet ange qu'il
faut demander sa route car il existe un chemin qui convient aux hommes, un autre
chemin couvert de chaux, un autre plein de fossés, et un dernier chemin
enflammé ; le feu dévore quiconque s'approche dans un rayon de
quatre milles.
Le roi et sa suite demandèrent à l'ange quel chemin prendre. Il
leur indiqua le chemin de feu. Ils s'avancèrent. Le sage regardait continuellement
devant lui pour apercevoir le feu. En effet, il tenait de son père une
tradition selon laquelle le feu se trouvait à cet endroit. Il finit par
l'apercevoir et vit que des rois et des Juifs avec Talith et Téfilin
y pénétraient. Le sage dit au roi : " Je tiens de mon père
une tradition selon laquelle on est consumé à une distance de
quatre milles du feu. C'est pourquoi je n'irai pas plus avant. Si tu le désires,
avance ". Le roi pensa qu'ayant vu des rois pénétrer dans
le feu, il pouvait en faire autant. Le sage s'écria à nouveau
: " Je tiens une tradition de mon père et je n'irai pas plus loin
! Toi vas-y, si tu veux ". Le roi et les siens entrèrent dans le
feu ; il s'empara d'eux et ils périrent, consumés.
Lorsque le sage revint chez lui, les ministres s'étonnèrent que
le roi et les siens eussent péri. Le roi s'était pourtant gardé
d'un buf et d'un agneau; comment se faisait-il que sa souche ait péri
avec lui ?
Alors, le Marrane parla : " C'est grâce à moi que le roi a
péri. Les astrologues ont vu que le roi et sa dynastie disparaîtraient
à cause d'un buf et d'un agneau, mais ils n'ont pas compris ce
qu'ils ont vu. En effet, avec la peau du buf on fait les Téfilin,
et avec la toison d'un agneau on fabrique les Tsitsit du talith. C'est à
cause d'eux que le roi et les siens sont morts. Ainsi, les rois ont pu pénétrer
dans le feu sans être consumés grâce aux Juifs portant librement
talith et Téfilin dans leurs pays,. Par contre, le roi qui n'a pas autorisé
les Juifs portant talith et Téfilin à résider dans son
pays, a péri à cause de cela même avec les siens. C'est
de lui que les constellations du buf et de l'agneau se sont moquées.
Les astrologues ont vu que la dynastie du roi disparaîtrait à cause
d'un buf et d'un agneau mais ils n'ont pas compris le sens de leur vision.
Ainsi, le roi a péri avec les siens, Amen, et ' Ainsi périront
tous tes ennemis, Seigneur ' (Juges 5:31) ".
Téhilim Psaume n°2 : " Pourquoi se démènent les peuples ? Tu les briseras avec un sceptre de fer " : c'est le spectre de fer ; " Brisons leurs liens, rejetons loin de nous leurs chaînes " : ce sont les Tsitsit et les Téfilin. Toute l'histoire fait allusion à ce Psaume. Heureux celui qui connaîtra un peu ce qu'il y a dans ces histoires, qui renferment de grands secrets de la Torah.
LE PRINCE DE PIERRES PRECIEUSES
Il était une fois
un roi qui n'avait pas d'enfant. Il consulta plusieurs docteurs, car il ne voulait
pas que son royaume tombe entre des mains étrangères. Mais les
docteurs ne lui furent d'aucun secours. Alors il décréta que les
Juifs prient pour lui, afin qu'il ait des enfants.
Les Juifs cherchèrent un Tsadik (un Juste) susceptible de prier et de
faire en sorte que le roi ait une descendance. Ils cherchèrent et trouvèrent
un Tsadik caché. Ils lui demandèrent de prier pour que le roi
procrée. Le Tsadik leur répondit qu'il ne savait pas. Les Juifs
en informèrent le roi. Ce dernier convoqua alors le Tsadik lequel fut
amené devant le roi. Celui-ci commença par lui parler gentiment
et lui dit : " Tu sais que les Juifs sont en mon pouvoir. Je peux faire
d'eux ce que bon me semble. Par conséquent, je te demande de prier pour
que j'aie des enfants ". Le Tsadik lui assura qu'il aurait un enfant cette
année-là, et rentra chez lui.
La reine mit au monde une fille d'une grande beauté. A l'âge de
quatre ans, elle connaissait toutes les sciences, savait parler toutes les langues
et était musicienne. Les rois de tous les pays venaient la voir, ce qui
réjouissait fort le roi.
Quelque temps plus tard,
le roi désira un fils, car il ne voulait pas que son royaume revînt
à un étranger. Il décréta encore une fois que les
Juifs prient pour qu'il en fut ainsi. Les Juifs partirent à la recherche
du premier Tsadik, mais ne le trouvèrent pas car il était mort.
Ils cherchèrent encore et trouvèrent un autre Tsadik caché.
Ils lui demandèrent de faire en sorte que le roi ait un fils. Il leur
répondit qu'il ne pouvait pas. Les Juifs en informèrent le roi.
Alors celui-ci dit au Tsadik :
- Tu sais que les Juifs sont en mon pouvoir,. et il lui tint le même discours
qu'au premier Tsadik.
- Feras-tu ce que je t'ordonnerai ?, demanda le sage (le Tsadik).
- Oui.
- J'ai besoin que tu fasses apporter toutes sortes de pierres précieuses,
car chaque pierre a une vertu particulière.
(Les rois possèdent un livre où sont répertoriées
toutes les pierres précieuses).
- Je dépenserais la moitié de mon royaume pour avoir un fils,
répondit le roi.
Puis il fit apporter toutes sortes de pierres précieuses. Le sage les
prit et les réduisit en poudre. Ensuite, ayant pris un gobelet rempli
de vin, il mélangea la poudre de pierres au vin. Enfin, il fit boire
au roi la moitié du gobelet et l'autre moitié à la reine.
Le sage déclara au couple royal que grâce aux pierres précieuses
il leur naîtrait un fils qui posséderait toutes les vertus des
pierres précieuses. Puis il rentra chez lui.
La reine donna le jour à un fils et le roi en fut très content. Mais le fils n'était pas fait de pierres précieuses. A quatre ans, il affichait une très grande beauté et était versé dans toutes les sciences. Il connaissait toutes les langues et des rois venaient le voir. La princesse s'aperçut que son importance diminuait aux yeux des autres et conçut de la jalousie à l'égard du prince. Sa seule et unique consolation était que, contrairement à ce que le Tsadik avait déclaré, le fils n'était pas de pierres précieuses.
Un jour le prince se fit
une entaille au doigt en coupant du bois. La princesse accourut pour le panser
et vit une pierre précieuse dans le doigt du prince. Elle fut très
jalouse et se fit passer pour malade. De nombreux docteurs vinrent la voir,
mais furent incapables de la guérir. On fit alors venir des sorciers.
Elle dévoila la vérité à l'un d'entre eux : elle
avait fait semblant d'être malade à cause de son frère.
Puis elle demanda au sorcier s'il était possible d'ensorceler un homme
de telle sorte qu'il eût la lèpre. L'autre répondit que
oui. Elle dit alors : " Mais peut-être pourra-t-il trouver un sorcier
pour annuler le charme et guérir, non ? " Le sorcier répondit
alors que si on jetait le charme dans l'eau, il ne pouvait pas être annulé.
Elle suivit ses directives et se débarrassa du charme. Le prince devint
lépreux. La lèpre recouvrait son nez, son visage et le reste de
son corps. Le roi consulta des docteurs et des sorciers. Ils furent tous impuissants.
Alors, le roi ordonna aux Juifs de prier. Ceux-ci cherchèrent le Tsadik
qui avait prié pour que le roi ait un fils et l'amenèrent devant
le roi.
Le Tsadik avait l'habitude de prier continuellement Dieu Béni-Soit-Il
car il avait dit au roi que son fils serait entièrement de pierres précieuses,
et cela ne s'était pas réalisé. C'est pourquoi le Tsadik
se plaignait auprès du Tout-Puissant et disait : " Ai-je fait tout
cela pour ma gloire ? Non, c'est pour Ta seule gloire que je l'ai fait. Et aujourd'hui,
ce que j'ai décrété ne s'est pas réalisé.
"
Le Tsadik se rendit donc auprès du roi. Il pria pour la guérison
du prince, mais en vain. Puis on lui fit savoir qu'il s'agissait d'un cas de
sorcellerie. Or, le Tsadik était plus puissant que tous les sorciers.
Arrivé près du roi, il lui dit que le cas relevait de sorcellerie
; et puisque que le charme avait été jeté dans l'eau, le
seul moyen de guérir le prince était de jeter le sorcier responsable
dans l'eau. Le roi dit : " Je livre entre tes mains tous les sorciers.
Qu'on les jette à l'eau, pourvu que mon fils guérisse ! "
La princesse prit peur et se précipita vers l'eau pour en retirer le
charme ; elle savait en effet où il se trouvait. Et elle tomba dans l'eau.
Une clameur s'éleva : " La princesse est tombée à
l'eau ! " Alors, le Tsadik arriva et déclara que le prince allait
guérir.
Et le prince guérit effectivement. La lèpre sécha et tomba.
Il pela et devint tout de pierres précieuses et en eut toutes les vertus.
(Sa peau étant tombée, on put voir qu'il était entièrement
fait de pierres précieuses comme le Tsadik l'avait prédit).
LE ROI HUMBLE
Il était une fois
un roi qui avait un sage à son service. Un jour, il convoqua le sage
et lui dit : " Il y a un roi qui se dit très vaillant, homme de
vérité et d'humilité (c'est-à-dire un homme honnête
et qui ne se vante pas). C'est un héros, je le sais car son pays est
entouré par la mer. Sur cette mer voguent des navires armés de
canons. Des armées sont embarquées sur ces navires et ne laissent
approcher personne. A quelque distance de la mer, sur le continent, on trouve
un grand marécage qui entoure le pays et qui est traversé par
un petit sentier ou un homme seulement peut passer. Là aussi se trouvent
des canons. Si quelqu'un vient déclarer la guerre, on fait tirer le canon.
Personne ne peut s'approcher. Mais je ne sais pas pourquoi il se dit homme de
vérité et d'humilité. Je veux que tu m'apportes le portrait
de ce roi. "
Le roi possédait en effet les portraits de tous les autres rois. Par
contre, aucun roi ne possédait le portrait du roi humble, car ce dernier
restait caché aux regards des hommes. Il trônait derrière
un rideau, loin de ses sujets.
Le sage se mit en route pour le pays de ce roi et se dit qu'il lui fallait connaître la nature du pays, savoir comment il était gouverné. Comment connaître la nature du pays ? Grâce aux plaisanteries propres à celui-ci. Lorsqu'on veut connaître une chose, il faut connaître les plaisanteries qui s'y rapportent. En effet, il y a de nombreuses sortes de plaisanteries. Par exemple, lorsqu'on blesse quelqu'un par des paroles et lorsque l'autre s'en rend compte, on lui dit alors : " Je plaisantais ". Ainsi qu'il est dit dans le verset (Prov. 26:18-19) : "Comme un dément qui lance des brandons et des flèches meurtrières, ainsi fait l'homme qui dupe son prochain et dit : " Mais je plaisantais. " Par ailleurs, quelqu'un qui veut vraiment plaisanter, peut néanmoins blesser l'autre par ses paroles. Il existe ainsi plusieurs sortes de plaisanteries.
Parmi tous les pays, il
s'en trouve un qui inclut tous les autres pays, qui est le principe et la règle
qui les régissent tous. Dans ce pays, se trouve une ville qui inclut
toutes les villes du pays. Dans cette ville, on trouve une maison qui inclut
toutes les maisons de la ville. Dans cette maison-là vit un homme qui
inclut toute la maison ... Et il y a un individu qui fait toutes les farces
et toutes les plaisanteries du pays tout entier.
Le sage se rendit dans le pays du roi humble en emportant beaucoup d'argent.
Il remarqua qu'on s'y raillait et qu'on y plaisantait beaucoup. Grâce
aux plaisanteries, il comprit que le pays était plein de mensonge. Il
vit comment on se moquait des gens, comment on les dupait en affaires. Lorsqu'un
procès avait lieu au tribunal, tout n'était que mensonge et corruption.
Il se rendit auprès d'une cour supérieure, et là aussi,
le mensonge triomphait. On s'y raillait et on y plaisantait à propos
de tout. Le sage comprit par ces plaisanteries que le pays était rempli
de mensonge et de roublardise, et que la vérité y était
absente.
Il entreprit de faire du commerce dans ce pays, et se laissa duper. Il fit un
procès devant les tribunaux où régnaient le mensonge et
la corruption. Aujourd'hui il graissait des pattes ; le lendemain, on ne le
connaissait pas. Il se présenta devant une instance supérieure
; là aussi on ne trouvait que le mensonge. Il finit par se rendre au
sénat ; là encore, mensonge et corruption. Alors, il se présenta
devant le roi
Lorsqu'il fut en sa présence, il lui parla ainsi : " Sur qui règnes-tu
? Tes sujets, petits et grands, ne connaissent que le mensonge. La vérité
est absente ". Il lui décrit la duplicité qui se manifestait
dans le pays.
L'entendant parler, le roi humble inclina son oreille vers le rideau, afin de
saisir ces paroles. Il s'étonna beaucoup qu'il se trouvât un homme
qui connût toute la duplicité du pays. Quant aux ministres, ils
entendirent le discours du sage et en conçurent une grande colère.
Le sage, lui, continuait à dénoncer l'hypocrisie du pays.
Il disait : " On pourrait même dire que le roi est à l'image
de ses sujets et que lui aussi aime le mensonge. Cependant, c'est tout le contraire
; on voit bien que tu es un homme droit, et que tu es loin de tes sujets, car
tu ne peux tolérer le mensonge qui règne chez toi ".
Et il se mit à chanter les louanges du roi. Etant donné que le
roi était très humble et que " partout où tu trouves
sa grandeur, tu trouves aussi son humilité " (Megillah 31a), et
parce que les humbles sont ainsi faits que plus on les loue, plus on les exalte,
et plus ils se font petits et humbles, le sage ayant si grandement loué
et exalté le roi, ce dernier atteint une humilité et une modestie
extrêmes, jusqu'à n'être plus rien.
Il ne put se retenir, rejeta le rideau de côté afin de voir le
sage et savoir qui était celui qui savait et comprenait tout cela. Le
visage du roi fut dévoilé. Le sage le vit, en fit le portrait
et le rapporta à son roi.
LA MOUCHE ET L'ARAIGNEE
Je vais vous raconter le voyage que j'ai fait.
Il était une fois un roi qui avait mené des guerres difficiles. Il les avait toutes gagnées et fait de nombreux prisonniers.
(Vous pensez peut-être que je vais tout vous raconter et que vous allez comprendre ?)
Chaque année, le jour anniversaire de sa victoire, le roi organisait un banquet et un bal. Selon le protocole, tous les ministres et tous les dignitaires y assistaient. On y jouait des comédies, on se moquait des nations, y compris des Turcs. On imitait chaque peuple, ses coutumes et ses murs, et probablement se moquait-on aussi des Juifs.
Un jour, le roi fit apporter
le livre où sont consignées les coutumes et les murs de
chaque nation. Ayant ouvert le livre, il remarqua que les acteurs avaient tout
fidèlement reproduit. Celui qui avait mis en scène la comédie
avait sûrement lu le livre.
Plus tard, alors que le livre était ouvert devant lui, le roi vit une
araignée qui avançait sur la tranche du livre. Sur les pages,
se trouvait une mouche. L'araignée se lançait sans doute à
la poursuite de la mouche. Alors que l'araignée avançait vers
la mouche, le vent se leva et fit tourner les pages du livre. L'araignée
ne put atteindre sa proie et rebroussa chemin, comme si elle abandonnait toute
poursuite. Puis les pages revinrent à leur place. Une nouvelle fois,
l'araignée voulut atteindre la mouche ; la page se souleva à nouveau,
empêchant l'araignée d'arriver à ses fins. L'araignée
rebroussa chemin encore une fois. Le même manège se répéta
plusieurs fois. Finalement l'araignée repartit à la poursuite
de la mouche. Elle s'avança et réussit à poser une patte
sur la page. Alors que l'araignée était en partie sur la page,
cette dernière se souleva, puis revint à sa place. L'araignée
se retrouva coincée entre deux pages. Elle avança encore un peu
et il ne resta presque plus rien d'elle. (Quant à la mouche, je ne vous
raconterai pas ce qui lui arriva).
Le roi avait observé
tout cela et en fut très étonné. Il comprit que ce n'était
pas un simple incident, et qu'on avait voulu lui montrer quelque chose. (Les
ministres avaient vu que le roi avait tout observé et s'était
étonné). Le roi se mit à réfléchir à
cet incident, essayant d'en trouver la signification. Il somnola devant le livre
ouvert, et il rêva :
Dans sa main, il tenait un diamant. Il le regarda et vit des gens en sortir.
Alors il jeta le diamant.
Les rois ont la coutume d'avoir leur portrait accroché au-dessus d'eux.
Et au-dessus du portrait est accrochée leur couronne. Dans son rêve,
le roi vit que les gens sortis du diamant s'étaient emparés de
son portrait et en avaient découpé la tête. Puis, ayant
saisi la couronne, ils l'avaient jetée dans la boue. Ensuite, ils se
précipitèrent sur lui pour l'assassiner. Une des pages du livre
devant lequel il dormait se souleva et le protégea. Ils ne purent arriver
à leurs fins et s'éloignèrent du roi. Alors, la page revint
à sa place. Puis les autres voulurent à nouveau l'assassiner.
La page se souleva à nouveau. Et cela se reproduisit plusieurs fois de
suite.
Le roi voulut à tout prix savoir quelle page lui avait servi de bouclier,
quelle page l'avait protégé et quelle était la nation dont
les coutumes étaient consignées sur cette page. Il était
effrayé à l'idée de regarder et s'écria : "
Au secours ! Au secours ! " Les ministres présents l'entendirent
et voulurent le réveiller. Mais on ne réveille pas un roi n'importe
comment. Ils firent beaucoup de bruit autour de lui, mais il ne les entendit
pas.
Puis, une haute montagne vint à sa rencontre et lui demanda :
- Qu'as-tu à crier ainsi ? Je dors depuis longtemps et personne avant
toi n'a encore réussi à me réveiller.
- Comment ne crierais-je pas, alors qu'ils se dressent contre moi et veulent
m'assassiner ? Seule cette page m'a protégé, lui répondit
le roi.
- Si cette page te sert de bouclier, tu n'as rien à craindre. Nombreux
sont les ennemis qui se dressent aussi contre moi, mais cette page est mon bouclier.
Viens, je vais te montrer.
Elle lui montra des myriades d'ennemis qui se tenaient autour d'elle. Ils festoyaient,
s'amusaient, faisaient de la musique et dansaient. Ils se réjouissaient
de ce qu'un des leurs avait imaginé un stratagème pour escalader
la montagne. C'est pourquoi ils se réjouissaient, festoyaient, faisaient
de la musique et dansaient. Ainsi agissait chaque compagnie. La montagne dit
au roi : " Cependant, la page où sont consignées les coutumes
et qui t'a protégé, me protège aussi ".
Au sommet de la montagne,
se dresse une tablette de bois où sont inscrites les mêmes coutumes
que celles consignées dans le livre, sur la page qui protège le
roi. Or, comme la montagne est très haute, on ne peut pas lire ce qui
est inscrit sur la tablette. Plus bas sur la montagne, il y a une tablette sur
laquelle est écrit que quiconque possède toutes ses dents peut
escalader la montagne. C'est pourquoi, Dieu Béni-Soit-Il a fait croître
une certaine herbe à l'endroit d'où l'on peut escalader la montagne.
A cause de cette herbe, celui qui parvient à cet endroit perd toutes
ses dents. Il peut bien arriver à pied, monter à un cheval ou
dans un chariot, il perd ses dents. A cet endroit s'élèvent des
amas, des collines de dents blanches.
Les gens qui étaient sortis du diamant, remirent le portrait du roi en
place, lavèrent sa couronne et la raccrochèrent à sa place.
Le roi se réveilla et regarda aussitôt la page qui avait été
son bouclier, afin de voir quelles coutumes y étaient consignées.
Il vit qu'il s'agissait des coutumes des Juifs. Il examina attentivement cette
page et comprit la vérité. Il décida de se convertir au
judaïsme. Mais comment procéder pour faire revenir le monde vers
le bien et l'amener à la vérité ?
Il décida de se mettre
à la recherche d'un sage susceptible d'interpréter son rêve
avec exactitude. Il emmena deux hommes avec lui et parcourut le monde. Il ne
voyagea pas comme un roi mais comme un simple mortel. Il se rendit de ville
en ville et demanda où il pourrait trouver un sage capable d'interpréter
un rêve avec précision. On lui dit que le sage qu'il cherchait
vivait à un certain endroit. Il s'y rendit, trouva le sage et lui raconta
toute la vérité : il était roi, avait fait la guerre, etc.
Il lui raconta toutes ses aventures et lui demanda d'interpréter son
rêve.
Le sage lui répondit : " Seul, je ne peux rien interpréter.
Cependant il existe un moment, un certain jour, durant un certain mois, où
je récolte tous les ingrédients, toutes les herbes avec lesquelles
je fais de l'encens. De ces herbes, je prépare une mixture. Quand on
fait des fumigations avec l'encens devant quelqu'un et que cette personne garde
à l'esprit ce qu'elle veut voir et savoir, alors elle sait tout ".
Le roi se dit que, ayant
déjà beaucoup attendu, il attendrait encore le mois et le jour
dont le sage lui avait parlé. Lorsque ce jour arriva, le sage fit les
préparatifs et des fumigations d'encens devant le monarque. Alors, celui-ci
commença à voir. Il vit même ce qui lui était arrivé
avant sa naissance, lorsque son âme était encore dans le monde
supérieur. Et. voici ce qu'il vit :
On promenait son âme à travers tous les mondes. Puis on invita
quiconque ayant un grief contre cette âme à se faire connaître.
Personne ne se manifesta. Finalement, quelqu'un accourut, se présenta
et cria : " Maître de l'Univers ! Ecoute ma supplique ! Si celui-ci
vient au monde, que me restera-t-il à faire ? Et pourquoi m'avoir créé
? " Celui qui avait crié ainsi était le Samech Mem en personne.
Il avait crié ainsi parce que si cette âme venait sur terre, il
n'aurait plus rien à accomplir.
On lui répondit : " Cette âme doit descendre dans le monde.
Quant à toi, tu n'as qu'à trouver une solution à ton problème
". Celui qui avait crié partit. Puis on promena encore l'âme
à travers les mondes, et on l'amena devant le Beth Din d'En-Haut, pour
prêter serment avant de descendre sur terre. Le Samech Mem n'était
pas encore arrivé. On lui envoya un messager et il arriva. Un homme très
vieux et tout courbé l'accompagnait. Le Baal Davar connaissait ce vieil
homme depuis très longtemps. Il dit en riant : " J'ai trouvé
la solution à mon problème ! Maintenant, l'âme peut descendre
dans le monde ! " On autorisa l'âme à descendre dans le monde.
Le roi vit tout ce qui lui était arrivé, du début à
la fin. Il vit comment il était devenu roi, les guerres qu'il avait menées
ainsi que les prisonniers qu'il avait faits. Parmi eux se trouvait " une
femme de belle figure " (Deut. 2I:II), qui possédait toute la grâce
du monde. Cependant, cette grâce n'émanait pas de sa personne mais
d'un diamant qu'elle portait. Ce diamant renfermait toute la grâce du
monde la transmettait à la belle captive.
Et sur la montagne, ne peuvent venir que les sages et les riches...
(Le Rebbe Rabbi Na'hman) n'est pas allé plus loin dans sa narration).
Il y aurait encore beaucoup
de choses à dire.
(Ce qui est dit à propos des captifs n'est pas aussi bien exprimé
que ce qu'il a raconté.)
Psaume de David quand il prit la fuite : " Seigneur, que mes ennemis sont nombreux ! Beaucoup se dressent contre moi... Mais toi, ô Eternel, Tu es un bouclier qui me protège. Tu es mon honneur et me fais porter la tête haute. " (Psaume n°3).
Interprète bien ce psaume et comprends le bien. Tu verras que toute l'histoire y fait allusion.
HISTOIRE D'UN RAV ET
DE SON FILS UNIQUE
Il était une fois un rav qui n'avait pas d'enfant. Il finit par avoir
un fils, qu'il éleva et maria. Ce fils unique passait son temps à
étudier dans une petite pièce, comme c'était l'usage chez
les gens riches. Il étudiait et priait continuellement. Cependant, il
sentait que quelque chose lui manquait, mais ignorait quoi. Il ne trouvait plus
aucun goût à l'étude, ni à la prière. Il en
fit part à deux jeunes gens qui lui conseillèrent d'aller chez
un certain Tsadik.
Le fils unique accomplit une Mitsvah qui le fit passer dans la catégorie
de " Petit Luminaire ".
Il se rendit auprès de son père et lui déclara ne plus
trouver aucun goût à servir Dieu (c'est-à-dire à
prier, à étudier, etc.). Il lui dit encore qu'il lui manquait
quelque chose et qu'il ne savait pas quoi. " C'est pourquoi je pars chez
le Tsadik ".
Son père lui répondit : " Comment se fait-il que tu ailles
chez lui ? Tu es plus érudit que lui et tu es de meilleure naissance.
Il n'est pas bon que tu ailles le voir. Détourne-toi de cette voie ".
Il lui cita encore d'autres arguments et réussit à l'empêcher
de se rendre chez le Tsadik.
Le fils unique se remit
à l'étude. A nouveau, il ressentit un manque. Il prit encore conseil
auprès des jeunes gens et ceux-ci lui répétèrent
de partir chez le Tsadik. Il se rendit une nouvelle fois chez son père
qui le dissuada encore. Et tout cela se reproduisit à plusieurs reprises.
Le fils unique sentait toujours qu'il lui manquait quelque chose. Il se languissait
de pouvoir corriger cette imperfection dont il ignorait la nature exacte. Il
se rendit à nouveau auprès de son père et le supplia tant
et si bien que ce dernier fut obligé de l'accompagner, car il ne voulait
pas que son fils unique voyage seul. Il lui dit : " Regarde, je vais venir
avec toi et je te démontrerai que ce Tsadik n'est rien ".
Ils attelèrent les chevaux à la voiture et se mirent en route.
Puis le rav dit à son fils : " Ecoute, je pose une condition : si
le voyage se passe bien, cela voudra dire que le ciel ne s'y oppose pas. Dans
le cas contraire, c'est que le ciel s'y oppose et nous rebrousserons chemin
". Et ils roulèrent.
En arrivant sur une passerelle, l'un des chevaux tomba, la voiture se retourna
et père et fils faillirent se noyer. Le père dit alors : "
Tu vois bien que rien ne va et que ce voyage n'est pas voulu par le ciel ".
Ils rentrèrent chez eux.
Le fils unique s'était
remis à étudier et avait encore senti qu'une chose lui manquait
mais il ne put la nommer. Il supplia encore son père lequel dut à
nouveau partir avec lui. En chemin, il posa la même condition que précédemment
: au cas où le voyage se passerait normalement, etc.
Sur la route, les deux essieux cassèrent. Le père dit à
son fils : " Tu vois bien toi-même que ce voyage n'est pas pour nous.
Est-il naturel que les deux essieux cassent ? Combien de fois avons nous roulé
avec cette voiture sans que pareille chose ne se produise ? " Pour la deuxième
fois, ils rebroussèrent chemin.
Le fils unique s'était
à nouveau remis à l'étude et ressentit le même manque.
Les jeunes gens le persuadèrent encore et encore de partir. Il se rendit
à nouveau auprès de son père et le supplia. Son père
fut une fois de plus obligé de l'accompagner. Cette fois, le fils unique
demanda à son père de ne pas poser de condition, car il était
tout naturel qu'un cheval tombe, ou que des essieux cassent, à moins
que quelque chose d'inhabituel ne se produise. Ils partirent, et à la
nuit tombée, ils arrivèrent à une auberge où ils
rencontrèrent un marchand.
Ils commencèrent à discuter avec lui, comme c'est l'habitude chez
les commerçants, mais sans lui dévoiler leur destination, qui
était l'endroit où habitait le Tsadik. En effet, le rav avait
honte de dire qu'il se rendait chez le Tsadik.
Ils parlèrent de choses diverses et furent amenés à évoquer
les Tsadikim et les endroits où on pouvait les rencontrer. Le marchand
leur dit que des Tsadikim vivaient ici et là. Puis, le rav et son fils
en vinrent à parler du Tsadik chez qui ils se rendaient. Alors, le marchand
leur dit, l'air étonné : " Celui-là ? C'est un homme
vil ! Je reviens de chez lui et j'étais présent quand il a transgressé
un commandement. "
Le père dit à son fils : " Mon enfant, tu as entendu ce qu'a
dit le marchand. Il a parlé sans malice, seul le tour pris par la conversation
lui a fait prononcer ces mots. Il revient de chez le Tsadik. "
Le rav et son fils unique rentrèrent donc chez eux.
Le fils mourut. Il vint
en rêve à son père. Ce dernier remarqua que son fils était
très en colère et lui demanda : " Pourquoi es-tu si en colère
? " Il lui répondit que s'il se rendait auprès du Tsadik
chez qui ils avaient voulu aller, celui-ci lui dirait lui-même pourquoi
il était en colère.
Le rav se réveilla et se dit que ce n'était qu'un songe. Puis
il fit ce même rêve une seconde fois et se dit que ce n'était
qu'une hallucination. Il rêva trois fois. Il se rendit alors compte que
ce n'était pas fortuit.
Il partit chez le Tsadik qu'il avait auparavant voulu rencontrer avec son fils.
En chemin, il rencontra le même marchand qu'à son premier voyage.
Le rav reconnut le marchand et lui dit :
- Tu es celui que j'ai vu à l'auberge.
- Bien sûr, tu m'as vu ! répondit l'autre. Puis il ouvrit grand
la bouche et ajouta :
- Si tu veux, je vais t'avaler !
- Que veux-tu dire ?
- Te rappelles-tu avoir voyagé avec ton fils ? La première fois,
un cheval est tombé en traversant la passerelle et tu as rebroussé
chemin ; ensuite, les essieux ont cassé ; et enfin, tu m'as rencontré.
Je t'ai alors dit que le Tsadik était un homme vil. Maintenant que j'ai
tué ton fils, tu peux continuer ta route. Ton fils appartenait à
la catégorie du " Petit Luminaire " et le Tsadik chez qui il
voulait se rendre, à celle du " Grand Luminaire ". Si ces deux-là
s'étaient réunis, le Messie serait venu. Maintenant que j'ai fait
disparaître ton fils, tu peux aller.
Le marchand disparut soudainement au milieu de son discours et le rav n'eut
plus personne en face de lui
Le rav se rendit chez le Tsadik et s'écria : " Malheur ! Malheur ! Malheur pour celui qui est perdu et qu'on ne peut retrouver ! " (Exode Rabba 6:4)
Le marchand était
en fait le Samech Mem en personne ; il s'était déguisé
et les avait trompés. En rencontrant le rav pour la deuxième fois,
il s'était moqué de lui car ce dernier l'avait écouté.
En effet, telle est l'habitude du Yetser HaRa : d'abord il parle à l'homme
et si celui-ci l'écoute, à Dieu ne plaise, il le provoque et se
venge.
Que Dieu Béni-Soit-Il nous en préserve et nous ramène vers
la juste vérité, Amen.
L'HISTOIRE DE 'HACHAM ET DE TAM
Il était une fois,
dans une ville, deux bourgeois. Ils étaient très riches et possédaient
de grandes maisons. Les deux bourgeois avaient deux fils, c'est-à-dire
que chacun avait un fils. Les deux enfants étudiaient ensembles au même
'heder. L'un d'eux, 'Hacham, brillait d'intelligence ; l'autre, Tam, était
simple (non pas qu'il fût idiot, mais il était simple, sans subtilité).
Les deux enfants s'aimaient beaucoup, bien que l'un fût très intelligent
et que l'autre eût l'esprit simple. Ils s'aimaient beaucoup.
Un jour, les deux bourgeois virent leur fortune décroître tant
et si bien qu'ils perdirent tout et devinrent pauvres. Il ne leur resta plus
que leurs maisons. Les enfants avaient grandi, et les deux hommes leur déclarèrent
: " Nous n'avons plus de quoi vous nourrir et subvenir à vos besoins.
Faites ce que vous pouvez. " Tam partit apprendre le métier de cordonnier.
'Hacham, qui était très intelligent et très savant, ne
voulait pas se contenter d'un si petit métier. Il décida de parcourir
le monde, d'observer et de prendre ensuite une décision à propos
de son avenir.
Il se rendit au marché
et aperçut un grand chariot qui passait, tiré par quatre chevaux.
Il interpella les marchands et leur demanda :
- D'où êtes-vous ?
- De Varsovie.
- Où allez-vous ?
- A Varsovie.
- Peut-être avez-vous besoin d'un petit serviteur ?
Les marchands virent qu'il était intelligent et actif, et il leur plut.
Ils l'emmenèrent avec eux et il les servit très bien pendant le
voyage. Il arriva donc à Varsovie, et son intelligence lui fit dire :
" Me voici à Varsovie. Pourquoi resterais-je avec ces marchands
? Peut-être puis-je trouver meilleure place. Allons voir ! " Il se
dirigea vers le marché tout en réfléchissant et posa des
questions sur les gens qui l'avaient amené, afin de savoir s'il n'existait
pas une meilleure place que chez eux. On lui répondit que ces gens étaient
honnêtes et que la place était bonne quoique difficile, car ils
faisaient du commerce dans des endroits très éloignés.
Il continua son chemin et remarqua des commis qui arrivaient au marché.
Ils avaient l'allure et les manières propres à leur profession,
avec leurs chapeaux, leurs chaussures pointues, et toutes les affectations que
révélaient leur pas et leur habillement. En jeune homme intelligent
et malin, cela lui plut beaucoup. C'était aussi joli à voir que
ce qu'il avait connu chez lui.
Il se rendit chez les gens qui l'avaient amené et les remercia, disant
qu'il ne lui convenait pas de rester avec eux. Il les avait servis en chemin
en échange du transport. Il prit donc congé d'eux et se mit au
service d'un patron.
Voici la carrière d'un employé. On commence en simple apprenti
et il faut travailler dur pour un maigre salaire. Ensuite, on devient un employé
d'un rang un peu plus élevé.
Le patron de 'Hacham le fit travailler durement. Il l'envoyait porter des marchandises
à des commissionnaires, car c'est la tâche des coursiers de porter
des balles de tissus sous le bras. Un jour, 'Hacham dut monter sa marchandise
jusqu'à un grenier. Ce travail lui était pénible, et comme
il était philosophe et intelligent, il se dit : " Qu'ai-je besoin
de ce travail ? L'essentiel est d'avoir un but, de se marier et de subvenir
à ses propres besoins. Mais je n'ai pas besoin de m'occuper de cela pour
l'instant, je verrai plus tard. Mieux vaut voyager dans le monde et visiter
des pays ".
Il se rendit au marché et vit des marchands qui se mettaient en route
à bord d'un grand chariot. Il leur demanda :
- Où allez-vous ?
- A Livourne.
- Me prendrez-vous avec vous ?
- Oui.
Ils l'emmenèrent et partit ainsi pour l'Italie. Après l'Italie,
il partit pour l'Espagne.
Les années passèrent.
Ayant visité de nombreux pays, 'Hacham accrut encore son savoir. Il se
dit qu'il devait à présent garder les yeux fixés sur un
but, et aidé de sa philosophie, il réfléchit à ce
qu'il allait faire. Il fut séduit par l'idée d'apprendre l'orfèvrerie,
car c'est un bel et noble art qui demande beaucoup de finesse et rapporte bien.
'Hacham, philosophe et intelligent, n'eut pas besoin d'apprendre cet art durant
de longues années. Il le maîtrisa en trois mois et devint un grand
artisan. Il connaissait son art mieux que son propre professeur. Plus tard,
il se dit : " J'ai un métier dans les mains, mais ce n'est pas suffisant.
Aujourd'hui c'est ce métier qui compte, mais demain il en sera peut-être
autrement. " II entra donc au service d'un joaillier et grâce à
son intelligence, il maîtrisa l'art de la joaillerie en peu de temps,
en trois mois. Sa philosophie lui fit dire : " Me voici en possession de
deux professions. Qui sait quelle sera leur importance plus tard ? Il serait
bon que j'apprenne un métier qui ait toujours de la valeur." Après
avoir mûrement réfléchi, il décida d'apprendre la
médecine, car c'est une chose dont on a toujours besoin et qui aura toujours
de l'importance. D'habitude, pour étudier la médecine, il faut
commencer par apprendre à lire et à écrire le latin ; il
faut aussi étudier la philosophie. 'Hacham, doté d'une vive intelligence,
apprit tout cela en peu de temps, en trois mois. Il devint un grand médecin
et un grand philosophe ; il était versé dans toutes les sciences.
Alors, le monde lui parut totalement insignifiant. Son intelligence lui faisait
penser qu'il était le seul à posséder ce don, puisqu'il
était un si grand artisan, un si grand savant et un si grand médecin.
A ses yeux, le reste du monde était insignifiant.
Puis il décida de se fixer un but et de prendre femme. Il réfléchit
et se dit : " Si je me marie ici, qui saura ce qu'il est advenu de moi
?. Mieux vaut rentrer chez moi afin que les gens voient ce que je suis devenu.
Je n'étais qu'un adolescent lorsque je suis parti et maintenant j'ai
acquis de l'importance ". Il se mit en route et rentra chez lui. Son intelligence
lui causa beaucoup d'ennuis sur le chemin ; il ne put parler à personne
et ne trouva pas d'auberge à sa convenance. Il n'eut que des désagréments.
Abandonnons pour l'instant
l'histoire de 'Hacham. Nous allons raconter maintenant celle de Tam.
Tam avait appris le métier de cordonnier. Comme il était simple,
il dut l'apprendre longtemps avant de pouvoir l'exercer. Il ne le connaissait
pas parfaitement mais il en vivait et se maria. Etant simple et ne maîtrisant
pas son métier comme il aurait dû, il gagnait sa vie maigrement
et difficilement. Il n'avait pas même le temps de manger car, n'exerçant
pas sa profession parfaitement, il devait sans cesse travailler. Mais tout en
travaillant, alors qu'il poussait l'alêne et faisait passer le fil, il
mordait dans un bout de pain et mangeait. Il était toujours gai et joyeux.
Il disposait de toutes les nourritures, de toutes les boissons et de tous les
vêtements. Il disait à sa femme : " Ma femme, donne-moi à
manger ! " Elle lui donnait un morceau de pain qu'il mangeait. Puis il
disait : " Donne-moi du bouillon et de la kasha." Elle lui coupait
encore un morceau de pain et il le mangeait. Il complimentait sa femme et lui
disait : " Comme ce bouillon est délicieux ! " Puis, il demandait
de la viande et elle lui donnait encore du pain. Il mangeait et complimentait
sa femme : " Cette viande est vraiment bonne ! " Il lui demandait
aussi de lui donner d'autres mets délicieux et pour chaque mets qu'il
réclamait, elle lui donnait du pain. Il en tirait grand plaisir et faisait
l'éloge de chaque plat, en vantait la saveur, comme s'il en avait réellement
goûté. En fait, dans chaque morceau de pain, il retrouvait réellement
le goût des plats qu'il désirait. Grâce à sa simplicité
et à sa joie, manger du pain était pour lui comme manger de toutes
sortes de mets.
Puis il disait : " Ma femme, donne-moi de la bière. " Elle
lui servait de l'eau et il en faisait l'éloge : " Cette bière
est savoureuse ! " Il réclamait un alcool et sa femme lui apportait
de l'eau dont il faisait aussi l'éloge : " Le bon alcool que voilà
! Sers-moi du vin ou quelqu'autre boisson ! " Elle ne lui donnait que de
l'eau. Il goûtait et vantait la boisson, comme s'il en avait réellement
bu.
Il en était de même pour les vêtements. Tam et sa femme n'avaient
tous les deux qu'une peau de mouton. Lorsque Tam avait besoin d'une peau de
mouton pour aller au marché, il disait : " Ma femme, donne-moi la
peau de mouton. " Elle la lui apportait. Lorsqu'il avait besoin d'une pelisse
pour rendre visite à quelqu'un, il disait : " Donne-moi ma pelisse.
" Elle lui donnait sa peau de mouton. Il l'appréciait beaucoup et
disait en termes élogieux : " Quelle belle pelisse ! " Avait-il
besoin d'un caftan pour aller à la synagogue ? Il disait : " Ma
femme, donne-moi le caftan ! " Elle lui donnait la peau de mouton et il
disait : " Quel beau caftan !" Quand il avait besoin d'une blouse,
sa femme lui donnait la peau de mouton. Il en faisait l'éloge et disait
: " Quelle belle blouse ! " Il en était ainsi pour chaque chose
et Tam était toujours gai, joyeux et ravi.
Lorsqu'il avait terminé une chaussure, il y avait de fortes chances qu'elle
eût trois extrémités, car il connaissait mal son métier.
Il prenait la chaussure en main et en faisait l'éloge ; très content,
il disait : " Ma femme, quelle beauté dans ce petit soulier, quelle
douceur extrême, quel amour de soulier ! " Sa femme lui répondait
: " S'il en est ainsi, pourquoi les autres cordonniers réclament-ils
trois gulden pour une paire de chaussures, alors que toi, tu ne demandes qu'un
thaler (un gulden et demi) ? " Il lui répondait : " Qu'est-ce
que ça peut bien faire ? C'est leur affaire, et ceci est mon affaire.
D'ailleurs, pourquoi parler des autres ? Voyons seulement combien je gagne avec
ce petit soulier : le cuir me coûte tant, la résine et le fil tant,
les clous et le reste tant. Voilà, je gagne dix groschen. A quoi bon
me faire du souci, quand je réalise un tel profit ? " Et il restait
toujours gai et joyeux ; un véritable objet de moquerie pour les autres.
Avec lui, les gens obtenaient ce qu'ils voulaient, car ils avaient quelqu'un
de qui se moquer à leur convenance. A leurs yeux, il était fou.
Certaines personnes allaient lui rendre visite et faisaient exprès d'entamer
une discussion avec lui, afin d'avoir quelque chose à ridiculiser. Tam
répondait sans moquerie, et dès qu'on lui parlait sans moquerie,
il écoutait et se mettait à discuter, car, étant simple,
il ne voulait pas avoir recours à des subtilités, qui n'étaient
finalement que moqueries. Lorsqu'il s'apercevait qu'on se moquait de lui, il
disait : " Tu es plus malin que moi ? Et alors ? En fait, tu es un imbécile,
car que suis-je ? En étant plus malin que moi, tu n'es qu'un imbécile
? " Telle était la nature de Tam.
Retrouvons maintenant 'Hacham.
Un jour, le bruit courut que 'Hacham était en route et qu'il arrivait
couvert de gloire et d'intelligence. Tam, très joyeux, courut à
sa rencontre. Il avait dit à sa femme : " Donne-moi vite ma blouse
que je puisse aller retrouver mon cher camarade et le revoir ! " Elle lui
donna la peau de mouton et il courut à la rencontre de son ami.
'Hacham voyageait dans une voiture, de façon altière. Tam accourut
au devant de lui et le salua avec beaucoup de joie et d'affection : " Mon
cher frère, comment vas-tu ? Dieu soit loué de t'avoir ramené
et de m'avoir accordé le mérite de te revoir ! " 'Hacham
le fixa du regard. Pour lui, le monde ne comptait pas, à plus forte raison
cet individu qui ressemblait à un fou. (On se souvient que pour 'Hacham,
tous les hommes ne comptaient pas, car il s'estimait plus intelligent qu'eux).
Pourtant, à cause de cette amitié de jeunesse, du temps où
Tam et lui s'aimaient, il se rapprocha de lui et entra en ville en sa compagnie.
Les deux bourgeois, pères des deux enfants 'Hacham et Tam, étaient
morts alors que 'Hacham se trouvait à l'étranger, et avaient laissé
leurs maisons. Tam était resté dans sa ville et dans la maison
qu'il avait héritée de son père. Mais comme 'Hacham était
alors à l'étranger, personne n'avait repris la maison de son père
laquelle resta vide et abandonnée ; il n'en restait plus rien. A son
retour, 'Hacham n'eut nulle part où habiter. Il logea donc dans une auberge
où il fut malheureux car elle n'était pas à son goût.
Tam, quant à lui, avait trouvé une nouvelle activité :
il courait sans cesse chez 'Hacham, plein de joie et d'affection. Il remarqua
la tristesse de 'Hacham logé à l'auberge et lui dit : " Mon
frère, viens chez moi, dans ma maison. Tu habiteras avec moi et le peu
que je possède, y compris ma maison, seront à toi. " Cela
plut à 'Hacham ; il partit s'installer chez Tam.
Cependant, 'Hacham demeurait malheureux, car il se croyait un génie,
un artisan de talent et un grand médecin. Un jour, un seigneur lui rendit
visite et lui demanda de lui fabriquer une bague en or. Il exécuta un
bijou très délicat sur lequel il grava de jolies scènes
et un arbre qui était une merveille. Le seigneur revint plus tard et
la bague ne lui plut pas. 'Hacham en fut très malheureux, car il savait
en son for intérieur, que cette bague gravée de l'arbre aurait
eu beaucoup de valeur en Espagne. C'était une pure merveille, et ici,
elle ne plaisait pas.
Une autre fois, un gros propriétaire lui apporta un diamant précieux
qui lui avait été rapporté d'une contrée lointaine,
ainsi qu'un diamant gravé. Il demanda à 'Hacham de reproduire
la même scène sur le premier diamant. 'Hacham exécuta une
réplique exacte de la scène, à l'exception d'un détail
qui faisait défaut et dont nul autre que lui ne pouvait remarquer l'absence.
Le propriétaire vint récupérer son diamant et en fut enchanté.
Mais 'Hacham fut très malheureux de l'erreur qu'il avait commise. Il
se dit : " Habile comme je suis, j'ai pourtant fait une erreur ! "
En médecine aussi, il était malheureux. Il rendait visite à
un malade, lui administrait un remède de bonne qualité et dont
il savait pertinemment qu'il aurait un effet salutaire sur le patient, et il
arrivait que le malade mourût. Les gens le mettaient en cause et cela
le rendait très triste. Un jour, il administra un remède à
un malade et celui-ci guérit. Les gens dirent alors que la guérison
était accidentelle et non due à 'Hacham. Cette affaire l'avait
profondément attristé et sa tristesse persista.
Lorsqu'il avait besoin d'un habit, il faisait venir le tailleur et souffrait
jusqu'à lui avoir fait comprendre quelle sorte de vêtement il désirait.
Le tailleur, qui connaissait son métier, réussissait à
faire l'habit répondant à la volonté de son client. Mais
un jour, il fit une erreur sur un revers et le rata. 'Hacham fut très
malheureux car il savait que, bien qu'ici personne ne pût comprendre,
" en Espagne on eût ri de moi à cause de ce revers et j'aurais
eu l'air ridicule. "
Tam rendait toujours visite
à 'Hacham plein de joie et d'entrain. Chaque fois, il trouvait son ami
malheureux et l'âme en peine. Il lui disait : " Pourquoi quelqu'un
d'aussi intelligent et riche que toi est-il toujours malheureux ? Et pourquoi
suis-je toujours joyeux ? "
'Hacham ressentait cela comme une moquerie et prenait Tam pour un fou.
Un jour, Tam lui dit :
- Même les gens ordinaires, lorsqu'ils se moquent de moi, sont des imbéciles.
En étant plus malins que moi, ils n'en sont que plus sots. A plus forte
raison un génie comme toi ; quelle importance que tu sois plus intelligent
que moi ? Que le Très-Haut t'accorde d'arriver à ma condition,
de devenir simple comme moi !, ajouta-t-il
- Serait-il possible pour moi d'arriver à ta condition ? Si Dieu me retirait
toute intelligence ou faisait que je tombe malade, à Dieu ne plaise,
il se pourrait que je devienne fou, car toi, tu n'es qu'un fou ! En revanche,
il est impossible que toi tu arrives à ma condition. Jamais tu ne seras
un génie comme moi !
- Pour Dieu Béni-Soit-Il, tout est possible. Je peux arriver à
ta hauteur en un clin d'il, lui répondit Tam ;
'Hacham se moqua de lui.
Les gens prirent l'habitude d'appeler les deux enfants 'Hacham et Tam. Le monde
contenait bon nombre de gens très intelligents et de gens simples, mais
ici, c'était plus évident car les deux enfants venaient de la
même ville et avaient étudié au même 'héder.
La vive intelligence de 'Hacham, la simplicité de Tam leur valurent leurs
surnoms. Dans les registres royaux, chacun est inscrit avec les noms des gens
de sa famille. Les deux enfants y figuraient sous les noms de 'Hacham et de
Tam.
Un jour, le roi consulta
ses registres et remarqua les deux noms tels qu'ils étaient inscrits
: 'Hacham et Tam. Il s'étonna que deux personnes portent de tels surnoms.
Il désira les rencontrer et se dit : " Si je les convoque à
l'improviste, ils vont être effrayés. 'Hacham ne saura pas quoi
répondre, et Tam pourra devenir fou de peur. " Il décida
donc d'envoyer un sage chez 'Hacham et un benêt chez Tam. Mais où
trouver un sot dans la capitale du royaume ? En effet, dans la ville où
réside le roi, la plupart des gens sont intelligents. Seul celui qui
est en la charge du trésor royal est un benêt. En effet, jamais
un homme intelligent n'aura la charge de trésorier, de peur qu'il n'utilise
ses facultés intellectuelles pour dilapider le trésor royal. Voilà
pourquoi la charge de trésorier est confiée à un imbécile.
Le roi convoqua un sage et le benêt (le trésorier) et les envoya
respectivement chez 'Hacham et chez Tam. Il fit remettre à chacun une
lettre ainsi qu'une autre missive destinée au gouverneur de la province
où 'Hacham et Tam résidaient. Dans la lettre adressée au
gouverneur, le roi ordonnait à celui-ci d'envoyer des lettres en son
nom à 'Hacham et à Tam, afin de ne pas les effrayer. Il devait
leur dire que l'affaire n'avait pas de caractère urgent, que le roi ne
leur intimait pas l'ordre de venir. Ils avaient le choix et le roi aimerait
simplement les rencontrer.
Les deux messagers, le sage et le benêt partirent et arrivèrent
chez le gouverneur. Ils lui remirent les lettres. Le gouverneur fit enquêter
sur les deux enfants ; on lui fit savoir que 'Hacham était d'une intelligence
hors du commun et très fortuné, tandis que Tam était un
homme des plus ordinaires possédant beaucoup de vêtements grâce
à sa seule peau de mouton. Le gouverneur pensa qu'il ne serait pas convenable
d'amener Tam chez le roi ainsi vêtu. Il fit faire des vêtements
convenables, les fit déposer dans le chariot de Tam, et donna les lettres
aux messagers.
Les messagers partirent ; le sage se rendit chez 'Hacham et lui donna la lettre,
pendant que le benêt se rendait chez Tam pour lui remettre la lettre qui
lui était destinée.
Lorsqu'il reçut la lettre, Tam demanda au messager, qui était
simple lui aussi :
- Je ne sais pas ce qui est écrit dans cette lettre, tu vas me la lire.
- Je vais te dire par coeur son contenu : le roi désire te voir.
- Ce n'est pas une plaisanterie au moins ?
- Non ce n'est pas une plaisanterie. C'est la pure vérité.
A ces mots, Tam fut très joyeux et courut annoncer la nouvelle à
sa femme :
- Ma femme, le roi m'a convoqué !
- Qu'est-ce que cela veut dire, le roi t'a convoqué ?
Il n'avait pas le temps de lui répondre et se prépara joyeusement
en un clin d'il. Puis il partit s'installer dans le chariot pour voyager
avec le messager. Il aperçut les vêtements que le gouverneur avait
fait confectionner et placer dans le chariot et il en fut ravi : il avait même
des vêtements ! Il était comblé !
Entre-temps, on fit savoir
au roi que le gouverneur agissait avec tromperie. Le roi le fit révoquer
et pensa qu'il serait bon d'accorder cette charge à un homme simple,
car celui-ci gouvernerait la province avec justice et équité,
sans ruses ni manigances. L'idée de nommer Tam gouverneur lui plut et
il ordonna sa nomination à ce poste. Comme Tam devait traverser la ville
du gouverneur, il fallut poster des gardes aux portes de la ville afin qu'il
fût informé dès son arrivée de sa nomination au poste
de gouverneur. Ainsi fut fait. On posta des gardes, et lorsque Tam arriva, on
lui dit de s'arrêter et on lui annonça qu'il était gouverneur.
Il dit : " Ce n'est pas une plaisanterie, au moins ? " On répondit
: " C'est la vérité, ce n'est pas une plaisanterie. "
Tam devint immédiatement gouverneur, avec l'autorité et les pouvoirs
qui lui revenaient. Comme la chance commençait à lui sourire,
et comme " la chance rend intelligent " (Shabbat I56a), il commença
à faire preuve d'intelligence. Toutefois, il n'en abusait pas. Son comportement
ne changea pas ; il gouvernait avec justice et droiture. Il ne trompait personne
et ne lésait personne. Pour diriger une province, point n'est besoin
de ruses ni de manigances ; la simplicité et la droiture suffisent. Lorsque
deux plaideurs se présentaient devant lui, il disait : " Tu es innocent,
et toi tu es coupable. " Sa simplicité et sa sincérité
ne contenaient ni mensonge ni ruse ; il menait ses affaires avec honnêteté.
Il était aimé de tout le monde et avait des conseillers dévoués
qui l'aimaient sincèrement.
Par amitié, un de ses conseillers lui donna un jour le conseil suivant
: " Tu vas devoir te présenter devant le roi, car il t'a convoqué.
Qui plus est, un gouverneur doit se présenter devant le roi. Tu es un
homme honorable, et le roi ne trouvera aucune duplicité dans ta façon
de conduire le pays. Cependant, sache que le roi a l'habitude, lorsqu'il discute,
de faire des digressions et de se mettre à parler de sagesse. Il parle
aussi des langues étrangères, et la politesse et le protocole
veulent que tu sois capable de lui répondre. C'est pourquoi il serait
bon que je t'enseigne les sciences et les langues. "
Ce discours plut à Tam : il se dit : " Pourquoi ne pas apprendre
les sciences et les langues ? " Il apprit ces disciplines et les assimila.
Aussitôt, lui revint à l'esprit ce que son camarade 'Hacham lui
avait dit un jour : il lui serait impossible de parvenir à son niveau.
" Et voilà que j'y suis parvenu ! " Et bien qu'il connût
les sciences, Tam n'en faisait pas usage et continuait à gouverner avec
simplicité comme auparavant. Puis, le roi convoqua Tam, le gouverneur,
qui répondit à sa convocation. Le roi lui parla d'abord du gouvernement
du pays. Il fut ravi de voir que Tam gouvernait avec droiture, sans ruses ni
tromperies. Puis il se mit à parler des sciences et des langues. Tam
sut lui répondre comme il le fallait. Le roi en fut encore plus ravi
et dit : " Je vois que c'est un sage et que sa simplicité dicte
sa conduite. " II en fut très content et le nomma Premier Ministre.
Il ordonna de lui accorder une ville particulière où il résiderait,
et de faire construire des bâtiments d'une beauté digne de lui.
Il remit à Tam un document écrit attestant qu'il était
ministre. On construisit de beaux bâtiments dans cette ville désignée
par le roi, puis Tam reçut sa nouvelle charge et toute l'autorité
qu'elle lui conférait.
Lorsque 'Hacham reçut
la lettre du roi, il dit au sage : " Attends un peu et passe la nuit ici.
Nous allons discuter et prendre une décision. " Le soir venu, il
prépara un festin en l'honneur de son hôte. Durant le repas, 'Hacham
réfléchit, mettant à contribution toutes ses facultés
intellectuelles et toute la philosophie qu'il connaissait. Puis il dit :
- Quelle peut être la signification de tout cela ? Un roi convoque quelqu'un
d'aussi insignifiant que moi. Qui suis-je pour que le roi me convoque ? Un si
grand roi doté d'un si grand royaume, et moi qui suis si petit comparé
à sa grandeur. Comment imaginer que le roi me convoque ? Dirai-je qu'il
me convoque à cause de mon intelligence ? Que suis-je face à lui
? Le roi n'a-t-il pas de sages à son service ? Il est sûrement
lui-même d'une grande sagesse. Pour quelle raison me convoque-t-il ?
Il était très étonné et s'adressa au messager :
- Vois-tu, je vais te dire une chose. Je suis convaincu qu'il n'existe aucun
roi dans le monde. Tous ceux qui pensent qu'il y en a un se trompent. C'est
tout le contraire. Ecoute, comment se pourrait-il que le monde entier se place
entre les mains d'un seul homme qui serait roi ? De toute évidence, il
n'y a pas de roi en ce monde.
- Je t'ai apporté une lettre du roi ! répondit le messager.
- Est-ce le roi en personne qui t'a remis la lettre ?, demanda 'Hacham.
- Non. Quelqu'un d'autre me l'a confiée au nom du roi.
- Eh oui ! Tu vois bien que j'ai raison, il n'y a pas de roi. D'ailleurs, tu
viens de la capitale royale et tu y as grandi. Dis-moi donc, as-tu jamais vu
le roi ?
- Non.
- Tu vois bien que j'ai raison, il n'y a pas de roi, car même toi, tu
ne l'as jamais vu.
- Si c'est ainsi, qui dirige le pays ?
- Je vais t'expliquer, car je connais bien tous ces problèmes. Tu fais
bien de me poser la question, car j'ai visité de nombreux pays. Je suis
allé en Italie où les choses se passent de la façon suivante
: il y a soixante-dix conseillers qui ont le pouvoir pendant un temps déterminé.
Les charges ministérielles sont confiées à tour de rôle.
Elles sont d'abord confiées aux premiers conseillers ; puis ceux-ci sont
démis de leurs fonctions et d'autres prennent le relais et dirigent le
pays, et ainsi de suite.
Ces paroles eurent de l'effet sur le sage, et bientôt, il fut persuadé
avec 'Hacham qu'il n'y avait pas de roi dans le monde. 'Hacham déclara
:
- Attends jusqu'à demain, et je te démontrerai clairement qu'il
n'y a pas de roi.
Le lendemain, après
s'être réveillé, 'Hacham réveilla le sage et lui
dit :
- Viens avec moi dans la rue, je vais te montrer que le monde entier se trompe
et qu'il n'y a pas de roi.
Ils se rendirent au marché, et apercevant un soldat, ils lui demandèrent
:
- Qui sers-tu ?
- Le Roi.
- L'as-tu déjà vu ?
- Non.
'Hacham dit alors :
- Tu vois ? Quelle idiotie !
(Le soldat servait le roi qu'il n'avait jamais vu, et 'Hacham, avec son intelligence
imbécile, voulait prouver qu'il n'y avait pas du tout de roi).
Ensuite, ils allèrent voir un officier et engagèrent la conversation
avec lui. Ils lui demandèrent :
- Qui sers-tu ?
- Le roi.
- As-tu vu le roi ?
- Non.
'Hacham dit alors :
- Et voilà ! Tu vois bien qu'ils vivent tous dans l'erreur et qu'il n'y
a pas de roi !
Le sage donna raison à 'Hacham ; il n'y avait pas de roi. Puis, 'Hacham
dit :
- Viens, nous allons voyager à travers le monde. Je te montrerai encore
jusqu'à quel point les gens se trompent et sont stupides.
Ils voyagèrent et
découvrirent partout combien le monde vivait dans l'erreur. (Nos deux
sages, à cause de leur subtilité, avaient atteint un tel degré
d'imbécillité qu'ils pensaient que le monde entier se trompait).
L'histoire du roi devint pour eux une référence. Chaque fois qu'ils
voyaient que le monde se trompait, ils disaient : " Aussi vrai que le roi
existe ! "
Ils parcoururent ainsi le monde et dépensèrent tout ce qu'ils
possédaient. Ils vendirent un de leurs chevaux, puis un second et finirent
par les vendre tous. Ils furent obligés de continuer à pied. Partout
ils méditèrent sur le monde et découvrirent que les gens
étaient dans l'erreur. Ils devinrent aussi pauvres que des mendiants.
On ne leur accordaient plus d'importance ; nul ne faisait attention à
eux. De vrais vagabonds. Ils continuèrent leur chemin et se retrouvèrent
dans la ville où résidait le ministre Tam.
Dans cette ville, habitait
un véritable Baal Shem qui jouissait d'une grande considération,
car il avait réalisé de vrais miracles. Les nobles eux-mêmes
le connaissaient et l'estimaient beaucoup. Les deux sages entrèrent dans
la ville ; ils la visitèrent et passèrent devant la maison du
Baal Shem. Devant la porte, ils remarquèrent des chariots dans lesquels
se trouvaient une cinquantaine de malades. 'Hacham pensa qu'un docteur habitait
là et désira le voir, car lui aussi exerçait la médecine.
Il voulut entrer pour le rencontrer ; il demanda :
- Qui habite ici ?
- Un Baal Shem, lui répondit-on.
Il éclata de rire et dit au sage :
- Voilà un autre mensonge, une autre sottise. C'est encore plus stupide
que cette histoire du roi ! Mon frère, je te dévoilerai la supercherie,
tu verras jusqu'à quel point le monde est dans l'erreur et croit à
tous ces mensonges.
Cependant, comme ils avaient faim et qu'il ne leur restait plus que trois ou
quatre groschen, ils se rendirent dans une petite taverne où l'on pouvait
manger y compris pour une telle somme. Ils demandèrent à manger
et on les servit. Tout en mangeant, ils bavardaient et se moquaient du Baal
Shem et de la supercherie qu'il représentait. Le propriétaire
de la taverne entendit leurs propos et fut très mécontent, car
chez lui on respectait beaucoup le Baal Shem. Il leur dit : " Finissez
de manger et partez d'ici ! " Puis, l'un des fils du Baal Shem entra et
ils se moquèrent de son père devant lui. Le patron les invectiva
parce qu'ils raillaient le Baal Shem en présence de son fils, il les
roua de coups et les expulsa de chez lui.
Ils furent très vexés et décidèrent de traîner
en justice le patron qui les avait battus. Ils se rendirent chez l'homme dans
la maison duquel ils avaient déposé leurs baluchons pour lui demander
conseil sur la marche à suivre afin d'attenter un procès au propriétaire
de la taverne. Ils racontèrent à l'homme que celui-ci les avait
roués de coups. L'autre leur en demanda la raison, et ils lui répondirent
qu'ils avaient dit du mal du Baal Shem. Il leur dit à son tour :
- Ce n'est sûrement pas bien de battre un homme ; cependant, vous n'avez
pas agi correctement. Pourquoi avez-vous calomnié le Baal Shem ? Ici,
il jouit d'un profond respect.
Ils se rendirent compte que cet homme était lui aussi dans l'erreur.
Ils partirent de chez lui et se présentèrent chez un fonctionnaire,
qui était un gentil. Ils lui racontèrent toute l'histoire et lui
dirent qu'on les avait battus. Il leur demanda pourquoi et ils dirent qu'ils
avaient dit du mal du Baal Shem. Alors, le fonctionnaire les roua de coups et
les mit dehors. Ils se présentèrent devant une instance supérieure,
mais en vain. Ils se présentèrent devant une autre instance, puis
une autre, toujours plus haute, mais sans succès ; chaque fois, on les
rouait de coups. Finalement, ils se présentèrent devant le ministre,
Tam.
Des gardes se tenaient devant
sa porte. Ils annoncèrent que quelqu'un désirait le voir. Le ministre
donna l'ordre de le faire entrer. 'Hacham se présenta devant le ministre,
qui reconnut aussitôt son camarade. Cependant, 'Hacham ne le reconnut
pas, car l'autre avait atteint un rang élevé. Le ministre se mit
aussitôt à lui parler et dit :
- Regarde, j'ai accédé à ce rang élevé grâce
à ma seule simplicité. Regarde où ton intelligence et ta
subtilité t'ont amené.
- Que tu sois mon camarade Tam, nous en parlerons plus tard, s'écria
'Hacham. Pour l'heure, rends-moi justice, car j'ai été roué
de coups.
- Pourquoi as-tu été battu ?, demanda Tam.
- Parce que j'ai dit du mal du Baal Shem. Je l'ai traiter de charlatan et d'escroc.
- Tu persistes à faire le malin ! Regarde et écoute un peu. Un
jour, tu as prétendu que tu pourrais facilement arriver à ma condition,
mais que moi je ne pourrais pas atteindre la tienne. Je suis arrivé à
ton niveau depuis longtemps, mais toi, tu n'es pas encore parvenu au mien. Je
constate combien il t'est difficile d'arriver à ma simplicité.
Cependant, Tam connaissait la grandeur passée de 'Hacham et il donna
l'ordre de lui confectionner des habits et de l'en vêtir. Puis il l'invita
à dîner. Pendant le repas, ils bavardèrent, et 'Hacham exposa
sa théorie stupide, selon laquelle il n'y avait pas de roi. Le ministre,
Tam, s'écria :
- Que dis-tu là ? J'ai moi-même vu le roi !
- Tu sais de toi-même que c'est le roi ?, lui répondit 'Hacham
en riant. Le connais-tu ? Connaissais tu son père et son grand-père
lorsqu'ils régnaient ? D'où sais-tu que c'était bien le
roi que tu as vu ? On t'a dit que c'était le roi et on s'est moqué
de toi ! Tam ne fut pas content que l'on niât ainsi l'existence du roi.
Puis, quelqu'un arriva et
dit : " Le Diable vous convoque." Tam trembla de tous ses membres
et courut annoncer la chose à sa femme, tout effrayé. Celle-ci
lui conseilla de faire venir le Baal Shem et c'est ce qu'il fit. Le Baal Shem
lui donna des amulettes et des talismans et lui dit que désormais il
n'aurait plus peur, il en était sûr.
'Hacham et Tam se remirent à table. 'Hacham demanda :
- Pourquoi as-tu eu si peur ?
- Parce que le Diable nous a convoqués !
'Hacham se moqua de lui et dit :
- Tu crois donc au Diable ?
- Qui d'autre nous a convoqués ?"
- C'était sans doute mon frère qui désirait me voir. Il
a tout manigancé et m'a fait demander sous ce prétexte.
- S'il en est ainsi, comment a-t-il franchi les postes de garde ?
- Il a assurément graissé quelques pattes, et les gardes ont menti
en disant qu'ils ne l'avaient pas vu.
A ce moment-là, un
autre personnage arriva et dit aussi : " Le Diable vous demande ! "
Muni des amulettes que le Baal Shem lui avait données, Tam n'eut pas
peur, et dit à 'Hacham :
- Qu'en penses-tu ?
- Je vais tout te raconter. J'ai un frère qui est très en colère
contre moi Il a tout manigancé pour me faire peur.
'Hacham se leva et interrogea le messager :
- A quoi ressemble celui qui nous a fait demander ? De quelle couleur sont ses
cheveux, etc. ?
- Comme ci, et comme cela répondit le messager.
- C'est tout le portrait de mon frère !, s'écria 'Hacham.
- Vas-tu partir avec eux ?, demanda Tam.
- Oui, je vais les accompagner. Donne-moi seulement une escorte afin que je
ne sois pas importuné.
Tam la lui donna. 'Hacham et le sage partirent en compagnie de celui qui les
avait fait demander (c'est-à-dire le Diable, bien qu'ils n'eussent pas
voulu le reconnaître).
Après un certain temps, l'escorte revint et le ministre Tam demanda aux
soldats : " Où sont les deux sages ?" Les soldats répondirent
qu'ils l'ignoraient.
Le messager du Diable s'était emparé des deux sages et les avait
traînés jusqu'à un endroit plein de boue et de chaux. Là-bas,
le Diable était assis sur un trône posé dans la boue. Celle-ci
était aussi lourde et épaisse que la colle. Les deux sages ne
pouvaient pas bouger ; ils crièrent : " Méchants, pourquoi
nous torturez-vous ? Le Diable existe-t-il ? Vous êtes mauvais, vous nous
torturez pour rien ! " (comme les sages ne voulaient pas admettre l'existence
du Diable, ils disaient que c'était des méchants qui les torturaient
en vain). Les deux sages étaient allongés dans la boue et réfléchissaient
: " Qu'est-ce que tout cela ? Rien que des débauchés avec
lesquels nous avons eu maille à partir un jour, et qui maintenant nous
torturent. " Ils restèrent dans la boue de nombreuses années
et furent atrocement torturés.
Un jour, Tam, le ministre,
passa devant la maison du Baal Shem. Il se souvint alors de 'Hacham, son camarade.
Il entra chez le Baal Shem et s'inclina devant lui, comme le veut l'usage. Il
lui demanda s'il lui était possible de lui faire voir 'Hacham et de le
libérer. Il lui dit :
- Te souviens-tu de 'Hacham que le Diable avait convoqué et fait enlever
? Depuis ce jour, je ne l'ai pas revu.
- Oui, je me souviens, répondit le Baal Shem.
Alors, Tam le supplia de lui montrer l'endroit où 'Hacham se trouvait,
et de l'en faire sortir. Le Baal Shem dit : " Sans aucun doute, je peux
te montrer l'endroit et en faire sortir 'Hacham. Mais il n'y a que toi et moi
qui puissions y aller. "
Ils se mirent tous les deux en route. Le Baal Shem fit ce qu'il savait faire,
et ils arrivèrent. Tam vit les deux sages allongés dans la boue
épaisse et dans la chaux. Apercevant Tam, 'Hacham s'écria :
- Frère, vois comme ils me frappent ! Ces débauchés me
torturent cruellement pour rien !
Le ministre lui répondit en criant :
- Est-ce que tu persistes à faire le malin et à ne croire en rien
? Tu dis que ce sont des hommes ! Regarde, voici le Baal Shem dont tu as médit.
On va te montrer que lui seul peut te sortir d'ici, et il te fera voir la vérité.
Tam pria le Baal Shem de tirer 'Hacham de là et de leur démontrer
que le Diable existait et que les démons n'étaient pas des êtres
humains. Le Baal Shem fit ce qu'il devait faire. Ils se retrouvèrent
debout, au sec, sans la moindre trace de boue. Les démons redevinrent
poussière.
Alors, 'Hacham reconnut la vérité et dut admettre qu'il y avait
effectivement un roi, un véritable Baal Shem, etc.
A propos de cette histoire, il est dit dans l'enseignement qui évoque
la simplicité (Likoutey Moharan B,19) que le principe de la Yiddishkeit
ne réside pas dans la subtilité, mais dans la simplicité
et l'innocence, etc.
Lorsqu'il eut terminé de raconter cette histoire, le Rebbe (Rabbi Na'hman) dit : " Une prière mal dite est comme un soulier à trois extrémités. Comprends bien tout ce qui est raconté ici. On peut très bien vivre avec du pain, de l'eau et une peau de mouton. On aura une vie meilleure et plus gaie que celle du plus subtil et du plus riche des hommes. On voit qu'ils sont constamment torturés, et que la meilleure part est réservé à Tam, qui se contente de ce qu'il a et qui est toujours joyeux. Celui qui veut être malin et qui réfléchit trop, n'a que des ennuis, du début à la fin. Il est misérable, et sa vie n'en est pas une. A la fin, il perd tout et finalement Tam le prend en pitié et lui vient en aide. En dehors de tout cela, cette histoire renferme de grands secrets. Dans toutes ces histoires sont cachés des secrets de la Torah. "
LE MARCHAND ET LE PAUVRE
Il était une fois
un marchand très riche qui possédait plusieurs compagnies. Ses
chariots parcouraient le monde entier et ses lettres étaient honorées
partout Il avait tout ce qu'il lui fallait.
Plus bas, dans la même maison, vivait un homme pauvre et misérable
; l'exact contraire du marchand. Il était aussi pauvre que le marchand
était riche. Ni l'un ni l'autre n'avaient d'enfant. Le marchand n'avait
pas d'enfant et le pauvre n'en avait pas non plus.
Une nuit, le marchand rêva
que des hommes venaient chez lui et faisaient des paquets. Il leur demanda :
" Que faites-vous ? " Ils répondirent qu'ils allaient emporter
tous ses biens chez le pauvre. Il en fut très mécontent et se
mit en colère parce qu'ils allaient emporter tous ses trésors
chez le pauvre. Cependant, il ne pouvait pas laisser libre cours à sa
colère parce que les hommes étaient en nombre. Ils firent maint
paquets de toutes ses possessions, marchandises et biens, et emportèrent
le tout chez le pauvre. Ils ne laissèrent au marchand que les murs nus.
Il fut très inquiet. A son réveil, il comprit que ce n'était
qu'un rêve. Mais bien qu'il le sût et que, Dieu soit loué,
il possédât encore tous ses biens, son cur battait très
fort. Son rêve le préoccupait et il ne pouvait pas en chasser le
souvenir.
Le marchand avait l'habitude de prendre soin du pauvre et de sa femme ; il leur
donnait souvent quelque chose. Mais, après son rêve, il leur donna
davantage qu'auparavant. Cependant, lorsque le pauvre ou sa femme lui rendait
visite, son expression changeait, il les craignait car son rêve lui revenait
en mémoire. Le pauvre et sa femme allaient souvent le voir et se trouvaient
souvent auprès de lui.
Un jour, la femme du pauvre
lui rendit visite. Il lui donna quelque chose, son visage se transforma et il
eut très peur. Elle lui demanda :
- Je vous demande pardon, mais pourquoi votre visage change-t-il lorsque nous
venons chez vous ?
Il lui raconta toute l'histoire, son rêve, et ajouta que depuis ce jour
son cur battait très fort. Elle lui demanda :
- Ce rêve n'a-t-il pas eu lieu telle nuit ?
- Si, en effet. Pourquoi ?
- Cette même nuit, j'ai rêvé que j'étais très
riche et que des hommes venaient chez moi et faisaient de nombreux paquets.
Je leur demandai : " Où allez-vous emporter tout cela ? " Ils
me répondirent : " Chez le pauvre " c'est-à-dire le
marchand qu'ils appelaient maintenant " le pauvre. " Par conséquent,
pourquoi se soucier d'un rêve ? Moi aussi j'ai rêvé.
A ces mots, le marchand fut encore plus effrayé et s'affola. Il avait
entendu le rêve de la femme lequel devait signifier que toutes ses richesses
seraient emportées chez le pauvre et qu'en échange on lui apporterait
le dénuement de celui-ci. Il fut terrifié.
Un jour, la femme du marchand
partit en voiture avec d'autres femmes, parmi lesquelles se trouvait la femme
du pauvre. Elles se promenèrent donc, et un général et
ses troupes passèrent. Elle s'écartèrent de son chemin
; l'armée passa et le général remarqua les femmes dans
la voiture. Il donna l'ordre de faire sortir l'une d'elles et les soldats choisirent
la femme du pauvre. Ils la firent asseoir dans la voiture du général
et l'emmenèrent. Il était impossible de la reprendre car les soldats
étaient nombreux et déjà loin. Le général
l'emmena dans son pays. Mais en femme pieuse elle refusa de lui céder.
Elle pleurait abondamment. On la supplia tant et plus, mais elle resta très
pieuse.
La femme du marchand et ses compagnes rentrèrent de leur promenade sans
la femme du pauvre. Celui-ci pleura beaucoup, se frappa la tête contre
les murs et se lamenta continuellement à cause de son épouse.
Un jour, le marchand passa devant sa porte, l'entendit pleurer amèrement
et se frapper la tête contre les murs. Il entra chez le pauvre et lui
demanda :
- Pourquoi pleures-tu si fort ?
- Comment ne pas pleurer ? Que me reste-t-il ?. A l'un il reste des enfants,
à l'autre des richesses. Je n'ai plus rien. On a même pris ma femme.
Que me reste-t-il ?
Le marchand fut bouleversé. Voyant l'amertume et les larmes du pauvre,
il le prit en pitié. Il s'en alla et fit une chose incroyable.
Il se renseigna sur le pays du général et s'y rendit. Puis il
fit une chose inouïe, un acte de folie : il entra dans la maison du général.
Des gardes étaient postés devant la porte. Dans sa confusion,
le marchand fut soudain pris de panique et ne fit pas attention à eux.
Ceux-ci furent embarrassés et effrayés par cet homme qui se tenait
près d'eux et dont l'état de panique leur faisait peur. Comment
était-il arrivé ici ? A cause de la panique, les gardes le laissèrent
passer et il franchit toutes les portes jusqu'à la maison du général.
La femme du pauvre s'y trouvait. Il entra, la réveilla et lui dit : "
Viens ! " En le voyant, elle eut peur. Il ajouta : " Viens vite avec
moi ! " Elle partit avec lui, ils franchirent tous les postes de garde
et se retrouvèrent dehors. Alors, il regarda autour de lui et se souvint
de toutes ces choses incroyables qu'il venait d'accomplir. Il comprit qu'un
grand tumulte allait éclater chez le général, et ce fut
en effet le cas.
Le marchand partit se cacher
avec la femme du pauvre dans un fossé rempli d'eau de pluie jusqu'à
la fin du tumulte. Il passa deux jours avec elle dans le fossé. Elle
prit conscience de toute l'abnégation dont il avait fait preuve et de
tous les malheurs qu'il avait endurés. Elle fit un serment devant Dieu
: si elle avait la chance, un jour peut-être, d'arriver à une haute
situation et de devenir riche, elle ferait profiter le marchand de sa fortune
; et s'il voulait s'emparer de sa fortune au point qu'elle dut se retrouver
aussi pauvre qu'avant, elle ne s'y opposerait pas. Mais où prendre des
témoins ! Elle prit le fossé comme témoin.
Au bout de deux jours, ils sortirent et s'en allèrent. Ils partirent
très loin, et le marchand se rendit compte que là aussi on la
recherchait. Ils se cachèrent dans un mikvé. Elle pensa encore
à l'abnégation dont il avait fait preuve, et aux souffrances qu'il
avait passées. Elle fit à nouveau un serment et prit pour témoin
le mikvé.
Ils restèrent là deux jours, puis sortirent et partirent plus
loin. Il comprit qu'on la recherchait encore et ils se cachèrent à
nouveau. Ils se cachèrent plusieurs fois, dans différents endroits
: en tout, dans sept endroits où il y avait de l'eau : un fossé,
un mikvé, un marécage, une source, un ruisseau, un fleuve et une
mer. A chaque endroit, elle s'était souvenue de l'abnégation du
marchand, des souffrances qu'il avait endurées pour elle, et elle avait
prêté serment. Chaque fois, elle prit un endroit pour témoin.
Ils continuèrent à marcher, à se cacher dans chacun de
ces endroits, et finirent par atteindre la mer. Le marchand connaissait toutes
les lignes maritimes et se débrouilla pour regagner son pays. Il voyagea
et revint chez lui avec la femme du pauvre qu'il ramena à son mari. La
joie fut immense.
Le marchand avait agi noblement ; il avait su résister à la tentation avec elle (il était pieux et ne l'avait pas touchée) ; Dieu se souvint de lui et il eut un fils. La femme du pauvre avait aussi résisté à la tentation, d'abord avec le général puis avec le marchand, et elle mérita de donner naissance à une fille d'une beauté extraordinaire et merveilleuse. Sa beauté n'appartenait pas à ce monde ; jamais on n'en avait vu de pareille. Les gens disaient : " Pourvu qu'elle grandisse ! " (Il était très difficile pour une telle merveille de grandir). Comme elle était extraordinairement belle, le monde entier venait chez elle pour la voir et s'émerveiller de son incroyable beauté. Par amour, on lui offrait des cadeaux sans nombre, et le pauvre finit par devenir riche. Le marchand eut alors l'idée de s'allier avec lui à cause de la merveilleuse beauté de sa fille. Il pensait que telle était peut-être la signification de son rêve, lorsqu'il avait vu tous ses biens emportés chez le pauvre, alors que ceux du pauvre étaient apportés chez lui. Cela voulait peut-être dire qu'ils s'allieraient tous les deux par mariage.
Un jour, la femme du pauvre
lui rendit visite. Il lui dit son souhait d'arranger un mariage avec elle, et
qu'ainsi le rêve deviendrait peut-être réalité. Elle
lui répondit : " J'ai moi aussi songé à cela, mais
je n'avais pas l'audace de vous suggérer une alliance par mariage. Mais
si vous le désirez, je suis prête à accepter. Je ne m'y
opposerai pas, car j'ai fait le serment que je ne vous refuserais ni mes biens,
ni ma fortune. "
Le fils du marchand et la fille du pauvre apprirent tous les deux dans la même
classe les langues et d'autres sujets, comme le voulait l'usage de leur pays.
On continuait à rendre visite à la fille du pauvre car elle était
merveilleuse. On lui en apportait tant que le pauvre devint très riche.
Des nobles venaient voir sa fille dont l'extraordinaire beauté leur plaisait
beaucoup. De par cette grande beauté, certains nobles eurent l'idée
de s'allier par mariage avec le pauvre en unissant leur fils à sa fille.
Toutefois, ces nobles ne voulaient pas s'allier à un homme pauvre. C'est
pourquoi ils tentèrent d'améliorer sa situation, et s'arrangèrent
pour qu'il entre au service de l'empereur. Il commença en tant que lieutenant,
puis monta de grade en grade, car on veillait à ce que sa promotion soit
rapide. Il gravit les échelons les plus élevés et devint
général. Les nobles s'apprêtaient à s'allier à
lui. Cependant, ils furent nombreux à avoir cette idée et à
s'être occupés de sa promotion. Pour cette raison, le pauvre ne
put s'allier à aucun d'entre eux. Par ailleurs, il en était également
empêché à cause de l'alliance prévue avec le marchand
et dont on parlait déjà.
Devenu général,
le pauvre eut de plus en plus de chance.
L'empereur l'envoyait faire la guerre et la fortune lui souriait à chaque
campagne. Il fut promu à des rangs plus élevés, et la fortune
continuait de lui sourire. Puis l'empereur mourut. Le pays tout entier décida
que le pauvre le remplacerait. Les ministres se rassemblèrent et furent
d'accord : le pauvre devint empereur. Il fit la guerre et fut couronné
de chance ; il conquit de nombreux pays, fit d'autres guerres, elles aussi chanceuses.
Il conquit d'autres pays encore. Finalement, les pays restants se soumirent
à lui de bonne grâce, car on voyait que toute la beauté
et toute la chance étaient siennes. Tous les rois se réunirent
et furent d'accord pour qu'il fût nommé empereur du monde entier.
Ils lui donnèrent un document écrit en lettres d'or.
Alors, il ne voulut plus s'allier avec le marchand, car il ne convenait pas
à un empereur de s'allier par mariage à un simple commerçant.
Mais sa femme, l'impératrice, prit le parti du marchand qui avait risqué
sa vie pour elle. Voyant qu'il ne pouvait contracter d'autre alliance et que
sa femme restait fermement sur ses positions, l'empereur imagina des stratagèmes
contre le marchand. Il complota pour l'appauvrir tant qu'il ne sût qui
l'accablait et arranger ainsi sa perte. C'était chose aisée pour
un empereur. Le marchand était continuellement harassé, menacé
de faillite. Finalement, il devint pauvre, indigent. Quant à l'impératrice,
elle continua de rester de son côté. Puis, l'empereur comprit qu'aussi
longtemps que le fils du marchand serait vivant, il lui serait impossible de
marier sa fille à quelqu'un d'autre. Il s'arrangea pour faire disparaître
le jeune homme et imagina des stratagèmes à cette fin. Il fit
circuler des calomnies sur son compte et nomma des hommes de loi pour le juger.
Ces juges comprirent que la volonté de l'empereur était que le
jeune homme disparût. Ils rendirent leur verdict : le jeune homme devait
être enfermé dans un sac et jeté à la mer. L'impératrice
en conçut une profonde tristesse, mais malheureusement, même elle
ne put rien contre l'empereur. Elle partit voir les bourreaux désignés
pour jeter le jeune homme à la mer, et tomba à leurs pieds. Elle
les supplia de lui accorder une faveur et de laisser partir le jeune homme,
car pourquoi devrait-il mourir ? Elle les implora de prendre un autre prisonnier,
un condamné à mort, de le jeter à la mer et de rendre sa
liberté au jeune homme. Sa tentative fut couronnée de succès
: ils lui jurèrent de le libérer et ils tinrent parole. Ils prirent
un autre prisonnier qu'ils jetèrent à la mer et épargnèrent
le jeune homme. Ils lui dirent : " Va-t-en ! va-t-en ! " Le jeune
homme partit.
Peu de temps auparavant,
l'impératrice avait appelé sa fille et lui avait dit : "
Ma fille, sache que le fils du marchand est ton fiancé. " Puis elle
lui avait raconté toute l'histoire : " Le marchand a risqué
sa vie pour moi. Il se trouvait avec moi dans les sept endroits (les sept sortes
d'endroits où il y avait de l'eau) ; chaque fois, je lui ai juré
devant Dieu que je ne lui refuserais aucun de mes biens en prenant les sept
endroits pour témoins (le fossé, le mikvé, etc.). C'est
pourquoi, puisque tu es maintenant toute ma fortune, toute ma richesse et toute
ma chance, tu lui appartiens et son fils est ton fiancé. Mais ton père,
à cause de sa grandeur, veut le tuer pour rien. Je me suis débrouillée
pour le sauver et j'ai réussi. Donc, sache qu'il est ton fiancé.
Tu ne voudras pas d'autre homme au monde. " La fille écouta les
paroles de sa mère, car elle aussi était pieuse. Elle lui dit
qu'elle en tiendrait compte.
Elle envoya une lettre au jeune homme qui se trouvait alors en prison et dans
laquelle elle écrivit qu'elle était sienne et qu'il était
son fiancé. Elle lui envoya aussi une sorte de plan où elle avait
peint les sept endroits, les sept témoins où sa mère s'était
cachée avec son père : le fossé, le mikvé, etc.
Elle avait reproduit un fossé, un mikvé et le reste, soit en tout
sept sortes d'endroits remplis d'eau. Elle lui enjoignit expressément
de protéger le document qu'elle signa de sa main. Puis, il arriva ce
que nous avons raconté plus haut.
Les bourreaux avaient donc
pris quelqu'un d'autre et avaient laissé partir le fils du marchand.
Celui-ci se mit en route, marcha longtemps et arriva à la mer. Il monta
à bord d'un navire qui prit la mer. Une forte tempête se leva et
rejeta l'embarcation sur un rivage désert. La violence de la tempête
réduisit le navire en morceaux, mais les passagers étaient sains
et saufs et sur la terre ferme. Le rivage étant désert, ils se
mirent en quête de nourriture. Chacun cherchait, car aucun bateau n'avait
l'habitude d'accoster en cet endroit désert. C'est pourquoi les naufragés
n'attendaient pas qu'un navire vînt à leur secours pour les ramener
chez eux. Ils pénétrèrent dans le désert, cherchant
à manger, et se dispersèrent ici et là. Le jeune homme
entra dans le désert et il marcha. Il était déjà
loin du rivage lorsqu'il voulut retourner, mais il ne reconnut plus rien. Plus
il voulait rebrousser chemin, plus il s'égarait et il comprit qu'il ne
pourrait pas retourner au rivage.
Il marcha sans fin dans le désert muni d'un arc grâce auquel il
se protégeait des bêtes sauvages. En route, il trouva quelque chose
à manger. Après avoir longuement marché, il sortit du désert.
Il arriva dans un endroit où nul ne vivait, mais y trouva de l'eau et
des arbres fruitiers. Il en mangea et but de l'eau. Puis il réfléchit
à sa situation. Allait-il s'installer ici pour le restant de ses jours
? Il lui était difficile de retourner jusqu'à un endroit habité,
et qui sait s'il ne l'atteindrait jamais. Allait-il quitter l'endroit où
il se trouvait et marcher encore ? Finalement, il décida de s'installer
là où il était et d'y vivre car il s'y sentait bien. Il
avait des fruits à manger et de l'eau à boire. Parfois il partait
à la chasse, muni de son arc et tuait un lièvre ou un chevreuil.
Il avait donc de la viande. Il attrapait des poissons dans l'eau, de bons poissons.
L'idée lui plaisait de passer sa vie ici.
Lorsque la sentence contre
le fils du marchand fut rendue, l'empereur pensa s'être débarrassé
de lui croyant qu'il n'était plus de ce monde. Il lui fut alors possible
de chercher un parti pour sa fille. On commença à lui en proposer
plusieurs ; ce roi-ci, ce roi-là. Il fit construire un château
pour sa fille, comme c'était l'usage, et elle s'y installa. Elle s'entoura
de filles de ministres en guise de dames de compagnie. Elle s'installa donc,
et faisait de la musique, comme le veut la coutume. Lorsqu'on lui proposait
un parti, elle disait qu'elle ne souhaitait pas en parler et que celui qui voulait
l'épouser n'avait qu'à venir en personne.
Elle était très versée dans l'art de la poésie ;
elle savait réciter de beaux poèmes avec beaucoup d'art. Elle
arrangea avec goût un endroit où s'installerait son futur époux.
Il viendrait se mettre en face d'elle, lui réciterait un poème,
un poème d'amour, comme ceux que l'amoureux récite à sa
belle pour lui déclarer sa flamme. Des rois vinrent pour gagner sa main
et s'installèrent à l'endroit fixé ; chacun récita
son poème. A certains, elle envoyait une réponse sous forme de
poème par l'entremise de ses suivantes. A ceux qui lui plaisaient davantage,
elle répondait directement, faisant entendre sa voix en récitant
à son tour un poème d'amour. A ceux qui lui plaisaient encore
plus, elle se montrait, dévoilait son visage et répondait par
un poème d'amour. Mais toutes ses réponses se terminaient par
ces mots : " Mais les eaux ne sont pas passées sur toi. " Personne
ne comprenait ce qu'elle voulait dire. Lorsqu'elle dévoilait son visage,
tous les prétendants tombaient par terre ; certains perdaient connaissance,
d'autres devenaient fous et malades d'amour à cause de sa si grande et
si extraordinaire beauté. Malgré tous ces incidents et ces évanouissements,
des rois persistaient à demander sa main. Et à chacun elle répondait
comme nous l'avons dit.
Le fils du marchand s'était
donc installé à l'endroit qu'il avait découvert et s'installa
pour y vivre. Il savait lui aussi jouer de la musique et connaissait l'art de
la poésie. Il choisit du bois pour fabriquer des instruments. Avec des
tendons d'animaux, il confectionna des cordes et il fit de la musique. Parfois,
il prenait le document qu'elle lui avait envoyé lorsqu'il était
en prison, il chantait et jouait, et se rappelait tout ce qui lui était
arrivé : son père était un marchand, etc. A présent,
il se retrouvait exilé ici. Il prit le document et se dirigea vers un
arbre sur lequel il fit une marque. Il creusa une cachette dans l'arbre et y
plaça le document.
Les jours passèrent.
Puis, il y eut une violente tempête qui abattit tous les arbres qui poussaient
là. Il fut incapable de reconnaître celui où il avait caché
le document. Lorsque les arbres étaient encore debout, la marque lui
permettait de le distinguer, mais maintenant qu'ils étaient tous à
terre, l'arbre était perdu au milieu des autres. Il ne pouvait le retrouver.
Par ailleurs, il y avait tant d'arbres qu'il lui était impossible de
tous les redresser afin de retrouver le document.
Il pleura amèrement et fut très triste. Il comprit qu'en restant
là, il deviendrait certainement fou de douleur. Il décida donc
de partir plus loin. Advienne que pourra, il lui fallait partir car sa douleur
le mettait en danger. Il mit de la viande et des fruits dans un sac, se mit
en route et se laissa guider par ses pas. Il fit quelques marques à l'endroit
qu'il quittait et marcha jusqu'à ce qu'il atteignit un endroit habité.
Il s'enquit du nom de ce pays et on le lui dit. Il demanda si l'on avait entendu
parler de l'empereur et on lui répondit affirmativement. Il demanda aussi
si l'on connaissait sa fille à la beauté célèbre.
On lui dit : " Oui. Cependant, nul ne peut l'épouser car elle ne
veut de personne. " Ne pouvant rentrer chez lui, il décida de rendre
visite au roi du pays. Il lui parla à cur ouvert et lui raconta
tout. Il était le fiancé de la fille de l'empereur, et par amour
pour lui, elle n'épouserait personne d'autre.
Cependant, puisqu'il ne pouvait pas rentrer chez lui, il transmit au roi tous
les signes qu'il connaissait, c'est-à-dire les sept endroits remplis
d'eau. Que le roi se rende chez la fille de l'empereur, arrange le mariage et
qu'il donne au jeune homme de l'argent en échange. Le roi comprit qu'il
disait la vérité, car une telle histoire ne s'invente pas. Tout
cela plut au roi. Il décida de ramener la fille de l'empereur ici, chez
lui, et se dit qu'il ne serait pas bon pour lui que le jeune homme fût
présent. Allait-il tuer ce jeune homme ? Il n'y tenait pas, car pourquoi
le tuer en échange de la faveur qu'il lui avait accordée ? Le
roi décida de l'exiler à une distance de deux cent milles.
Le jeune homme fut très malheureux d'avoir été exilé
en échange du bienfait qu'il avait accordé au roi. Alors, il rendit
visite à un autre monarque et lui raconta aussi toute l'histoire. (Le
jeune homme, mécontent que le premier roi l'eût exilé, s'était
rendu chez un autre roi, lui avait tout raconté et lui avait transmis
les signes afin qu'il s'empressât d'aller épouser la fille de l'empereur).
Il lui transmit tous ces signes, ainsi qu'un signe supplémentaire. Il
pressa le roi de se mettre en route immédiatement, car peut-être
pourrait-il prendre le premier souverain de vitesse et arriver plus tôt.
Quand bien même il n'arrivait pas avant l'autre, il possédait néanmoins
un signe supplémentaire.
Le second roi décida d'agir comme le premier. Puisqu'il valait mieux
pour lui que le jeune homme ne fût pas présent, il l'exila lui
aussi à deux cent milles de là. Le jeune homme fut très
mécontent et se rendit chez un troisième roi ; il lui raconta
toute l'histoire et lui transmit encore d'autres signes, de très bons
signes.
Le premier roi s'était mis en route et parvint chez la fille de l'empereur, qui était très belle. Une fois arrivé, il composa un poème dans lequel il introduisit avec beaucoup d'adresse les noms de tous les endroits, c'est-à-dire les sept témoins, les sept endroits remplis d'eau et qui représentaient l'essentiel des signes que la fille de l'empereur avait transmis à son fiancé. Toutefois, pour des raisons de prosodie, il ne mentionna pas les sept endroits dans le bon ordre. Il aurait dû par exemple citer le fossé, puis le mikvé et il avait fait le contraire, car cela lui semblait mieux convenir à la composition du poème. Le roi monta sur l'estrade où quiconque voulait épouser la fille de l'empereur devait se tenir et il récita son poème avec grand art. Elle s'étonna beaucoup d'entendre le roi mentionner les sept endroits,. Elle pensa que celui-ci était son fiancé, mais n'arrivait pas à comprendre pourquoi il n'avait pas cité les endroits dans l'ordre correct. Elle se dit qu'il les avait peut-être récités dans cet ordre pour les besoins de la prosodie. Son cur lui disait que le roi était son fiancé et elle lui écrivit pour lui dire qu'elle consentait à l'épouser. Tout le monde fut joyeux et ravi que la beauté ait trouvé un parti et on organisa les préparatifs du mariage.
Entre-temps, arriva le second roi, à qui le jeune homme avait transmis les mêmes signes plus un signe supplémentaire. Il était venu très vite lui aussi mais on lui fit savoir que la jeune fille avait déjà trouvé son parti. Il n'en tint pas compte et déclara que, quoi qu'il en fût, il avait une chose à lui transmettre et qu'il était sûr de réussir. Il monta sur l'estrade et récita son poème. A la différence du premier, il mentionna les endroits dans l'ordre et fournit un signe supplémentaire. Alors, elle lui demanda d'où le premier roi connaissait les signes. Il pensa que mieux valait ne pas lui dire la vérité, car il ne voulait pas qu'elle sût que le jeune homme avait tout révélé au premier roi. Il répondit donc qu'il ignorait comment l'autre avait eu connaissance des signes. Elle trouva tout cela très étrange et en fut troublée. Le premier roi aussi avait mentionné les endroits. D'où les connaissait-il ? Néanmoins, elle se dit que le second roi était son fiancé, car il les avait tous mentionnés dans l'ordre et, qui plus est, il avait fournit un signe supplémentaire. Quant au premier roi, peut-être avait-il cité les endroits pour de simples raisons de prosodie. C'est pourquoi elle décida finalement de rester sur ses positions et de n'épouser personne.
Très mécontent
que le second roi l'eût exilé, le jeune homme s'était donc
rendu chez un troisième roi et lui avait raconté toute l'histoire.
Il lui avait transmis d'autres signes, de très bon signes, et lui avait
tout révélé: : il possédait un document sur lequel
étaient dessinés les sept endroits ; il allait faire une copie
de ce document que le roi apporterait à la fille de l'empereur. Le troisième
roi exila le jeune homme à deux cent milles de son palais, puis se rendit
en hâte chez elle. Lorsqu'il arriva, on lui dit que les deux premiers
rois étaient déjà là. Il répondit que néanmoins,
il était en possession d'une chose qui lui permettrait de réussir
sans problèmes.
Personne ne savait pourquoi la fille de l'empereur préférait les
deux rois à tous les autres. Le troisième souverain monta sur
l'estrade, récita son poème contenant tous les signes, lesquels
étaient bien meilleurs que ceux des deux rois précédents.
Il montra aussi le document sur lequel étaient dessinés chacun
de ces endroits. Elle fut effrayée, bouleversée et ne sut que
faire. Elle avait d'abord pensé que le premier roi était son fiancé
; puis avait pensé la même chose du second. Elle dit alors qu'elle
ne croirait que la personne qui lui apporterait le document écrit de
sa main.
Le jeune homme se demanda jusqu'à quand on continuerait de l'exiler ainsi. Il décida d'aller en personne chez la fille de l'empereur. Peut-être réussirait-il. Il partit et arriva chez elle. Il déclara avoir en sa possession une chose qui le ferait réussir. Il monta sur l'estrade et récita son poème. Il mentionna plus de signes que les autres, et ceux-ci étaient de très bons signes. Il rappela à la fille de l'empereur qu'ils étaient allés ensemble à l'école, et d'autres choses encore. Il lui raconta tout : il avait envoyé les rois, il avait caché le document dans un arbre, bref, il lui fit le récit de toutes ses mésaventures. Mais elle n'en fit aucun cas, car les trois rois avaient donné la raison pour laquelle ils ne possédaient pas le document. Elle ne pouvait pas non plus reconnaître le jeune homme, car cela faisait trop longtemps qu'il était parti. Elle ne voulut tenir compte d'aucun signe, tant qu'on ne lui apporterait pas le document écrit de sa propre main. En effet, elle avait pensé que le premier roi, puis le second, étaient son fiancé, etc. Elle ne voulut donc entendre parler d'aucun signe.
Le jeune homme décida de ne pas rester chez elle, car si la nouvelle de sa présence parvenait aux oreilles de l'empereur, ce dernier pourrait le tuer. Il décida de retourner à l'endroit où il avait séjourné auparavant, dans le désert. Il y passerait sa vie. Il marcha encore et encore et arriva dans le désert. De nombreuses années s'étaient écoulées. Le jeune homme était bien résolu à passer sa vie ici. Selon l'estimation qu'il avait faite de la durée de vie d'un homme en ce monde, il lui paraissait clair que mieux valait pour lui de séjourner là définitivement. Il s'installa, et se nourrit de fruits.
Sur la mer, il y avait un
pirate. Il avait entendu parler de l'existence d'une femme très belle.
Il voulut s'emparer d'elle, bien que n'en ayant nul besoin, étant eunuque.
Il voulait cependant l'enlever afin de la vendre à un roi qui lui donnerait
beaucoup d'argent en échange. Il réfléchit à son
projet. Un pirate est téméraire ; par conséquent, il se
dit que s'il réussissait, tant mieux ; sinon, que risquait-il ? Comme
tous les pirates, il était d'une grande témérité.
Il partit donc, acheta beaucoup de marchandises et fabriqua des oiseaux en or.
Ces derniers avaient été façonnés avec une telle
habileté qu'on les eût crus vivants. Le pirate fabriqua aussi des
épis de blé en or sur lesquels les oiseaux se tenaient perchés.
C'était une grande merveille, car les oiseaux étaient gros et
pourtant les épis ne se brisaient pas. Il avait fabriqué tout
cela avec un tel art que l'on eût dit que les oiseaux chantaient : l'un
gazouillait, un autre sifflait, un autre encore chantait. Tout cela était
une uvre d'une grande habileté ; des hommes se tenaient en effet
dans une cabine du navire située au-dessous de celle où se trouvaient
les oiseaux et faisaient fonctionner le tout. Actionnés par des fils
de métal, on eût dit que les oiseaux eux-mêmes chantaient.
Le pirate se rendit avec son uvre dans le pays où vivait la fille
de l'empereur. Il arriva dans la ville où elle séjournait, fit
manuvrer son navire et jeta l'ancre. Il se fit passer pour un grand marchand
; ainsi venait-on le voir pour lui acheter des marchandises précieuses.
Il resta sur place pendant plus de trois mois et les gens emportaient chez eux
les belles marchandises qu'ils lui achetaient. La princesse désirait
aussi lui acheter quelque chose et elle lui fit dire d'apporter ses produits
chez elle. Il lui répondit qu'il ne déplacerait pas ses marchandises
dans ses appartements, fût-elle fille d'empereur. Qui voulait acquérir
ses marchandises n'avait qu'à venir chez lui ; personne ne pouvait forcer
un marchand. Elle résolut de lui rendre visite. Elle sortait toujours
le visage voilé afin qu'on ne la regarde pas, car les gens pourraient
défaillir et s'évanouir à cause de sa beauté. Elle
sortit après avoir recouvert son beau visage. Ses suivantes et une escorte
de gardes l'accompagnaient. Elle se rendit chez le marchand et lui acheta quelques
marchandises. Alors qu'elle repartait, il lui dit : " Si tu reviens, je
te montrerai de plus belles choses encore, des choses très précieuses.
" Elle rentra chez elle. Plus tard, elle retourna le voir, fit quelques
achats et rentra à nouveau chez elle. Le pirate séjourna encore
quelque temps dans la ville et la fille de l'empereur prit l'habitude de lui
rendre visite assez souvent. Un jour, lors d'une de ses visites, il avait ouvert
pour elle la pièce où se trouvaient les oiseaux d'or ; elle aperçut
cette grande merveille. Les gardes membres de son escorte voulurent entrer avec
elle, mais le pirate dit : " Non ! Non ! Je ne montre cela à personne
excepté à toi, parce que tu es la fille de l'empereur. Je ne dévoilerai
cela à personne d'autre ! " Elle entra seule, il la suivit dans
la cabine et en ferma la porte à clé. Il se conduisit comme un
voyou, prit un sac et enferma la fille de l'empereur à l'intérieur.
Il lui avait enlevé tous ses vêtements et en revêtit un matelot
à qui il voila le visage. Puis il le poussa dehors en lui disant : "
Va ! " Le matelot ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Voilà qu'il
se trouvait dehors et que son visage était voilé. Les gardes,
qui ignoraient tout, repartirent avec lui, pensant qu'il s'agissait de la fille
de l'empereur. Le matelot partit avec l'escorte, là où on l'emmenait
ignorant où il se trouvait. Lorsqu'il arriva dans les appartements de
la fille de l'empereur, on lui découvrit le visage et on reconnut son
identité. Un grand tumulte éclata. On le frappa au visage et on
le jeta dehors, car ignorant tout, il n'était pas coupable.
Le pirate, qui s'était
emparé de la fille de l'empereur, savait qu'on allait le pourchasser.
Il descendit du navire et se cacha avec elle dans un fossé rempli d'eau
de pluie, en attendant que les choses se calment. Il avait dit aux matelots
de couper l'ancre et de s'enfuir aussitôt, car on allait sûrement
partir à leur recherche. On ne tirerait sans doute pas sur le navire
car la princesse était sensée être à son bord. On
ne ferait que les prendre en chasse, " C'est pourquoi vous devez fuir immédiatement.
Si on vous rattrape, quelle importance ?" Les pirates sont ainsi faits
: ils ne s'inquiètent de rien. Il y eut donc un grand tumulte, on les
pourchassa mais en vain.
Le pirate s'était donc réfugié avec la fille de l'empereur
dans le fossé rempli d'eau de pluie. Il la terrorisa pour qu'elle ne
crie pas, de peur qu'on ne l'entendît. Il lui parla ainsi : " J'ai
risqué ma vie pour t'enlever. Si je te perdais, ma vie ne vaudrait plus
grand chose. Pour l'instant, tu es entre mes mains. Si je te perds, si on t'arrache
à moi, ma vie n'aura plus de prix. C'est pourquoi, si tu cries, je t'étrangle
sur le champ. Et que l'on fasse de moi ce que l'on voudra, car je ne vaudrai
plus rien ". La fille de l'empereur eut très peur.
Plus tard, il sortit du fossé avec elle. Il l'emmena dans une ville,
puis ils marchèrent longtemps. Ils arrivèrent dans un endroit,
mais le pirate se rendit compte que là aussi on la cherchait. Il se cacha
avec elle dans un mikvé. Puis il en sortit et partit se cacher dans un
autre endroit lui aussi rempli d'eau. Il se cacha plusieurs fois avec elle dans
des endroits remplis d'eau, tout comme le marchand s'était caché
avec la mère de la jeune fille dans les sept endroits remplis d'eau,
les sept témoins.
Finalement, ils atteignirent la mer. Le pirate chercha une barque de pêcheur
pour effectuer la traversée avec la fille de l'empereur. Il en trouva
une et emmena la princesse. Il n'avait nul besoin d'elle car il était
eunuque ; mais son intention était de la vendre à un roi et il
craignait qu'on ne la lui prenne. Il lui fit mettre des vêtements de matelot
si bien qu'elle ressembla à un homme. Le pirate partit avec elle et une
tempête éclata qui rejeta la barque, brisée, sur un rivage.
Ils étaient parvenus sur le rivage proche du désert où
vivait le jeune homme. Lorsqu'ils arrivèrent au désert, le pirate
qui connaissait bien toutes ces choses, sut qu'aucun bateau ne passait au large
de cet endroit. N'ayant donc rien à craindre de quiconque, il libéra
la fille de l'empereur. Ils partirent chacun de leur côté chercher
à manger. Elle s'éloigna du pirate qui suivit son propre chemin.
Lorsqu'il se rendit compte de son absence, il l'appela et cria. Mais elle décida
de ne point lui répondre, se disant : " Tout ce qui m'attend, c'est
qu'il me vende. Pourquoi lui répondrai-je ? S'il me retrouve, je lui
dirai que je ne l'ai pas entendu. Qui plus est, il ne veut pas me tuer, mais
seulement me vendre. " Elle ne lui répondit donc pas et continua
sa route. Le pirate la chercha partout mais en vain. Il avait beau avancer et
ne la retrouva pas. Il fut probablement dévoré par des bêtes
sauvages.
La fille de l'empereur marcha encore et encore et trouva de quoi manger. Elle finit par atteindre l'endroit où vivait le jeune homme. Ses cheveux avaient poussé. De plus, comme elle était habillée en homme, avec ses habits de matelots, le jeune homme ne la reconnut pas ; elle ne le reconnut pas non plus. Le jeune homme fut ravi de voir arriver un être humain. Il lui demanda : " D'où viens-tu ? " Elle répondit : " J'étais en mer avec un marchand. Et toi, comment es-tu arrivé ici ? " Il répondit aussi : " Grâce à un marchand. " Et ils s'installèrent tous les deux.
Après l'enlèvement
de sa fille, l'impératrice se lamenta sans fin. Elle se frappait la tête
contre les murs à cause de cette douloureuse perte. Elle assaillit l'empereur
de reproches et lui dit : " Par ta vanité, tu t'es débarrassé
du jeune homme. Et maintenant, nous avons perdu notre fille ! Elle était
toute notre chance et toute notre réussite. Maintenant que nous l'avons
perdue, que me reste-t-il ? " Elle le harcelait sans relâche. L'empereur
aussi connut l'amertume d'avoir perdu sa fille, et voilà que l'impératrice
se querellait avec lui sans répit. La guerre et la mésentente
régnaient entre eux. Elle lui adressait des paroles blessantes ; il se
mettait en colère. Il finit par donner l'ordre de l'exiler. Il nomma
des hommes de loi pour son procès et les juges la condamnèrent
à l'exil. Elle fut donc exilée. Puis l'empereur entreprit une
guerre mais il ne la remporta pas. Il en accusa un général : "
A cause de ta façon d'agir, tu as perdu la guerre " Il exila le
général. Puis il entreprit une autre guerre qu'il ne remporta
pas non plus. Il exila un autre général ainsi que plusieurs autres.
Le pays prit conscience qu'il agissait bizarrement : l'exil de l'impératrice,
puis celui des généraux. On décida de faire le contraire
: de rappeler l'impératrice et de chasser l'empereur ; l'impératrice
gouvernerait. Ainsi fut fait : on exila l'empereur et on reprit l'impératrice,
qui dirigea le pays. Elle ordonna aussitôt de faire revenir le marchand
et sa femme, que l'empereur avait disgraciés et appauvris, et elle les
accueillit dans son palais.
L'empereur pria ceux qui le conduisaient en exil de le laisser partir : "
Après tout, j'étais votre empereur et je vous ai accordé
des faveurs. Maintenant, faites-moi plaisir, laissez-moi aller. Je ne reviendrai
sûrement pas dans mon pays, n'ayez aucune crainte. Laissez-moi, laissez-moi
partir. Laissez-moi libre pour le peu de temps qu'il me reste à vivre.
" Ils le laissèrent et il partit.
Les années passèrent.
L'empereur marcha longtemps et atteignit finalement la mer. Son navire fut lui
aussi poussé par le vent et il se retrouva à l'endroit où
vivaient le jeune homme et la belle jeune fille habillée en homme. Ils
ne se reconnurent pas car l'empereur avait vieilli ; ses cheveux avaient poussé
et de nombreuses années s'étaient écoulées. Les
cheveux de tous avaient poussé. Le jeune homme et la jeune fille lui
demandèrent : " Comment es-tu arrivé ici ? " Il répondit
: " Grâce à un marchand. " Et ils lui dirent la même
chose. Ils s'installèrent tous trois ensemble, mangèrent et burent.
Ils firent de la musique dont chacun d'eux savait jouer. L'empereur et les deux
autres savaient en effet jouer de la musique. Le jeune homme, plus hardi que
les deux autres car il vivait là depuis longtemps, leur rapportait de
la viande qu'ils mangeaient. Ils faisaient brûler du bois plus précieux
que l'or dans les villes. Le jeune homme leur faisait comprendre que la vie
ici était bien meilleure comparée au bien-être dont les
hommes jouissaient dans les villes. Mieux valait s'installer ici et y vivre.
Ils lui demandèrent : " Quel bien-être as-tu connu pour dire
que tu te sens mieux ici ? " Il leur répondit en leur racontant
tout ce qui lui était arrivé : il était fils de marchand
et lorsqu'il habitait chez son père il avait tout, mais ici aussi il
avait tout. Il leur faisait comprendre que c'était le meilleur endroit
au monde pour vivre. L'empereur lui demanda : " As-tu entendu parler de
l'empereur ?" Il répondit affirmativement. Il lui posa la même
question à propos de la belle jeune fille et il répondit que oui
; il ajouta très en colère : " L'assassin ! " (De même
que quelqu'un parle de quelqu'un d'autre en grinçant des dents, le jeune
homme en colère parlait de l'empereur sans savoir qu'il s'agissait précisément
de son interlocuteur.) L'autre lui demanda :
- Pourquoi est-ce un assassin ?
- C'est à cause de sa méchanceté et de sa cruauté
que je me retrouve ici !
- Comment est-ce arrivé ?
Le jeune homme se dit qu'ici il ne craignait rien et lui répondit en
racontant toute son histoire. L'autre lui demanda :
- Si l'empereur venait à tomber entre tes mains, t'en vengerais-tu ?
- Non !, répondit-il du haut de sa bonté et de sa compassion.
Au contraire, je lui offrirais l'hospitalité, comme je le fais pour toi.
- Quelle triste et amère vieillesse pour cet empereur !, soupira-t-il
en gémissant.
Le jeune homme avait entendu parler de la disparition de la fille de l'empereur
et de l'exile de celui-ci. Il s'écria :
- Sa cruauté et sa vanité ont causé sa perte et celle de
sa fille. Quant à moi, j'ai été rejeté jusqu'ici.
Tout cela par sa faute !
L'empereur demanda une nouvelle fois au jeune homme :
- S'il venait à tomber entre tes mains, te vengerais-tu ?
- Non ! Je l'accueillerais tout comme je t'accueille.
Alors, l'empereur révéla son identité et lui raconta tout
ce qui lui était arrivé. Le jeune homme s'inclina, l'étreignit
et l'embrassa. La fille de l'empereur avait tout entendu de leur conversation.
Le jeune homme cherchait
le document tous les jours en partant faire une marque sur trois arbres. Il
y avait des milliers d'arbres et il faisait une marque sur les trois arbres
qu'il avait examinés afin de ne pas avoir à les réexaminer
le lendemain. Ainsi faisait-il tous les jours : peut-être retrouverait-il
le document qu'elle lui avait envoyé et qu'il avait perdu dans les arbres.
En revenant, il avait les larmes aux yeux, pleurant d'avoir cherché sans
résultat. Ils lui demandèrent : " Que cherches-tu au milieu
des arbres ? Pourquoi reviens-tu en pleurant ? " Il leur raconta toute
l'histoire : la belle jeune fille lui avait envoyé un document, il l'avait
caché dans l'un des arbres, la tempête avait soufflé...
A présent, il le cherchait. Peut-être trouverait-il le document.
Ils lui dirent : " Demain, lorsque tu partiras à sa recherche, nous
t'accompagnerons. Peut-être réussirons-nous à le trouver
"
Ainsi, ils partirent avec lui. La fille de l'empereur trouva le document dans
un arbre. En le déroulant, elle s'aperçut qu'il était écrit
de sa propre main. Elle se dit que si elle révélait tout de suite
son identité, se débarrassait de ses vêtements, recouvrait
sa beauté et redevenait la belle jeune fille d'autrefois, il risquait
de tomber et de mourir. Elle voulait que tout se fasse selon les règles
(c'est-à-dire qu'elle ne souhaitait pas l'épouser dans le désert
mais selon la coutume). Elle lui rendit le document, lui disant qu'elle l'avait
trouvé. (Elle lui dissimula qui elle était, et ne fit que lui
donner le document). Aussitôt, il défaillit et s'évanouit.
Ils le ranimèrent et en furent très joyeux. Puis, le jeune homme
déclara : " A quoi me sert le document ? Comment pourrais-je la
retrouver ? Elle vit sûrement quelque part avec quelque roi. (Il pensait
qu'elle avait été vendue par le pirate, comme l'empereur le lui
avait dit). A quoi cela me servirait-il ? Je vais rester ici pour y vivre. "
Il lui rendit le document et lui dit : " Prends-le, et part l'épouser.
" (Elle était toujours habillée en homme). Elle s'apprêta
à partir et lui demanda de venir avec elle : " Je l'épouserai,
c'est sûr. Je posséderai des richesses et je t'en donnerai une
partie. " Le jeune homme vit qu'elle était intelligente et qu'elle
réussirait ; il accepta de partir avec elle. L'empereur resta seul, car
il craignait de rentrer chez lui. Elle lui demanda de venir aussi car elle allait
épouser la belle jeune fille. " Tu n'as rien à craindre.
La chance va te sourire à nouveau, car on va retrouver la belle jeune
fille et on décrétera ton retour. "
Ils partirent tous les trois, louèrent un navire et retournèrent dans le pays où régnait l'impératrice. Ils se rendirent dans la ville où elle séjournait et jetèrent l'ancre. La fille de l'empereur se dit que si elle annonçait tout de suite son retour à sa mère, celle-ci risquerait d'en mourir. Elle fit donc annoncer à sa mère qu'un homme avait des nouvelles de sa fille. Puis elle se présenta en personne devant l'impératrice et lui raconta les aventures de celle-ci. Elle lui raconta toute l'histoire et termina par ces mots : " Elle est ici. " Puis elle lui révéla la vérité : " Je suis elle. " Elle lui annonça que son fiancé, le fils du marchand, était présent lui aussi, et qu'elle ne désirait rien d'autre, si ce n'est la restitution de son père, l'empereur. Sa mère refusa ; elle éprouvait une très grande colère à son égard car tout était arrivé par sa faute. Elle dut pourtant accepter par amour pour sa fille. On voulut rappeler l'empereur, on le chercha, mais en vain. Alors, sa fille déclara qu'il était avec eux.
Le mariage eut lieu et la
joie fut grande. Après leur union, le fils du marchand et la fille de
l'empereur héritèrent de l'empire et du royaume. Ils régnèrent,
suprêmes, sur le monde entier, amen et amen.
L'empereur perdit sa grandeur car tout était arrivé par sa faute.
Le marchand connut la gloire, car il était le père du nouvel empereur,
personnage principal de l'empire. Le matelot fut roué de coups et on
le chassa.
Il est écrit au sujet
de Lot (Gen. I9:I7) : " Fuis vers la montagne ! " : c'est le "
marchand ". (N.d.T. : jeu de mots sur " montagne " qui en Yiddish
se dit " berg " et sur " marchand " qui est la traduction
de " berguir ".) De lui sortira le Messie. Les Juifs connaissaient
en Egypte les signes pour savoir qui serait le libérateur. Et il existe
des signes que le Libérateur viendra, c'est sûr.
Le Messie dira à chaque Juif ce qui lui est arrivé chaque jour.
Tamar a perdu les signes, elle aussi, comme le rapporte le Midrash (Genèse
Rabbah 85 :II ). Alors qu'on s'apprêtait à la brûler, le
Satan est venu pour éloigner d'elle les signes. Mais l'ange Gabriel survint
et les lui rapporta, comme le raconte un Midrash (Sotah 10b). C'est d'elle que
sortira le Messie, bientôt et de nos jours, amen.
Tout cela a été
dit par le Rebbe (Rabbi Na'hman) après qu'il nous eût raconté
cette histoire, afin que l'on en mesure toute la portée. Celui qui méritera
de connaître le secret de ces histoires, en tirera un grand bénéfice,
y compris dans le monde à venir.
Ce qui suit se rapporte à ce qui est dit dans l'histoire au sujet de
ceux venus réciter leur poème. A certains, on répond par
l'entremise d'un messager, etc.
Il y a de nombreux grands personnages
; chacun fait ce qu'il fait, chacun se démène pour atteindre le
but véritable. Mais aucun d'entre eux ne mérite en vérité
d'atteindre ce but, sauf celui qui le mérite réellement. A certains
on répond par l'intermédiaire d'un messager ; à d'autres,
on répond de derrière le mur ; à d'autres encore on dévoile
son visage, comme dans l'histoire. Finalement, lorsqu'ils quittent le monde,
on leur dit qu'ils n'ont rien accompli, comme lorsque la belle jeune fille du
conte dit : " Les eaux ne sont pas passées sur toi ". Et jusqu'à
ce que vienne le juste guide, bientôt et de nos jours, amen .
Tout cela a aussi été dit par le Rebbe zal.
LE FILS DU ROI ET LE FILS DE LA SERVANTE QUI FURENT ECHANGES
Il était une fois
un roi. Chez lui, vivait une servante de la reine. (Il est probable qu'une cuisinière
ne saurait être admise chez le roi ; cette servante devait avoir quelque
autre tâche mineure). Arriva l'heure où la reine dut accoucher.
Au même moment, la servante dut, elle aussi, mettre son enfant au monde.
La sage-femme échangea les enfants pour voir ce qui allait advenir de
tout cela. Elle prit l'enfant du roi et le coucha à côté
de la servante ; quant à l'enfant de la servante, elle le coucha à
côté de la reine.
Les enfants grandirent. Le " fils du roi " (celui qui avait été
élevé chez le roi et que l'on pensait être son fils) fut
promu à des fonctions de plus en plus hautes et devint quelqu'un de très
important et de très efficient. Le " fils de la servante "
(celui qui avait été élevé chez la servante mais
qui était en vérité le véritable fils du roi) grandit
aussi. Les deux enfants étudiaient ensemble au 'héder. De par
sa nature, le véritable fils du roi tendait vers un comportement royal,
mais il était élevé chez la servante. A l'opposé,
le fils de la servante était poussé par sa nature vers des attitudes
non royales, mais étant élevé chez le souverain il devait
se conduire conformément au protocole de la royauté et ne pouvait
s'y soustraire.
Etant donné que " les femmes ont l'esprit léger " (Shabbat
33b) et qu'elles ne peuvent rien taire, la sage-femme dévoila le secret
à quelqu'un : elle avait échangé les enfants. " Chaque
homme a un ami, et ce dernier a un autre ami. " (Ketoubot 109b). Ainsi,
un homme révéla le secret à un autre homme... et le celui-ci
fut connu, comme cela se produit à chaque fois. Les gens finirent par
dire à mots couverts que le fils du roi avait été échangé.
On ne pouvait pas en parler ouvertement, afin que le roi n'en sût rien.
D'ailleurs, que pouvait-il faire ? Il ne pouvait pas rétablir l'ordre
des choses. Il pouvait ne pas croire à tout cela, penser que c'était
un mensonge. D'autre part, comment revenir en arrière et faire l'échange
en sens inverse ?
On ne pouvait vraiment pas évoquer ouvertement cette affaire en présence
du roi, mais cela n'empêchaient pas les gens d'en parler entre eux.
Un jour, quelqu'un dévoila
le secret au " fils du roi " : on disait qu'il avait été
échangé. " Mais tu ne peux enquêter sur cette affaire,
ce ne serait pas digne de toi. De toute façon, comment rétablir
l'ordre des choses ? Je te raconte tout cela seulement pour que tu le saches.
Un jour, il y aura peut-être un complot contre la monarchie ; il risquerait
de devenir plus dangereux si cette affaire était connue. Les conjurés
pourront dire qu'ils prennent pour nouveau roi celui dont on dit qu'il est son
vrai fils. Par conséquent, veille à te débarrasser de ce
jeune homme. " Tels furent les mots de celui qui parla au " fils du
roi " lequel était en vérité le fils de la servante.
Le " fils du roi " commença à comploter contre le mari
de la servante (qui était en vérité son propre père)
et s'arrangea pour que des ennuis l'assaillent sans cesse. Il lui infligeait
les pires tourments afin de le forcer à partir et à s'exiler avec
son " fils ". Aussi longtemps que le roi vécut, " son
fils " n'eut pas grand pouvoir ; mais lorsque le vieux monarque décéda,
et qu'il hérita du royaume, il tourmenta le mari de la servante de plus
belle. Il agissait toujours en secret, afin que l'on n'ignore que cela venait
de lui, car il n'avait aucun intérêt à ce que la chose fût
connue. Il lui infligea donc les pires misères. L'homme que l'on tourmentait
continuellement pour qu'il chasse son " fils ", comprit que c'était
à cause de l'affaire des enfants échangés. Il appela ce
dernier et lui raconta toute l'histoire. Puis il lui dit : " J'éprouve
une grande pitié pour toi quelle que soit ton identité : si tu
es mon fils, j'ai pitié de toi ; si tu n'es pas mon fils mais le vrai
fils du roi, j'ai encore plus pitié de toi. En effet, celui qui a hérité
du royaume veut causer ta perte, à Dieu ne plaise. Par conséquent,
tu dois t'enfuir. " Il se sentit très misérable et malheureux.
Cependant, le roi le persécutait sans relâche. Le fils du roi décida
donc de s'enfuir. Le père lui donna une grosse somme d'argent et il partit.
Il était triste de quitter son pays pour rien et examina sa situation
sous tous les angles : " En quoi ai-je mérité d'être
banni ? Si je suis le fils du roi, je ne mérite pas l'exil ; si je ne
suis pas le fils du roi, je ne mérite pas non plus d'être un fugitif
sans raison. En quoi suis-je coupable ?" Il était si triste qu'il
se mit à boire et à fréquenter les maisons de prostitution.
Ainsi voulait-il vivre : se soûler et suivre les désirs de son
cur , parce qu'il avait été exilé sans motif.
Le roi (le faux prince qui avait été échangé et qui avait accédé au trône) dirigeait son royaume avec force. Lorsqu'on lui rapportait que quelqu'un évoquait l'affaire de l'échange des deux enfants, il se vengeait en le faisant punir et en le torturant. Il gouvernait d'une main de fer
Un jour, le roi partit chasser des bêtes sauvages en compagnie de ses ministres. Il arriva dans un endroit magnifique où coulait une rivière. Les ministres s'installèrent pour se reposer et lui partit se promener. Puis il s'allongea et tous ces actes lui revinrent à l'esprit : il avait exilé le jeune homme sans raison ; en effet, si d'une part il était le fils du roi et s'il avait vraiment été échangé, pourquoi l'avait-il obligé à partir sans raison ? D'autre part, s'il n'était pas le fils du roi, il ne méritait pas l'exil, car en quoi avait-il péché ? Le roi médita beaucoup sur cette affaire et fut pris de remords à cause du péché et de l'injustice qu'il avait commis. Il ne savait que faire. Il ne pouvait en parler à personne afin de lui demander conseil (on a honte de parler de ces choses-là à autrui). Il resta soucieux et anxieux. Il dit à ses ministres qu'ils allaient rentrer, car il n'avait plus envie de se promener, tant il était préoccupé. Ils rentrèrent et le roi eut beaucoup d'affaires à régler. Il fut très affairé et toute l'histoire disparut de ses préoccupations.
Le vrai fils du roi, que
l'on avait forcé à partir et qui avait fait ce qu'il avait fait,
dépensa tout son argent. Un jour, il alla se promener seul et s'allongea.
Toute son aventure lui revint à l'esprit et il se dit : " Comment
Dieu a-t-il agi envers moi ? Si je suis le fils du roi, je ne mérite
pas tout cela, et si je ne suis pas le fils du roi, il n'y a aucune raison que
je vive en fugitif et en exilé. " Il se calma et pensa : "
Ai-je eu raison d'agir de la sorte ? Convient-il à mon rang de me conduire
ainsi ? " Il fut très triste et pris de remords à cause de
ses mauvaises actions. Puis il retourna là où il vivait et se
remit à boire. Cependant, il avait des remords et était mal à
l'aise à cause des regrets et du repentir qui le préoccupaient
constamment.
Un jour qu'il était couché, il rêva qu'une foire se tenait
tel jour en un certain endroit. Il devait s'y rendre et saisir la première
occasion qui s'offrirait à lui, même si cela était au-dessous
de sa condition. Lorsqu'il se réveilla, le songe occupait toujours ses
pensées. Il arrive parfois qu'une chose sorte immédiatement de
la tête, mais ce ne fut pas le cas de son rêve. Pourtant il lui
était difficile de faire ce qu'on lui avait dit. Il se remit à
boire et fit plusieurs fois ce même rêve qui le tracassait beaucoup.
Un jour, on lui dit en songe : " Si tu as pitié de toi-même,
va à la foire." Il dut obéir. Il décida de laisser
tout l'argent qui lui restait dans l'auberge où il vivait ; il abandonna
aussi ses beaux vêtements, et choisit une simple blouse de marchand. Il
se rendit dans la ville où se tenait la foire. S'étant levé
tôt, il s'y rendit. Un marchand l'aborda et lui demanda :
- Veux-tu gagner quelque chose ?
- Oui, répondit-il.
- Je dois conduire un troupeau, et je t'engage.
Il n'eut pas le temps de réfléchir à cette offre, à
cause du rêve, et donna aussitôt son accord
Il fut engagé par le marchand qui lui donna des ordres, comme un maître
agit à l'égard de ses serviteurs. Le jeune homme commença
à réfléchir à ce qu'il faisait là, car étant
de nature délicate, il pensait que ce genre de travail était au-dessous
de lui. Et voilà qu'il devait conduire un troupeau, aller à pied
à côté d'animaux. Mais il était trop tard pour les
regrets. Le marchand lui donnait des ordres comme un seigneur. Il demanda à
ce dernier :
- Comment vais-je conduire le troupeau tout seul ?
- J'ai d'autres meneurs de troupeau, tu iras avec eux.
Il lui confia quelques bêtes. Il les conduisit en dehors de la ville,
à l'endroit où se trouvaient les autres conducteurs. Ils partirent
tous ensemble et il conduisit son troupeau. Le marchand les accompagnait à
cheval. Il agissait avec cruauté, surtout à l'égard du
jeune homme lequel redoutait fort cet homme impitoyable. Il craignait de mourir
si le marchand le frappait de coups de bâton (le fils du roi, de nature
très délicate, prenait peur chaque fois qu'il pensait au marchand).
Il conduisait donc le troupeau et le marchand les accompagnait.
Ils atteignirent un endroit
; on sortit d'un sac le pain destiné aux conducteurs du troupeau, et
on leur en donna. On en donna aussi au jeune homme et il mangea. Puis, ils repartirent
et traversèrent une épaisse forêt. Deux des bêtes
dont le jeune homme avait la charge s'y égarèrent. Le marchand
invectiva le jeune homme qui partit les rattraper. Les bêtes avancèrent
plus loin et il les pourchassa. Dès qu'il fut entré dans l'épaisseur
de la forêt, les autres conducteurs ne parvinrent plus à le voir.
Le jeune homme marcha à la poursuite de ses bêtes égarées.
Il les pourchassa longtemps, toujours plus loin, jusqu'au plus profond de la
forêt. Il se dit : " Quoi qu'il arrive, je vais mourir (à
cause de la terreur qu'il éprouvait à l'égard du marchand,
il pensait que ce dernier allait le tuer s'il revenait sans ses bêtes).
Si je reste ici, les bêtes sauvages de la forêt vont me dévorer.
Mais pourquoi retournerais-je auprès du marchand ? Et Comment revenir
sans les bêtes ? " Il eut très peur. Il reprit donc sa route
et poursuivit les bêtes qui s'éloignaient toujours davantage.
La nuit tomba. Jamais il n'avait été confronté à
pareille situation : être obligé de passer la nuit seul dans une
forêt. Il entendit le rugissement des bêtes sauvages qui criaient
selon leur habitude. Il décida de grimper en haut d'un arbre et y passa
la nuit. Il entendit encore les mêmes cris. Le matin venu, il regarda
autour de lui et vit que ses bêtes se tenaient tout près. Il descendit
de l'arbre pour les attraper mais elles s'enfuirent et il les pourchassa. Elles
coururent plus loin et trouvèrent de l'herbe à manger. Elles s'arrêtèrent
et broutèrent. Il s'avança pour les attraper mais elles s'enfuirent
aussitôt. Chaque fois qu'il faisait un pas, elles s'éloignaient
davantage. Il arriva au cur de la forêt, là où vivent
les bêtes sauvages qui ne redoutent pas les hommes car elles vivent loin
de leurs habitations.
La nuit tomba une nouvelle fois et il entendit hurler les animaux sauvages.
Il eut grande peur. Apercevant près de lui un arbre très haut,
il y grimpa. Lorsqu'il arriva en haut, il trouva un homme et s'effraya. Ils
se demandèrent l'un à l'autre :
- Qui es-tu ?
- Un homme. Et toi ?
- Un homme.
- Comment es-tu arrivé ici ?
Il ne voulait pas lui raconter tout ce qui lui était arrivé et
il répondit :
- A cause des bêtes que je surveillais. Deux d'entre elles sont venues
jusqu'ici et c'est la raison pour laquelle je m'y trouve. Et toi, comment es-tu
arrivé ici ?
- Je suis arrivé ici à cause d'un cheval. J'étais sur mon
cheval et je voulus me reposer. Le cheval s'est enfui dans la forêt, j'ai
couru après lui pour le rattraper et il est parti encore plus loin, je
suis donc arrivé ici.
Ils décidèrent d'un commun accord de rester ensemble. Ils conclurent
de rester l'un avec l'autre s'ils arrivaient dans un endroit habité.
Ils passèrent tous les deux la nuit dans l'arbre. Ils entendirent les
bêtes sauvages qui criaient et rugissaient. Vers le matin, le jeune homme
entendit un rire énorme, si fort qu'il se répercutait dans toute
la forêt. Il faisait même trembler l'arbre. Il fut terrifié
par le bruit. Son compagnon lui dit alors :
- Je n'ai plus peur de ce bruit, car j'ai passé plusieurs nuits ici et
c'est comme cela à chaque fois. A l'approche du jour on entend ce bruit,
et les arbres en sont secoués et tremblent.
- Il semblerait que cet endroit soit celui des démons, car dans les endroits
habités de tels rires ne se font pas entendre. Qui a jamais entendu un
rire si puissant ?
Soudain, le jour se leva. Ils regardèrent autour d'eux et s'aperçurent
que le cheval et les bêtes étaient là. Ils descendirent
de l'arbre et se lancèrent à leur poursuite. L'un courait après
son cheval, l'autre après ses bêtes. Celles-ci partirent plus loin
et il les suivit. Le cheval s'enfuit plus loin aussi et l'homme le suivit. Le
jeune homme et son compagnon s'éloignèrent l'un de l'autre et
ne se virent plus.
Puis le jeune homme trouva un sac rempli de pain, ce qui était étonnant
dans un endroit désert. Il chargea le sac sur son épaule et repartit
à la poursuite de ses bêtes. Il rencontra un autre homme. Il eut
d'abord peur puis se réjouit de cette présence humaine. L'homme
lui demanda :
- Que fais-tu ici ?
- Et toi, que fais-tu ici ? demanda-t-il à son tour.
- Moi ? Mes parents et les parents de mes parents ont vécu ici. Mais
toi, que fais-tu ici ? Personne n'est jamais venu dans cet endroit.
Le jeune homme prit peur, car il comprit que l'autre n'était pas un être
humain. Il disait que ses parents avaient vécu ici, mais qu'aucun homme
n'était jamais parvenu jusqu'à cet endroit. Il était clair
que ce n'était pas un être humain. Cependant il ne lui avait rien
fait et il était aimable avec lui (l'homme de la forêt ne lui avait
fait aucun mal). Ce dernier répéta :
- Que fais-tu ici ?
- Je coure après mes bêtes.
- Cesse de courir après tes péchés, car ce ne sont pas
des bêtes, mais seulement tes péchés qui te font courir
ainsi. Assez ! Tu as reçu ta punition. Cesse de les poursuivre ! Viens
avec moi, tu atteindras ton but.
Il partit avec lui. Il craignait de lui parler et de lui poser des questions
; peut-être que ce genre d'individu pouvait ouvrir sa bouche et l'engloutir.
Il le suivit donc, et il rencontra son ami qui courait après son cheval.
Il lui fit un signe pour l'avertir que celui qu'il suivait n'était pas
un être humain et qu'il ne devait pas avoir affaire avec lui car ce n'était
pas un homme. Mais celui qui courait après son cheval remarqua que le
jeune homme portait un sac de pain sur l'épaule. Il l'implora :
- Mon frère, je n'ai pas mangé depuis si longtemps. Donne-moi
du pain !
- Dans cet endroit désert, pas question ! Ma vie est précieuse,
j'ai besoin de ce pain.
- Je te donnerai n'importe quoi, le supplia l'autre.
(Mais dans la forêt, aucun cadeau ne passe avant le pain).
- Que peux-tu me donner en échange du pain, dans cet endroit désert
?
- Je me mets à ton service, je me vends comme serviteur, comme esclave
contre du pain.
Le jeune homme se dit qu'acheter un homme valait bien qu'on lui donnât
du pain. Il l'acheta comme serviteur à vie et le fit jurer de le servir
pour toujours même s'ils arrivaient dans un endroit habité.
Puis il lui donna du pain et ils mangèrent tous les deux, jusqu'à
ce qu'il n'en restât plus. Enfin ils se mirent en route et suivirent l'homme
de la forêt, l'un derrière l'autre. Le jeune homme se sentait plus
à l'aise depuis qu'il disposait d'un serviteur. S'il devait ramasser
une chose ou en faire une autre, il ordonnait lui de l'accomplir à sa
place. Ils suivaient l'homme de la forêt et atteignirent un endroit qui
grouillait de serpents et de scorpions. Le jeune homme prit peur et demanda
à l'homme de la forêt :
- Comment allons-nous passer ?
- S'il n'y avait que cela ! Mais comment vas-tu entrer dans ma maison ?
Et il lui montra sa maison laquelle était suspendue dans les airs. Ils
suivirent l'homme de la forêt qui les fit passer sains et saufs et les
fit entrer chez lui. Il leur donna de quoi boire et manger et repartit. Le jeune
homme ordonna à son serviteur de faire ce qu'il exigeait de lui et l'autre
regretta de s'être vendu comme esclave, à cause d'un seul moment
où il avait eu besoin de manger du pain. A présent, il avait à
manger, et à cause d'un seul instant, il se retrouvait esclave à
vie. Il poussa un gros soupir et dit :
- Où en suis-je arrivé ? Me voilà esclave !
- Quelle était donc ta grandeur passée pour que tu pleures ainsi
sur ton sort actuel ?
Il lui répondit en lui racontant qu'il avait été roi, qu'on
avait dit de lui qu'il avait été échangé à
la naissance et qu'il avait forcé son ami à partir. Un jour, pensant
qu'il avait mal agi, il eut des remords. A cause de la mauvaise action et de
la grande injustice commises envers son ami, il vivait constamment dans le remords.
Une fois, il rêva que son remède consistait à se débarrasser
du royaume et à se rendre là où ses yeux le conduiraient.
Ainsi, il réparerait son péché. Il ne voulut pas agir de
la sorte, mais ses rêves le hantaient et le harcelaient tant qu'il finit
par leur céder. Il abandonna la royauté et erra un peu partout
avant d'aboutir ici. A présent, il devait être esclave.
Le jeune homme l'écouta sans prononcer un mot et se dit :
- Désormais, je sais comment me conduire avec toi.
L'homme de la forêt revint à la nuit tombée, leur donna
à manger, à boire, et ils passèrent la nuit chez lui. Vers
le matin, ils entendirent l'énorme rire qui fit trembler les arbres et
les brisa tous. Alors, le serviteur poussa le jeune homme à demander
à l'homme de la forêt ce qui se passait. Le jeune homme questionna
:
- Quel est ce rire puissant que l'on entend à l'approche du jour ?
- C'est le jour qui se moque de la nuit, car celle-ci demande au jour : "
Pourquoi, lorsque tu arrives, n'ai-je pas de nom ? " Alors le jour éclate
de rire et luit. Voilà le rire que l'on entend à l'approche du
jour.
Ce fut une grande merveille pour le jeune homme que le jour se moquât
de la nuit. Mais il ne put poser d'autres questions, à cause de la façon
dont l'autre lui répondait.
Le matin venu, l'homme de
la forêt repartit. Ils mangèrent et burent. Le soir, il revint.
Ils mangèrent, burent et passèrent la nuit chez lui. Cette nuit-là,
ils entendirent les bêtes sauvages crier et rugir sauvagement. Le lion
rugissait, le léopard feulait et chaque bête poussait un cri différent.
Les oiseaux gazouillaient et chantaient, chacun à leur manière.
Le jeune homme et son serviteur eurent peur et n'écoutèrent pas
attentivement les sons à cause de leur effroi. Puis ils tendirent l'oreille,
écoutèrent avec soin et entendirent une mélodie. Les bêtes
entonnaient un air d'une grande beauté. Ils écoutèrent
encore plus attentivement et entendirent cet air extraordinairement beau, une
pure merveille. On éprouvait un grand plaisir à l'écouter
; en effet, comparés à elle tous les délices du monde ne
valaient rien, tant cette merveilleuse mélodie procurait de plaisir à
qui l'entendait.
Ils décidèrent de rester chez l'homme de la forêt, car ils
y avaient à manger, à boire ainsi qu'un plaisir si merveilleux
qu'aucun autre n'égalait. Le serviteur poussa son maître à
demander à l'homme de la forêt de quoi il s'agissait. Le jeune
homme l'interrogea et l'autre répondit :
- Le soleil a fabriqué un vêtement pour la lune. Toutes les bêtes
de la forêt ont crié que la lune les comblait de bienfaits, car
l'essentiel de la puissance des bêtes sauvages se manifeste la nuit. En
effet, elles doivent parfois se rendre jusqu'à des endroits habités
et ne peuvent le faire de jour. C'est durant la nuit que leur pouvoir est le
plus grand. Alors, la lune leur accorde une immense faveur, car elle brille
pour elles. Ainsi, elles se sont toutes mises d'accord pour composer une nouvelle
mélodie en l'honneur de la lune, et c'est cet air que vous entendez.
Lorsqu'ils surent que c'était une mélodie, ils l'écoutèrent
avec beaucoup d'attention et se rendirent compte de sa merveilleuse et sublime
douceur. L'homme de la forêt ajouta :
- Cela vous étonne ? Figurez-vous que j'ai reçu de mes parents
un instrument de musique fait avec certains matériaux, certaines feuilles
et certaines couleurs. Grâce à cela, lorsqu'on le prend et qu'on
le pose sur quelque animal, y compris un oiseau, il se met aussitôt à
jouer cette mélodie.
Puis le rire se fit à nouveau entendre ; ce fut le jour et l'homme de
la forêt repartit. Le jeune homme se mit à la recherche de l'instrument.
Il fouilla toute la pièce, mais en vain et eut peur d'aller plus avant.
Lui et son serviteur craignaient de demander à l'homme de la forêt
de les conduire dans quelque endroit habité. L'homme de la forêt
revint et leur annonça qu'il allait les y conduire. Il les emmena, prit
l'instrument de musique et l'offrit au vrai fils du roi, en disant :
- Je te fais cadeau de l'instrument. Tu sauras comment agir avec ton serviteur.
- Où irons-nous ? lui demandèrent-ils.
Il leur répondit de demander le chemin d'un pays appelé : "
Le Sot Pays et le Sage Gouvernement ".
- Par quel côté allons-nous commencer à demander le chemin
de ce pays ?
- Par là, indiqua-t-il du doigt. Puis il dit au vrai fils du roi : Va
dans ce pays et là-bas tu recouvreras ta grandeur.
Ils partirent.
En chemin, ils eurent très
envie de trouver quelque animal pour tester l'instrument et voir s'il allait
jouer. Mais ils n'en rencontrèrent pas. Ils pénétrèrent
dans une contrée habitée et trouvèrent un animal. Ils posèrent
l'instrument sur son dos et l'instrument se mit à jouer la mélodie.
Ils marchèrent longtemps et atteignirent le pays. Entouré d'une
muraille, on ne pouvait y pénétrer que par une seule porte. Il
fallait longer la muraille sur de nombreux milles pour atteindre la porte. Ils
firent le tour de l'enceinte et arrivèrent à la porte. Lorsqu'ils
s'y présentèrent, on ne voulut pas les laisser entrer, car le
roi du pays était mort et seul restait le prince. Le roi avait stipulé
dans son testament que le pays appelé jusqu'à présent "
Le Sot Pays et le Sage Gouvernement "porterait désormais le nom
inverse " Le Sage Pays et le Sot Gouvernement ". Quiconque réussirait
à rendre au pays son nom d'origine, " Le Sot Pays et le Sage Gouvernement
", mériterait d'y régner. Voilà pourquoi on ne laissait
entrer personne dans le pays, sauf quiconque serait susceptible de lui restituer
son nom d'origine. On demanda au jeune homme :
- En es-tu capable ? Peux-tu rendre au pays son nom d'autrefois ?
Sûrement n'en était-il pas capable. Ils ne purent donc pas entrer.
Le serviteur essaya de persuader son maître de rentrer chez eux. Mais
le jeune homme refusait de rebrousser chemin, car l'homme de la forêt
l'avait assuré qu'en se rendant dans ce pays il recouvrerait sa grandeur.
Pendant ce temps, un homme
à cheval voulut entrer. On s'y opposa pour la même raison. Le jeune
homme aperçut la monture de cet homme. Il se dirigea vers elle, l'instrument
de musique en main. Il le posa sur le cheval et l'instrument se mit à
jouer la merveilleuse mélodie. L'homme au cheval lui demanda de lui vendre
l'instrument. Il refusa et répondit :
- Que peux-tu me donner en échange d'un instrument si merveilleux ?
- Que sais-tu faire avec cet instrument ? Tout au plus feras-tu quelques tours
et gagneras-tu quelque argent. Moi, je peux faire bien mieux que ton instrument.
Je sais une chose que j'ai reçue des parents de mes parents : je sais
être expert en raisonnement. Grâce à cette chose héritée
de mes grands-parents, on peut devenir expert en raisonnement, et donc comprendre
une chose à partir d'une autre. Lorsque quelqu'un dit quelque chose,
on peut en déduire une seconde. Et ce savoir dont j'ai hérité,
je ne l'ai dévoilé à personne au monde. Je vais te l'enseigner
et tu me donneras l'instrument en échange.
Le jeune homme se dit qu'être expert en raisonnement était vraiment
d'extraordinaire. Il lui céda l'instrument et l'autre lui enseigna son
savoir. Devenu expert dans l'art de raisonner, le vrai fils du roi retourna
à la porte du pays et comprit qu'il lui serait désormais possible
grâce à cela, d'entreprendre de rendre au pays son nom d'origine.
Il sut que c'était possible mais ignorait comment. Pourtant, grâce
à son savoir dans l'art du raisonnement il comprit qu'il le pouvait.
Il décida d'ordonner qu'on le laissât entrer ; alors, il entreprendrait
de restituer au pays son premier nom. Qu'avait-il à perdre ? Il demanda
aux hommes qui lui avaient d'abord barré l'accès de le laisser
pénétrer et leur dit son intention. On le fit entrer et on annonça
aux ministres qu'un homme s'était présenté pour entreprendre
de redonner au pays son appellation première. On l'amena devant les ministres,
qui lui dirent :
- Tu dois savoir que nous ne sommes pas des sots, à Dieu ne plaise. Mais
le roi qui régnait ici était un sage extraordinaire ; comparés
à lui, nous ne sommes que des idiots. C'est pourquoi ce pays s'appelait
" Le Sot Pays et le Sage Gouvernement ". Le roi mourut et. il ne resta
que son fils. Le prince aussi est un sage ; mais à côté
de nous, ce n'est qu'un sot. C'est pourquoi le pays s'appelle à présent
" Le Sage Pays et le Sot Gouvernement ". Le roi a stipulé dans
son testament que s'il se trouvait un homme assez sage pour pouvoir rendre au
pays son nom d'autrefois, alors cet homme serait roi. Il dit à son fils
que si cet homme se présentait, il devait lui céder le trône
; en comparaison de lui, tous les autres ne seraient en effet que des sots car
il restituerait au pays son véritable nom, " Le Sot Pays et le Sage
Gouvernement". Par conséquent, tu dois savoir à quelle tâche
tu t'attelles.
Ils ajoutèrent :
- Voici comment nous allons déterminer si tu as la sagesse nécessaire
pour cette mission : le roi, qui était un grand sage, possédait
un jardin. C'est une merveille extraordinaire. Des vases en métal, en
or et en argent y poussent ; c'est une véritable splendeur. Mais on ne
peut pas y pénétrer, car dès qu'un homme entre, il est
poursuivi sans répit. Il crie et il ne sait pas et ne voit pas qui le
poursuit. On le pourchasse et on le force à sortir du jardin. Nous allons
donc voir si tu es un sage, si tu parviens à y pénétrer.
Il demanda si l'on frappait celui qui entrait. Ils répondirent :
- L'essentiel est qu'on le poursuit et qu'il ignore qui ; pris de panique, il
doit alors s'enfuir. Ainsi racontent les hommes qui ont pénétré
dans le jardin.
Telles furent les paroles que les ministres adressèrent au vrai fils
du roi. Il se dirigea vers le jardin et vit qu'un mur l'entourait. La porte
était ouverte, non gardée ; en effet, le jardin n'avait nul besoin
de gardiens car personne ne pouvait y entrer. Il se rapprocha, examina les lieux
et vit près du jardin un homme, ou plutôt l'apparence d'un homme.
Il regarda d'un peu plus près et remarqua une plaque au-dessus de l'homme
sur laquelle était écrit qu'il avait été roi pendant
des centaines d'années et que son règne avait été
pacifique. Avant et après son règne, il y avait eu des guerres
; mais pendant celui-ci, la paix seule régnait.
Comme il était expert en raisonnement, le jeune homme comprit que tout
dépendait de cet homme. Lorsqu'on entrait dans le jardin et qu'on était
poursuivi, il ne fallait pas s'enfuir, mais se placer à ses côtés
et l'on était sauvé. Qui plus est, en prenant cet homme et en
le plaçant dans le jardin, n'importe qui pouvait y entrer en paix. Il
comprit tout cela grâce à son art de raisonner. Il pénétra
dans le jardin. On se mit aussitôt à le poursuivre. Il partit se
réfugier près de l'homme qui était au-dehors et grâce
à cela il sortit sain et sauf. Les autres hommes entrés avant
lui et que l'on avait pourchassés, s'étaient enfuis, pris de panique,
et avaient été frappés à cause de cela. Mais lui
en était sortit sain et sauf pour s'être placé près
de cet homme.
Les ministres avaient tout vu et s'étonnèrent qu'il fût
sorti en paix. Il donna l'ordre de prendre l'homme et de le placer dans le jardin,
ce qui fut fait. Puis tous les ministres y entrèrent à leur tour,
se promenèrent et ressortirent sans encombres. Ils dirent au jeune homme
:
- Nous avons vu tout ce que tu as accompli. Toutefois, nous ne pouvons pas t'accorder
la royauté, à cause d'une chose. Nous allons te faire subir encore
une épreuve. Le roi avait un trône. Il est très haut. A
côté de ce trône, se trouvent des bêtes sauvages et
des oiseaux taillés dans le bois. Devant le trône, il y a un lit.
A côté du lit, une table. Sur la table il y a une lampe. Du trône
partent des chemins pavés. Ils partent dans toutes les directions et
sont longés par des murs. Personne ne connaît la signification
du trône et des chemins. Ces derniers mènent vers l'extérieur,
et à quelque distance se dresse un lion en or ; et si un homme s'en approche,
il ouvre la gueule et le dévore. Le chemin continue au-delà du
lion. Et il en est de même pour tous les chemins qui partent du trône.
Par exemple, un chemin part de celui-ci, s'étire dans une direction et
à quelque distance se dresse une autre bête sauvage, un léopard
de fer. Et on ne peut pas s'en approcher pour la même raison que l'on
ne peut s'approcher du lion. Il en est ainsi pour tous les chemins qui s'étirent
et traversent le pays entier. Nul ne connaît la signification du trône,
des chemins et des objets. Voilà en quoi consistera l'épreuve
que nous allons te faire subir : découvrir la signification du trône
et de tous les objets.
On lui indiqua le trône et il remarqua qu'il était très
haut. Il s'en approcha, l'examina et vit qu'il était fait du même
matériau que l'instrument offert par l'homme de la forêt. Il regarda
plus attentivement et remarqua qu'une sorte de rose manquait au sommet du trône.
S'il trouvait cette rose, alors le trône aurait le pouvoir de l'instrument
qui se mettrait à jouer lorsqu'on le posait sur le dos d'un animal. Il
regarda encore et s'aperçut que la rose manquante se trouvait sous le
trône. Si on la ramassait et si on la replaçait en haut du trône,
celui-ci aurait alors le pouvoir de l'instrument. En effet, l'ancien roi avait
tout fait et tout arrangé avec sagesse, afin que l'on ne comprît
pas ce qu'il avait voulu signifier, jusqu'à ce que vienne un homme d'une
sagesse si grande qu'il pourrait trouver et deviner comment tout changer et
tout remettre dans l'ordre qui convenait. Quant au lit, il comprit qu'il fallait
le pousser légèrement, ainsi que la table, la lampe, les animaux
et les oiseaux. Il fallait prendre tel oiseau et le mettre ailleurs. Puis remettre
tous les objets à leur place. Le roi avait en effet tout organisé
avec sagesse afin que l'on ne sût pas ce qu'il avait voulu signifier avant
l'arrivée d'un sage capable de comprendre qu'il fallait tout réordonner
convenablement. Il fallait déplacer le lion qui se trouvait au commencement
du chemin ; et ainsi de toute chose. Il ordonna que tout fût remis en
ordre comme il le fallait. Il convenait de ramasser la rose et de la remettre
au sommet du trône, déplacer chaque objet et le remettre à
sa place. Lorsque tout fut terminé, tous les objets se mirent à
jouer la merveilleuse et extraordinaire mélodie et tous accomplirent
leur rôle.
On lui accorda la royauté. Il fit appeler le fils de la servante et lui dit : " A présent, je sais que je suis le vrai fils du roi et que tu es le vrai fils de la servante. "
Autrefois, lorsqu'on parlait
de kabbalah, on utilisait le langage de cette histoire. Elle est une grande
merveille. Tout n'est qu'une seule et même chose : les bêtes,. le
trône, le jardin, etc. Ce ne sont qu'une seule et même chose. Une
fois cela s'appelle comme ceci, une autre fois comme cela.
L'explication de l'histoire est comme le trône que le roi a fabriqué,
dont l'essentiel est la sagesse. Il faut savoir tout remettre en ordre. Celui
qui est très versé dans les livres saints et qui est un véritable
sage peut comprendre l'explication. Mais il faut savoir remettre tout dans le
bon ordre. Car parfois la chose porte un nom, parfois elle en porte un autre.
Heureux celui qui méritera de comprendre cela. Tout cela, le Rebbe, alav
hashalom, en a parlé après avoir raconté l'histoire.
LE BAAL TEFILAH
Il était une fois
un Baal Tefilah qui consacrait tout son temps à la prière et aux
chants de louanges au Tout-Puissant Béni-Soit-Il. Il s'était installé
à l'écart des hommes et allait parfois dans quelque endroit habité
pour rendre plusieurs visites. En général, il s'agissait de petites
gens, pauvres et autres. Il bavardait et parlait de la raison d'être du
monde. Il disait qu'en vérité, il n'y avait aucun but, si ce n'était
celui de servir Dieu toute sa vie. Il fallait passer ses jours en prières
devant le Tout-Puissant et chanter ses louanges.
Il parlait longuement à quelqu'un, utilisant ce langage afin de réveiller
son interlocuteur, jusqu'à ce que ses paroles pénètrent
dans son cur et qu'il veuille bien se joindre à lui. Aussitôt
prêt, il le conduisait chez lui à l'écart de la ville. En
effet, le Baal Tefilah avait choisi un endroit isolé où coulait
une rivière et poussaient des arbres fruitiers. On mangeait des fruits.
On ne prêtait pas attention aux vêtements : on porte ce que l'on
porte. Le Baal Tefilah, donc, allait dans quelque endroit habité, parlait
aux gens et leur disait de suivre son chemin : ne servir que Dieu Béni-Soit-Il
et se consacrer uniquement à la prière. Il emmenait chez lui tous
ceux qui voulaient bien l'écouter. Et là-bas, ils ne s'occupaient
que de prières, de chants de louanges adressés au Tout-Puissant
Béni-Soit-I1, de confessions, de jeûnes et mortifications, de repentir
et d'autres actes pieux. Le Baal Tefilah leur donnait des livres de prières,
de chants de louanges, et de confessions. Ces ouvrages étaient toujours
dans leurs mains. Et il se trouva parmi les gens qu'il avait amenés chez
lui, des hommes capables d'en ramener d'autres vers le Tout-Puissant Béni-Soit-Il.
Il les autorisait parfois à se rendre dans quelque endroit habité
afin de réveiller les hommes au service du Très-Haut et faire
en sorte qu'ils se consacrent uniquement à Dieu. Telle était le
rôle du Baal Tefilah : rapprocher les gens et les emmener chez lui.
Finalement, certains bruits coururent dans le monde et la chose fut connue partout. Voilà soudain que des gens disparaissaient. On ne savait pas où. On avait perdu un fils, on avait perdu un gendre. On ignorait où ils étaient. On finit par découvrir l'existence d'un Baal Tefilah qui passait son temps à persuader les hommes de revenir vers le Tout-Puissant Béni-Soit-Il. Mais on ne pouvait pas le capturer, car il agissait avec beaucoup d'habileté : il rendait visite à chacun habillé différemment. Il se présentait à l'un sous les traits d'un homme pauvre, à l'autre sous les traits d'un marchand. Il utilisait de nombreux déguisements. Lorsqu'il bavardait avec quelqu'un et se rendait compte qu'il n'arriverait pas le convaincre, il déstabilisait son interlocuteur grâce à ses paroles jusqu'à ce qu'il lui fût impossible de connaître ses véritables intentions, à savoir le rapprocher du Tout-Puissant Béni-Soit-Il. Il était donc impossible de connaître son but profond et c'était précisément ce qu'il recherchait. En bavardant et en discutant avec eux, le Baal Tefilah souhaitait uniquement les rapprocher du Tout-Puissant Béni-Soit-Il. Voyant qu'il ne réussissait pas avec untel, il rusait et masquait ses paroles, de telle sorte que son interlocuteur pensait qu'il voulait dire tout autre chose. Il n'était donc pas possible de capturer le Baal Tefilah.
Comme nous l'avons dit, celui-ci s'était installé avec ses gens dans un endroit isolé. Ils ne s'occupaient que de prières, de louanges, de confessions, de jeûnes et mortifications et de repentir. Le Baal Tefilah pouvait pourvoir aux besoins de chacun selon sa personnalité. S'il voyait que l'un des siens avait besoin de vêtements dorés pour servir Dieu, il les lui fournissait. Parfois, le contraire se produisait. Un jour, il avait rapproché un homme riche et l'avait ramené chez lui. Il comprit que cet homme aisé devait aller en haillons et il l'habilla en conséquence. Il fournissait à chacun exactement ce qu'il lui fallait. Pour les gens qu'il avait ramenés vers le Tout-Puissant Béni-Soit-Il, un jeûne et la plus pénible des mortifications avaient plus de prix que tous les plaisirs du monde, car ils tiraient plus de satisfaction de ceux-ci que des délices du monde.
Il était une fois un pays qui renfermait beaucoup de richesses. Tous
ses habitants étaient aisés, mais ils se comportaient de façon
très étrange. En effet, chez eux, tout était fonction de
la richesse. Le rang de chacun et le respect qui lui était dû se
mesuraient à ses biens. On avait convenu que celui qui possédait
tant et tant de milliers aurait tel rang et tels privilèges, et que celui
qui possédait tant et tant aurait un autre rang. Ainsi tous les privilèges
étaient accordés selon l'argent dont chacun disposait, et celui
qui en avait en quantité suffisante, était roi.
Les habitants du pays avaient aussi des étendards ; à celui qui
possédait telle somme d'argent revenait tel étendard avec le rang
et les privilèges que lui conférait celui-ci ; à celui
qui avait tant d'argent revenait un autre étendard, avec le rang et les
privilèges correspondants. Tout se faisait selon la richesse. On avait
fixé la somme nécessaire pour acquérir tel rang et tel
étendard, et une autre somme pour mériter tel autre rang, tel
autre étendard et tels privilèges. Ainsi, le rang et les privilèges
étaient fonction de la fortune de chacun.
De même que l'on avait convenu de la somme nécessaire pour avoir
un rang et des privilèges, on avait également convenu que celui
qui ne possédait que tant d'argent n'était pas un homme, mais
un quadrupède ou un oiseau, enfin, un animal à visage humain.
Il existait ainsi des quadrupèdes et des oiseaux : celui qui n'avait
que peu d'argent était un lion ; celui qui en avait encore moins n'était
qu'un oiseau. Il y avait ainsi plusieurs sortes d'animaux et d'oiseaux qui étaient
en fait des hommes peu fortunés, puisque dans ce pays l'argent représentait
et conférait rangs et privilèges.
L'existence de ce pays fut connue dans le monde. Le Baal Tefilah soupira et
déclara : " Qui sait jusqu'où ces hommes peuvent en venir
à cause de cela ? " Certains de ses gens partirent sans son autorisation
et se rendirent là-bas pour en faire sortir les habitants. Ils éprouvaient
de la pitié pour ce pays qui s'était laissé égarer
par la cupidité. Qui plus est, le Baal Tefilah avait déclaré
que ses habitants risquaient de se perdre encore davantage. Voilà pourquoi
ses hommes y allèrent ; peut-être parviendraient-ils à les
détourner de leur folie.
Ils entrèrent donc dans le pays et se rendirent probablement chez un
homme de peu, un animal, et bavardèrent avec lui. Ils lui dirent qu'en
vérité l'argent n'était pas une fin ; le but principal
étant de servir Dieu, etc. Mais l'autre ne les écouta pas, car
l'idée que l'argent était l'essentiel demeurait bien enracinée
dans son esprit. Ils discutèrent avec un autre homme qui ne les écouta
pas non plus. Ils prolongèrent malgré tout la conversation, mais
il leur répondit :
- Je n'ai pas le temps de continuer à bavarder avec vous.
Ils lui demandèrent pourquoi et il ajouta :
- Nous devons tous quitter ce pays et nous rendre ailleurs, car l'argent étant
l'essentiel pour nous, nous avons décidé d'aller dans un pays
où l'on en fabrique (on trouve là-bas une terre dont on fait de
l'or et de l'argent). Voilà pourquoi nous devons tous partir d'ici.
Par ailleurs, les habitants du pays voulaient également posséder
des étoiles et des constellations. Celui qui détiendrait une certaine
somme d'argent, fixée à l'avance, pouvait être une étoile,
car étant riche, il possédait les mêmes pouvoirs que celle-ci.
(En effet, c'est grâce à l'étoile que l'or existe, puisqu'il
est une terre dont on fait de l'or. C'est l'étoile qui produit cette
terre). Un homme riche avait donc les pouvoirs de l'étoile et il était
ainsi une étoile. Voilà ce que disaient les habitants du pays,
tellement l'argent les égaraient. Ils voulaient aussi avoir des constellations.
Si l'on possédait suffisamment d'argent, selon une somme préalablement
fixée, on pouvait être une constellation. Ils se firent également
des anges, toujours d'après leur fortune, et finirent par décider
d'avoir des dieux. Celui qui était immensément riche, pouvait
être un dieu. Si Dieu accordait une telle richesse à cet homme,
celui-ci devait être une divinité.
Ils disaient encore que l'air respiré par les autres hommes ne leur convenait
pas. Ils ne pouvaient pas vivre à leurs côtés, car ils risquaient
d'être souillés. Selon eux, les autres hommes étaient impurs.
Ils décidèrent donc de trouver de hautes montagnes, les plus élevées
du monde, et de s'y établir pour être au-dessus du reste de l'humanité.
Des éclaireurs furent envoyés à la recherche de ces montagnes,
avec succès. Tous les habitants partirent s'y installer. Un groupe de
gens s'installa sur l'une d'elles, fonda une ville ; un second groupe s'installa
sur une autre, et ainsi de suite. Ils établirent des défenses
autour de chaque montagne. Ils creusèrent d'énormes fossés,
afin que nul ne pût pénétrer dans le pays. Il ne resta plus
qu'un chemin, caché, pour accéder à la montagne. Personne
ne pouvait s'approcher d'eux. Des fortifications furent dressées et ils
postèrent des gardes loin des montagnes afin que personne ne pût
s'en approcher. Ils s'installèrent donc et ne changèrent rien
à leur conduite. Ils avaient de nombreux dieux, toujours selon leur richesse,
puisque pour eux l'essentiel était l'argent comme nous l'avons dit plus
haut.
Puisque l'on devenait un dieu lorsqu'on possédait beaucoup d'argent,
ils craignaient le meurtre et le vol. Chacun serait prêt à tuer
et à voler afin d'accéder à la divinité grâce
à l'argent dérobé. Ils se dirent alors qu'il convenait
de protéger le riche contre les voleurs et les assassins. Ils inventèrent
des rituels et instituèrent des sacrifices en faveur des dieux, grâce
auxquels ils pourraient accéder à la fortune. Ils s'offraient
en sacrifice aux dieux, pour être inclus en lui, incarnés en lui,
et pour devenir riches, puisque leur foi reposait toute entière sur l'argent.
Ils accomplissaient certains rites, offraient des sacrifices, faisaient des
fumigations d'encens et servaient ainsi leurs dieux (c'est-à-dire les
hommes très riches).
Malgré cela, le pays était en proie au vol et au meurtre. Celui
qui ne croyait pas aux rituels assassinait et volait afin d'avoir l'essentiel,
de l'argent, qui permettait de tout acheter. Manger, se vêtir, tout le
nécessaire à la vie d'un homme, s'obtenait grâce à
lui. Selon leur raisonnement délirant, l'essentiel c'était l'argent
et c'était là toute leur foi.
Ils veillaient constamment à ce que l'argent leur foi, leur dieu ne diminuât
pas chez eux. Au contraire, il fallait veiller à en importer d'autres
pays. Des marchands partaient faire du commerce à l'étranger pour
en gagner davantage et le rapporter chez eux. Là, la charité était
interdite. En effet, comment pouvait-on jeter par les fenêtres l'argent
que Dieu vous avait donné ? L'essentiel n'était-il pas l'argent
? Allait-on s'en débarrasser ? Il était donc interdit d'accomplir
des actes charitables. D'autre part, on avait nommé des responsables
chargés de veiller à ce que chacun eût bien l'argent qu'il
prétendait avoir. On était tenu de rendre compte de sa fortune
à chaque instant, si l'on voulait conserver son rang et ses privilèges.
On surveillait constamment tous les gens riches, les dieux, les étoiles,
les anges, et on s'assurait qu'ils possédaient bien la fortune permettant
d'être légalement un dieu, une étoile ou un ange. Parfois,
un animal devenait un homme, et un homme cessait d'être un homme parce
qu'il n'avait plus d'argent. Le contraire aussi était vrai : quelqu'un
gagnait de l'argent, et d'animal il devenait homme. Il en était ainsi
à tous les niveaux, puisque tout reposait sur l'argent. Il arrivait même
qu'étant totalement ruiné quelqu'un cessât d'être
un dieu. Tous avaient des images et des portraits de leurs dieux (les gens richissimes).
Chacun avait chez lui un portrait qu'il étreignait et embrassait, car
leur foi ne reposait que sur l'argent.
Les hommes du Baal Tefilah
partis dans ce pays rentrèrent chez eux. Ils lui parlèrent de
la folie, des égarements et des erreurs dus à la cupidité
qui régnait là-bas. Ils évoquèrent aussi la volonté
des habitants de se rendre dans un autre pays, où l'on fabriquait de
l'argent. Ils lui rapportèrent enfin qu'ils se prenaient pour des étoiles
et des constellations. Le Baal Tefilah exprima sa grande crainte de les voir
s'égarer encore davantage. Puis, lorsqu'il sut qu'ils s'étaient
fabriqués des dieux, il s'écria : " C'est bien ce que je
craignais ! " (Il pensait précisément à cela lorsqu'il
avait dit sa peur de les voir s'égarer encore plus). Il eut pitié
d'eux et décida de leur venir personnellement en aide. Peut-être
parviendrait-il à les écarter de leur folie.
Il se rendit dans leur pays et rencontra les gardiens postés autour de
chaque montagne. Ceux-ci étaient sans aucun doute de petites gens qui
pouvaient se maintenir dans l'atmosphère du monde ordinaire. On se souvient
en effet que les hommes fortunés, de haut rang, ne pouvaient se mêler
aux autres hommes et respirer le même air qu'eux car ils ne voulaient
pas être souillés. Ils ne pouvaient pas parler avec les autres
hommes, dont l'haleine risquait de les rendre impurs (selon les habitants insensés
de ce pays, le monde entier baignait dans l'impureté). Par conséquent,
les gardiens postés en bas des villes étaient sûrement de
petites gens. Cependant, eux aussi possédaient des portraits des dieux
qu'ils étreignaient et embrassaient continuellement, car l'argent était
aussi toute leur foi.
Le Baal Tefilah s'approcha d'un gardien et lui parla du but essentiel à
savoir le service divin, la Torah, la prière et les bonnes actions. L'argent
n'était qu'une hérésie, ce n'était pas une fin.
Mais le gardien ne l'écouta pas, pensant comme tout le reste du pays
que l'argent était l'essentiel. Le Baal Tefilah partit voir tous les
autres gardiens et leur tint le même langage, mais ils ne l'écoutèrent
pas non plus.
Alors, le Baal Tefilah décida d'entrer dans une ville qui s'élevait
sur la montagne. Stupéfaits de le voir entrer, les habitants lui demandèrent
:
- Comment es-tu arrivé jusqu'ici ?
En effet, aucun homme ne pouvait venir chez eux. Il leur répondit :
- En quoi cela vous importe, puisque je suis déjà là ?
Le Baal Tefilah parla de la raison d'être du monde à l'un des habitants,
lui disant que l'argent n'était pas un but, etc. Mais l'autre ne l'écouta
pas plus que les autres. Personne ne l'écouta. Leur folie les égarait
tant que personne ne prêta attention à ses paroles. D'autre part,
ils étaient stupéfaits qu'un homme osât venir chez eux parler
contre leur foi. Ils se dirent que cet homme devait être le Baal Tefilah
dont ils avaient entendu dire qu'il faisait parler de lui à cause de
ses idées. On l'appelait " le pieux Baal Tefilah " et il était
impossible de le capturer car il se présentait à chacun vêtu
différemment. Il se déguisait en marchand ou en homme pauvre et
il possédait bien d'autres déguisements. Qui plus est, il quittait
toujours son interlocuteur très rapidement.
Il était une fois un Guerrier autour duquel se rassemblèrent un
grand nombre d'autres guerriers. Ensemble, ils se mirent en marche et conquirent
plusieurs pays. Le Guerrier voulait seulement que l'on se soumît à
lui. Si le pays se soumettait, il le laissait en paix : sinon il le détruisait.
Il conquérait sans désir d'argent, animé seulement par
celui de la soumission. Le Guerrier agissait toujours de la façon suivante
: il envoyait ses troupes dans le pays lorsqu'il en était à cinquante
milles, pour qu'il se soumît. Et toujours, il faisait la conquête
de nations.
Les marchands du Pays de la Richesse (le pays évoqué plus haut)
qui commerçaient à l'étranger, rentrèrent chez eux
et parlèrent du Guerrier. Tout le monde eut très peur. Ils voulaient
bien se soumettre, mais avaient entendu dire qu'il détestait l'argent
et n'en acceptait pas, ce qui allait à l'encontre de leurs croyances.
En se soumettant, cela eut été pour eux comme renoncer à
leur foi, bâtie sur l'argent, et à laquelle le Guerrier ne croyait
pas. Mais ils le craignaient beaucoup. Ils firent plusieurs cérémonies
et apportèrent des sacrifices à leurs dieux (les gens très
riches). Ils choisirent un petit animal (un homme peu fortuné) et l'offrirent
en sacrifice à leurs dieux selon les rites propres à leur service
divin.
Pendant ce temps, le Guerrier s'approchait d'eux toujours plus près.
Selon son habitude, il leur envoya ses troupes pour connaître leur décision.
Ils eurent très peur et ne surent que faire. Leurs marchands leur donnèrent
le conseil suivant : ils s'étaient rendus dans un pays dont tous les
habitants étaient des dieux et se déplaçaient avec des
anges. Les habitants, petits et grands, étaient si riches, que le plus
petit d'entre eux était un dieu (conformément à l'opinion
insensée des gens du Pays de la Richesse). Ils se déplaçaient
tous avec des anges, car leurs chevaux étaient richement recouverts d'or
et d'autres choses précieuses. La seule richesse nécessaire à
parer un de leurs chevaux eût suffi pour faire de quelqu'un un ange au
Pays de la Richesse. Ils se déplaçaient donc avec des anges, c'est-à-dire
qu'ils attelaient trois couples d'anges à leurs chariots. Les commerçants
conseillèrent donc d'envoyer des messagers dans ce pays afin de demander
de l'aide, puisque tous les habitants y étaient des dieux. L'idée
leur plut ; ils pensaient en effet pouvoir recevoir l'appui du pays où
tous incarnaient la divinité.
Le Baal Tefilah décida
de revenir au Pays de la Richesse. Peut-être réussirait-il à
en extirper la folie. Il partit et se présenta devant les gardiens. Il
bavarda avec l'un d'eux, comme à son habitude. Le gardien lui parla du
Guerrier et dit qu'ils en avaient très peur. Le Baal Tefilah demanda
: " Quelle conduite avez-vous adoptée ? " Le gardien lui raconta
tout : ils allaient envoyer chercher de l'aide dans le pays où tous étaient
des dieux. Le Baal Tefilah éclata de rire et dit : " Quelle stupidité
! Ce ne sont que des hommes, comme moi, et vous et vos dieux n'êtes aussi
que des hommes. Il n'existe pas de dieux, mais un Dieu unique qui a tout créé
et c'est Lui seul qu'il faut servir, c'est Lui seul qu'il faut prier ; telle
est la raison d'être du monde. " Le Baal Tefilah adressa d'autres
paroles du même genre au gardien, mais ce dernier ne l'écouta pas,
tant la folie du pays était ancrée en lui depuis longtemps. Pourtant,
le Baal Tefilah continua de l'entretenir longuement, jusqu'à ce que le
gardien lui réponde enfin : " Mais que puis-je faire ? Je ne suis
qu'un simple homme ! " Sa réponse constituait déjà
un semblant de téchouvah, car le premier discours du Baal Tefilah ajouté
à celui-ci avaient commencé à faire quelque impression.
En effet, en répondant de la sorte, le gardien montrait que les paroles
du Baal Tefilah se frayaient peu à peu un chemin dans son cur.
Le Baal Tefilah partit voir un autre gardien et lui tint le même discours,
fidèle à son habitude. Au début, le gardien ne l'écouta
pas, mais il finit par répondre comme le précédent : "
Je ne suis qu'un simple homme ! " Et ainsi, tous les gardiens firent la
même réponse au Baal Tefilah.
Puis celui-ci entra en ville et recommença à bavarder, comme à
l'accoutumée. Tous vivaient dans l'erreur : l'argent n'était pas
une fin en soi. Le but principal était de s'occuper de Torah, de prières,
etc. Enracinés dans la cupidité depuis longtemps, ils ne l'écoutèrent
pas. Ils lui parlèrent du Guerrier et dirent qu'ils allaient demander
de l'aide au pays où tous étaient des dieux. Il se moqua d'eux
et dit : " Sornettes ! Ce ne sont que des êtres humains, ils ne pourront
pas vous aider car vous êtes des hommes et ils sont des hommes aussi,
pas des dieux. Il n'y a qu'un Dieu, Béni-Soit-Il. " Et au sujet
du Guerrier, il s'écria, comme quelqu'un s'étonne à propos
d'un homme qu'il connaît : " N'est-ce pas le Guerrier ? " Ils
ne comprirent pas ce qu'il avait voulu dire. Il allait ainsi de l'un à
l'autre, tenant à chacun un discours identique. A propos du Guerrier,
il leur disait: " N'est-ce pas le Guerrier ? " Ils ne comprenaient
pas le sens de ses paroles.
Pendant ce temps, la rumeur
courait en ville. Quelqu'un parlait et se moquait de leur foi, disant qu'il
n'existait qu'un Dieu unique, Dieu Béni-Soit-Il. Et à propos du
Guerrier, il disait : " N'est-ce pas le Guerrier ? " Ils comprirent
qu'il devait s'agir du Baal Tefilah, qu'ils connaissaient déjà
comme nous l'avons vu plus haut. On donna l'ordre de le rechercher et de s'emparer
de lui, bien qu'il se déguisât souvent. On savait qu'il changeait
sans cesse de déguisement et on ordonna de faire une enquête afin
de pouvoir le capturer. On le rechercha et le captura. Il fut amené devant
les Anciens qui parlèrent avec lui. Il leur tint le même discours
qu'aux autres : " Vous êtes tous dans l'erreur et vous êtes
stupides. L'argent n'est pas un but, vraiment pas. Il n'y a qu'un Dieu unique,
Béni-Soit-Il, le Créateur, que Son Nom soit béni, qui est
à l'origine de toute chose. C'est Lui seul qu'il faut servir. L'argent
n'est qu'une folie. Quant au pays dont vous prétendez qu'il est habité
par des dieux, il ne vous sera d'aucune aide, car ses habitants ne sont que
des hommes tout comme vous-mêmes. " Ils le crurent fou. Tous étaient
tellement enfoncés dans leur cupidité et leur bêtise que
quiconque disait du mal de leur folie, passait pour fou. Ils lui demandèrent
:
- Qu'as-tu dit au sujet du Guerrier ? " N'est-ce pas le Guerrier ? "
?
Il leur répondit :
- J'étais chez un roi qui perdit son guerrier ; s'il s'agit du même
guerrier, je le connais. Par ailleurs, si vous voulez dépendre du pays
dont les habitants sont, selon vous, des dieux, vous faites une grande bêtise,
car ce pays ne vous sera d'aucune aide. Au contraire, si vous vous appuyez sur
lui, il précipitera votre perte.
- Comment le sais-tu ?
- Le roi chez qui j'étais, possédait une Main ; je veux dire qu'il
possédait une chose qui ressemblait à une main, avec ses cinq
doigts, ses lignes et ses linéaments. Cette Main représentait
la carte du monde. Tout ce qui existe depuis la création des cieux et
de la terre, jusqu'à la fin des temps, ainsi que ce qui existera après,
était représenté sur cette Main. En effet, ses lignes et
ses linéaments représentaient tous les mondes, leurs positions
et leurs moindres détails. Tout se trouvait inscrit sur cette Main comme
sur une carte. Les lignes et linéaments représentaient tous les
mondes.
Sur chaque ligne, il y a des signes qui ressemblent à des lettres, comme
sur une carte. Il y a des signes à côté de chaque détail
pour que l'on sache à quoi correspond ce détail ; si c'est une
ville, une rivière, et ainsi de suite. Les lignes de la main dessinent
tous les signes qui ressemblent à des lettres. Il y a donc un signe à
côté de chaque détail de la carte afin que l'on sache ce
que celui-ci représente. Chaque pays, chaque ville, tous les fleuves
et tous les ponts, toutes les montagnes et tout ce qui se trouve dans le monde,
absolument tout est représenté sur cette Main grâce à
ses lignes et à ses linéaments. Et à côté
de chaque chose se trouve une lettre qui indique ce qu'est chaque chose. Tous
les hommes de tous les pays et toutes leurs aventures figuraient aussi sur cette
Main. De même que les chemins qui mènent d'un pays à l'autre,
et d'un endroit à l'autre. C'est ainsi que j'ai su comment venir ici,
dans cette ville où personne ne peut arriver. Si vous voulez m'envoyer
dans une autre ville, j'en connais aussi la route, grâce à la Main.
Et sur la Main était aussi représenté le chemin qui va
d'un monde à l'autre. Il existe en effet un chemin grâce auquel
on peut quitter la terre pour aller au ciel. (On ne peut pas aller de la terre
au ciel sans connaître ce chemin, et celui-ci était représenté
sur la Main.) Tous les chemins existants qui vont d'un monde à l'autre
y figuraient. Elie monta au ciel par l'un de ces chemins et celui-ci est représenté
sur la Main ; notre maître Moïse y monta par un autre qui est aussi
représenté. Enoch est monté au ciel par un troisième
chemin encore, et celui-ci aussi est représenté. Tous les chemins
qui mènent d'un monde à l'autre, vers les mondes plus élevés
se trouvent sur la Main, grâce aux lignes et aux linéaments.
Tout y était figuré : toutes les choses qui existaient à
la création du monde, telles qu'elles sont maintenant et ce qu'elles
deviendront. Par exemple, Sodome figurait telle qu'elle était avant d'être
détruite, telle qu'elle était au moment de sa destruction, et
telle qu'elle est maintenant après sa destruction. On peut voir sur la
Main ce qui fut, ce qui est, et ce qui sera. Et j'y ai vu que le pays et ses
habitants dont vous pensez qu'ils sont des dieux seront détruits avec
ceux qui recherchent leur aide.
Ils en restèrent stupéfaits car ils voyaient que tout cela était
exact : tout est représenté sur une carte. Ils comprirent que
ses paroles étaient vraies, car on n'invente pas pareille histoire. On
comprend qu'avec deux lignes de la main il soit possible de dessiner une lettre,
et ils se rendirent compte qu'il n'avait pas inventé tout ceci. Ils furent
ébahis et lui demandèrent :
- Où se trouve le roi ? Peut-être pourra-t-il nous indiquer comment
trouver de l'argent.
- Encore de l'argent ? Il n'en est pas question !, répondit-il à
la fois étonné et en colère.
- Quand bien même, dis-nous où est le roi !
- J'ignore où est le roi. Et en voici l'histoire.
II était une fois
un Roi et une Reine qui avaient une fille unique. Vint le moment où il
fallut la marier. On désigna des conseillers pour déterminer qui
lui donner en mariage, et j'étais l'un d'entre eux, car le Roi m'aimait
bien. A mon avis, il fallait unir la Princesse au Guerrier, car i1 nous avait
grandement favorisés en conquérant de nombreux pays. La Princesse
lui revenait donc à juste titre comme femme. Mes paroles plurent et tous
acceptèrent. La joie fut grande d'avoir trouvé un époux
pour la Princesse. On la maria donc au Guerrier. La Princesse eut un enfant,
un être merveilleux dont la beauté n'appartenait à aucun
autre homme. Ses cheveux étaient d'or et de toutes les nuances. Son visage
était comme le soleil, ses yeux comme d'autres luminaires. L'Enfant naquit
doué d'une sagesse parfaite. On avait remarqué sa grande intelligence
dès sa naissance. En effet, lorsqu'on lui parlait, il riait quand il
le fallait, et ainsi de suite. On reconnut en lui un grand sage, bien qu'il
n'eût pas le comportement d'un adulte. Il ne savait pas parler, ni faire
d'autres choses, mais on reconnut aussitôt en lui sa grand sagesse.
Le Roi avait un orateur qui savait proférer de belles paroles, tourner
de beaux discours, composer de beaux poèmes et chanter les louanges du
Roi. Bien que l'Orateur fût déjà un grand orateur, le Roi
lui montra le chemin pour acquérir l'art de la véritable éloquence.
Et grâce à cela, il devint un orateur extraordinaire.
Le Roi avait aussi un Sage qui avait été d'une grande sagesse,
mais le Roi lui indiqua le chemin pour acquérir la véritable sagesse
et grâce à cela il devint un sage extraordinaire.
Il en était de même pour le Guerrier. Le roi avait un guerrier,
mais le Roi lui indiqua le chemin pour acquérir la force, et grâce
à cela il devint un grand guerrier. En effet, il y avait une épée
suspendue en l'air. L'Epée possède trois pouvoirs. Lorsqu'on la
brandit, les officiers de l'armée prennent la fuite et les ennemis sont
défaits, car lorsque les officiers s'enfuient, il ne reste plus personne
pour mener la guerre et les ennemis sont défaits. De plus, les deux tranchants
de l'Epée ont chacun un pouvoir. Grâce au premier, tous tombent
; grâce au second, ils attrapent la phtisie : ils maigrissent et leur
chair part en lambeaux, comme c'est le cas de la phtisie, que Dieu nous en protège.
Tout cela arrive aux ennemis avec un seul coup d'épée : un coup
du premier tranchant les défait, et un coup du deuxième leur fait
contracter la phtisie. Le Roi montra au Guerrier le chemin qui menait à
l'Epée, et c'était de là qu'il en tirait sa force
Le Roi m'avait montré le chemin me permettant d'acquérir mes qualités,
et j'y pris ce dont j'avais besoin.
Le Roi avait encore un Ami Fidèle qui l'aimait d'un grand amour. Ils
s'aimaient tellement qu'ils ne pouvaient se quitter un seul instant. Or, il
est des moments où l'on ne peut rester ensemble. Ils firent donc des
portraits représentant leurs deux visages. Lorsqu'il leur était
impossible de se voir, ils se réjouissaient grâce aux portraits.
Ces portraits représentaient l'amour du Roi et de l'Ami Fidèle
et comment ils s'étreignaient et s'embrassaient avec amour. Les portraits
possédaient une vertu : lorsqu'on regardait les visages, on ressentait
beaucoup d'amour, c'est-à-dire que l'on recevait la qualité d'amour.
Et l'Ami Fidèle avait lui aussi acquis son amour là où
le Roi le lui avait indiqué.
Arriva un moment où chacun dut se rendre à l'endroit d'où
il puisait la force de ses qualités. L'Orateur, le Guerrier et tous les
autres hommes du Roi partirent chacun à leur endroit pour renouveler
leurs forces.
Un jour, une grande tempête se leva sur le monde. Elle bouleversa l'univers
entier. Les terres devinrent des mers, les mers devinrent des terres. Les déserts
se peuplèrent, les terres habitées se dépeuplèrent.
Le monde entier fut bouleversé. La Tempête pénétra
chez le Roi, mais n'y causa aucun dommage. Cependant elle enleva l'enfant de
la Princesse. Dans le tumulte, lorsque son enfant fut enlevé, la Princesse
pourchassa la Tempête pour récupérer son fils et elle fut
emmenée on ne sait où. Le Roi et 1a Reine partirent aussi à
la recherche de l'Enfant, et tous se dispersèrent. Et on ignore où
ils sont. Quant à nous, qui étions partis là où
nous pouvions renouveler nos forces, nous n'étions pas présents.
En revenant, nous ne les trouvâmes plus, et la Main aussi avait disparu.
Alors, nous nous sommes dispersés et nous ne pouvons plus nous rendre
à l'endroit où nous renouvelons notre force. Comme 1e monde a
été bouleversé, il doit se trouver maintenant d'autres
chemins. C'est pourquoi aucun de nous ne peut se rendre là où
il peut prendre des forces. Cependant, les traces qui restent en chacun de nous
sont tout de même importantes. Si le Guerrier est bien le Guerrier du
Roi, il est sans nul doute un grand guerrier.
Ils avaient tous écouté ses paroles et en étaient stupéfaits.
Ils gardèrent le Baal Tefilah auprès d'eux et ne voulurent pas
le laisser partir, car il se pouvait que le Guerrier qui s'avançait vers
eux fût celui que le Baal Tefilah connaissait.
Le Guerrier se rapprochait de plus en plus du pays et y envoya ses troupes.
Il entra dans le pays et campa en bas de la ville. Ses messagers arrivèrent
afin de savoir si les habitants consentaient à se soumettre ou non. Ils
eurent très peur de lui et supplièrent le Baal Tefilah de leur
donner quelque conseil. Celui-ci leur dit : " Il faut mener une enquête
sur lui pour savoir s'il est bien le Guerrier du Roi. " Il sortit de la
ville pour rendre visite au Guerrier. Il rencontra ses hommes et se mit à
bavarder avec l'un d'eux afin de savoir si le Guerrier était bien celui
qu'il connaissait. Il lui demanda :
- Quels ont été tes faits d'armes ? Comment en es-tu venu à
accompagner le Guerrier ? - Voici ce que l'on raconte dans les chroniques, répondit
l'autre :
Un jour, une tempête se leva sur le monde. Elle le bouleversa tout entier
: les terres devinrent des mers, les mers devinrent des terres, les déserts
se peuplèrent et les endroits habités se dépeuplèrent.
Le monde entier fut bouleversé. Lorsque le tumulte cessa, les hommes
décidèrent de se trouver un roi. Ils réfléchirent
pour savoir qui mériterait de régner sur eux. Ils arrivèrent
à la conclusion que l'essentiel était le Principe directeur. Par
conséquent, l'homme qui représentait au mieux ce Principe, serait
roi. Puis ils réfléchirent au contenu de ce Principe. Les uns
disaient que c'était le respect, car on voyait bien qu'il dirigeait monde.
Si on ne respecte pas un homme, si on prononce des paroles malveillantes à
son égard, le sang coule. Dans le monde entier, l'essentiel est le respect.
On insiste même sur le respect dû aux morts. On fait honneur au
mort, on l'enterre, etc. (Et on lui dit : " Tout ce que l'on te fait, on
le fait par respect pour toi. ") Bien qu'après la mort on ne veuille
plus d'argent et que le défunt ne désire plus rien, on insiste
cependant sur le respect qui lui est dû, et on y tient beaucoup. Donc,
le Principe, c'est le respect.
Ils avaient encore d'autres idées de ce genre à propos du respect.
Comme celui-ci représentait le Principe, ils devaient chercher un homme
estimable qui ne s'attacherait qu'à lui. Si un homme a de l'importance,
s'il recherche continuellement le respect et obéit à sa nature
qui est de vouloir le respect, alors il ne se préoccupe que de cela,
en fait son but et il l'atteint, car le respect représente le Principe.
Un tel homme devait donc être roi. (Telle était leur idée
erronée ; ils en avaient d'autres du même genre qui les égaraient
complètement : le Principe était le respect. Les autres opinions
étaient toutes aussi stupides.) Ils se mirent donc à la recherche
de cet homme. En route, ils croisèrent le cortège d'un vieux mendiant
tzigane, accompagné d'au moins cinq cent autres tziganes. Le vieux était
aveugle, infirme et muet. Tous les gens qui l'accompagnaient appartenaient à
sa famille car il avait des surs et des frères qui avaient toute
une progéniture. Tous suivaient et portaient le vieux mendiant. Celui-ci
insistait beaucoup sur le respect qui lui était dû, étant
de nature très irascible. Il s'emportait sans cesse contre eux et donnait
toujours à d'autres l'ordre de le porter. Il les harcelaient constamment.
De toute évidence le vieux était un homme d'importance car on
le respectait beaucoup. Il ne recherchait que cela et se montrait très
strict quant aux égards auxquels il avait droit. C'est pourquoi le mendiant
leur plut et ils le choisirent pour roi.
Le pays aussi entre en jeu. En effet, il existe un pays qui compte et qui est
une panacée pour le respect, de même qu'il existe un pays qui est
une panacée pour une autre qualité. Ainsi, la secte de ceux qui
pensaient que le Principe était le respect, chercha le pays adéquat.
Ils trouvèrent ce pays et s'y installèrent.
D'autres pensaient que ce n'était pas le respect qui était le
Principe, mais le meurtre. En effet, on voit que tout ce qui existe dans le
monde est appelé à disparaître. L'herbe, les fruits, les
hommes et tout ce qui existe, tout est appelé à ne plus être.
Par conséquent, le principe de chaque chose est qu'elle soit détruite.
C'est pourquoi, un meurtrier qui assassine et tue des hommes, amène le
monde à son but final. Ils pensaient ainsi que le meurtre était
le Principe. Ils cherchèrent donc un homme qui fût un meurtrier
colérique et vengeur. Selon leur opinion erronée, cet homme obéissait
au Principe et méritait le trône. Ils partirent à sa recherche
et entendirent un cri. Ils demandèrent : " Qui crie ainsi ? "
On leur répondit que quelqu'un venait de tuer père et mère.
Ils s'écrièrent : " Où se trouve donc un meurtrier
qui ait le cur assez fort et soit colérique au point de tuer père
et mère ? " Cet homme répondait au Principe et il leur plut.
Ils le prirent pour roi et cherchèrent un pays susceptible de répondre
à leurs aspirations. Ils choisirent un endroit niché entre deux
montagnes et où se trouvaient des meurtriers, puis s'y installèrent
avec leur roi.
D'autres disaient que mériterait d'être leur roi l'homme qui tout
en ayant beaucoup à manger, ne consommait pas la nourriture du commun
des mortels, mais uniquement des aliments délicats. Un tel homme méritait
de régner sur eux. Mais ils ne trouvèrent pas immédiatement
un homme qui se nourrisse exclusivement de nourritures délicates. En
attendant de trouver un homme à leur convenance, ils choisirent un riche,
possédant beaucoup à manger, et dont la nourriture était
quelque peu délicate. Ils le nommèrent roi en attendant de trouver
ce qu'ils désiraient vraiment. L'homme riche serait alors destitué
et l'autre prendrait sa place. Ils choisirent un pays selon leur désir
et partirent s'y installer.
D'autres encore disaient qu'une belle femme était à même
d'être roi. Car le Principe est que le monde soit peuplé ; c'est
pour cela qu'il a été créé. Une belle femme provoque
le désir et fait ainsi augmenter la population ; par conséquent,
elle dirige le monde selon le Principe. Une belle femme méritait donc
d'être roi. Ils choisirent une belle femme qui fut leur roi, cherchèrent
le pays adéquat et partirent y habiter.
D'autres disaient que le Principe, c'était la parole. En effet, la seule
différence entre l'homme et la bête réside dans la parole
; grâce à elle, l'homme se hisse au-dessus de l'animal. La parole
est donc le Principe. Ils cherchèrent un orateur, très éloquent
et qui connût beaucoup de langues. Il devait être capable de parler
continuellement afin d'obéir au Principe. Ils partirent et rencontrèrent
un français fou qui errait et parlait tout seul. Ils lui demandèrent
s'il connaissait les langues. Il en savait beaucoup. Victimes de leur folie,
cet homme obéissait sans aucun doute à leur Principe, puisqu'il
connaissait beaucoup de langues, parlait bien et abondamment. Qui plus est,
il parlait tout seul. Ils le trouvèrent donc à leur goût
et le prirent pour roi. Ils choisirent le pays adéquat et partirent s'y
installer avec leur roi. Assurément, celui-ci les conduirait dans la
bonne voie.
D'autres encore pensaient que le Principe, c'était la joie. Lors d'une
naissance, d'un mariage, ou de la conquête d'un pays, on est joyeux. Par
conséquent, le principe de toute chose, c'est la joie. Ils cherchèrent
donc un homme qui fût toujours joyeux, car il obéirait au Principe
et leur conviendrait comme roi. Ils partirent à sa recherche et rencontrèrent
un gentil en haillons qui tenait une bouteille d'alcool à la main. Beaucoup
de gentils le suivaient. Il était très gai car complètement
ivre. Ils virent qu'il était joyeux et sans soucis. Il leur plut beaucoup,
car il obéissait au Principe, qui était la joie. Ils le prirent
pour roi ; il les conduirait sans aucun doute dans la bonne voie. Ils choisirent
un pays adéquat où poussaient des vignes. On pouvait donc y faire
du vin, et quelque alcool avec les pépins. Rien de ce que contenait les
grappes ne devait se perdre, car leur Principe était le suivant : boire,
s'enivrer et être toujours gai, même si on en ignorait la raison,
même sans aucune raison particulière. Le Principe exigeait que
l'on soit toujours joyeux. Ils choisirent donc le pays adéquat et s'y
établirent.
D'autres disaient que le Principe consistait à offrir beaucoup à
manger et à boire à son corps afin de le faire grandir. Ils cherchèrent
donc un colosse qui prit grand soin de lui-même et de son développement
corporel. Doté de membres très développés, il avait
plus d'importance dans le monde, car il y occupait plus de place. Il obéissait
donc au Principe qui consistait à développer son corps, et méritait
la royauté. Ils partirent et rencontrèrent un homme grand comme
une anguille. Il leur plut parce qu'il avait les membres très longs et
correspondait au Principe. Ils le prirent pour roi, cherchèrent un pays
adéquat et partirent s'y installer.
Il y avait encore une autre secte. Ses membres disaient que le Principe ne résidait
nullement dans toutes ces choses ; le vrai Principe consistait à se consacrer
à la prière. Il fallait prier Dieu Béni-Soit-Il, vivre
dans l'humilité et la modestie. Ils cherchèrent un Baal Tefilah
et en firent leur roi.
(On comprend à présent que toutes les sectes vivaient dans l'erreur
et que la stupidité les avaient égarées. A cause de ses
idées et de ses conclusions stupides, chacune se trompait, à l'exception
de la dernière qui seule avait rencontré la vraie vérité.
Bénis soient-ils.)
Voila ce qu'un des guerriers
raconta au Baal Tefilah. Il ajouta qu'ils appartenaient à la secte dont
le Principe était de s'offrir à manger et à boire pour
développer son corps, et qu'ils avaient choisi un géant pour roi.
Un jour, une de leurs troupes avançait avec tous ses chariots transportant
leurs vivres et leur équipement. Le monde entier tremblait devant eux
car ils étaient très grands et très forts. Quiconque les
rencontrait s'écartait de leur route. Tandis qu'elle avançait,
la troupe de géants rencontra un grand guerrier qui ne s'écarta
pas devant eux. Il s'immisça dans leurs rangs et les dispersa de ses
mains nues. Ils eurent très peur. Puis il se fraya un chemin au milieu
des chariots qui les suivaient et mangea tout ce qu'ils contenaient. Ils furent
stupéfaits qu'il existât un guerrier qui ne les craignit pas et
qui se fût avancé dans leurs rangs pour manger tout ce que transportaient
leurs chariots. Ils tombèrent aussitôt à ses pieds et crièrent
: " Vive le roi ! " Ils dirent que la royauté lui revenait
sans aucun doute, car il répondait parfaitement à leur conception
du Principe selon laquelle un homme au corps très développé
régnât sur eux. Leur roi abdiquerait sûrement car c'était
à l'autre que revenait le trône, puisqu'il était un grand
guerrier. C'est ce qui arriva et le guerrier rencontré en chemin devint
leur roi.
Et c'est avec ce Guerrier que nous marchons maintenant pour conquérir
le monde. Le Guerrier dit aussi qu'il a une autre intention lorsqu'il prétend
vouloir conquérir l'univers. Il ne désire pas que le monde soit
sous sa domination ; il a autre chose à l'esprit.
Tout cela fut raconté
par le soldat à qui le Baal Tefilah avait demandé comment il en
était venu à se joindre au Guerrier. Le Baal Tefilah lui demanda
encore :
- Quels sont les exploits du Guerrier qui est aujourd'hui votre roi ?
- Lorsqu'un pays ne veut pas se soumettre, le Guerrier prend son épée,
et celle-ci a trois pouvoirs. Lorsqu'on la brandit, tous les officiers s'enfuient.
Il lui décrit les trois pouvoirs de l'Epée et lui expliqua que
c'était d'elle que le Guerrier tirait sa force.
A ces mots, le Baal Tefilah conclut qu'il s'agissait sûrement du Guerrier
du Roi. Il demanda s'il pouvait le rencontrer. On lui répondit : "
II faut l'en informer. " On partit informer le Guerrier qui donna l'ordre
de le faire entrer. Le Baal Tefilah entra chez lui et ils se reconnurent. Leur
bonheur fut grand d'avoir mérité de se retrouver. Ils pleuraient
de joie, car ils se souvenaient du Roi et de ses gens. Ils pleurèrent
tant et plus, tellement ils étaient joyeux. Puis le Baal Tefilah discuta
avec le Guerrier et ils parlèrent de la manière dont ils étaient
arrivés jusqu'ici. Le Guerrier dit au Baal Tefilah que durant la Tempête
tous avaient été dispersés ici et là, et qu'en revenant
de l'endroit où il était allé renouveler sa force, il n'avait
trouvé ni le Roi ni sa Cour. Alors, il se laissa guider par ses pas et
retrouva la trace de tout le monde. En fait, il avait vu qu'il était
passé par l'endroit où se trouvait le Roi et tous les autres.
Il était passé quelque part et avait compris que le Roi s'y trouvait
sûrement, mais il n'avait pas pu aller à sa recherche et le retrouver.
Il était aussi passé quelque part où il avait compris que
la Reine devait se trouver, mais il n'avait pas pu la chercher et la trouver.
De la même façon, il avait traversé tous les endroits où
se trouvaient les gens du Roi. Et il dit au Baal Tefilah :
- Il n'y a que chez toi où je ne suis pas passé.
Le Baal Tefilah lui répondit :
- Dans un endroit, j'ai vu la couronne du Roi. J'ai compris qu'il se trouvait
là mais je n'ai pas pu me mettre à sa recherche et le trouver.
Je suis allé plus loin et j'ai longé une mer de sang. J'ai compris
que cette mer avait été formée par les larmes que la Reine
avait versées sur nous tous. La Reine se trouvait sûrement là,
mais je n'ai pas pu la chercher et la trouver. J'ai aussi longé une mer
de lait. J'ai compris que la mer avait été formée par le
lait de la Princesse à qui l'on avait enlevé son enfant. Elle
avait exprimé son lait qui avait formé la mer. Mais je n'ai pas
pu la chercher et la trouver. J'ai continué ma route , j'ai aperçu
par terre les cheveux d'or de l'Enfant et je n'en ai pris aucun. J'ai su que
l'Enfant se trouvait là, mais il était impossible de le chercher
et de le trouver. J'ai continué à marcher et j'ai longé
une mer de vin. J'ai compris qu'elle avait été formée par
les paroles de l'Orateur qui adresse des paroles de consolation au Roi et à
la Reine. Puis il se tourne vers la Princesse et la console. Ses paroles ont
formé une mer de vin, comme il est dit (Cant. 7 :1O) : " Et ton
palais comme un vin exquis..." ; mais je n'ai pas pu le trouver. J'ai marché
encore et j'ai vu une pierre sur laquelle était gravée une chose
qui ressemblait à la Main présente chez le Roi. J'ai compris que
là devait se trouver le Sage et qu'il avait gravé l'image de la
Main sur la pierre. Mais il m'était impossible de le retrouver. J'ai
marché encore et j'ai vu, posés sur une montagne, les tables et
les armoires d'or du Roi, ainsi que tous ses trésors. J'ai compris que
là devait se trouver le Grand Argentier du Roi, mais je n'ai pas pu le
retrouver.
Le Baal Tefilah termina son récit et le Guerrier dit à son tour
:
- Je suis aussi passé par tous ces endroits et j'ai pris quelques cheveux
d'or de l'Enfant. J'en ai pris sept qui avaient toutes les nuances. Ils me sont
très chers. Je me suis installé et j'ai vécu comme j'ai
pu, d'herbes et d'autres choses. J'ai fini par ne plus avoir de quoi survivre.
Je me suis alors laissé guider par mes pas. Et en quittant l'endroit
où j'étais, j'ai oublié mon arc.
- J'ai vu l'arc et je l'ai reconnu, dit le Baal Tefilah, mais je n'ai pas pu
te retrouver.
- Je suis donc parti, reprit le Guerrier, j'ai marché et j'ai rencontré
la troupe de géants. Je me suis avancé dans leurs rangs car j'avais
très faim et je voulais manger. Ils m'ont aussitôt choisi comme
roi. Aujourd'hui, je marche à la conquête du monde. J'ai l'intention
de retrouver le Roi et ses gens.
Le Baal Tefilah parla au Guerrier des habitants du pays qui s'étaient
égarés à cause de l'argent et qui en étaient arrivés
à la stupidité extrême de penser que les gens très
riches étaient des dieux et d'autres bêtises.
Le Guerrier dit qu'il avait entendu du Roi que l'on pouvait s'extirper de tous
les désirs dans lesquels on était tombé. Mais celui qui
avait chuté dans la cupidité ne pouvait en sortir, quoi qu'il
fît.
- Tu ne réussiras peut-être pas avec eux, car il est impossible
de les en tirer, si ce n'est grâce au chemin d'où l'Epée
tire son pouvoir. Ce n'est que par ce chemin que l'on peut arracher à
la cupidité celui qui y est tombé, ajouta le Guerrier.
Le Guerrier et le Baal Tefilah réfléchirent longtemps au problème
posé par le pays dont les habitants avaient supplié ce dernier
d'intercéder en leur faveur auprès du Guerrier. Le Baal Tefilah
lui demanda de leur accorder un délai pendant lequel il ne leur ferait
aucun mal. Il le leur accorda. Puis le Baal Tefilah et le Guerrier se mirent
d'accord sur des signaux qui leur permettraient de communiquer. Enfin, le Baal
Tefilah reprit sa route.
Il rencontra des gens qui
marchaient et adressaient des prières à Dieu Béni-Soit-Il.
Ils priaient et portaient des livres de prières. Il eut peur d'eux et
ils eurent peur de lui. Il se mit à prier, et ils se mirent à
prier aussi. Puis il leur demanda :
- Qui êtes-vous ?
- A cause de la Tempête, le monde s'est divisé en de nombreuses
sectes. Certains ont choisi celle-ci, d'autres celle-là. Nous, nous avons
choisi le Principe selon lequel il faut seulement et toujours prier Dieu Béni-Soit-Il.
Nous avons cherché et nous avons trouvé un Baal Tefilah. Nous
en avons fait notre roi.
A ces mots, le Baal Tefilah fut très content, car tel était son
désir. Il bavarda avec eux et leur montra sa façon de prier, ses
livres et ses idées sur la prière. En entendant ses paroles, ils
ouvrirent leurs yeux et reconnurent la grandeur du Baal Tefilah. Ils en firent
aussitôt leur roi après que le leur ait abdiqué en sa faveur.
Ils avaient reconnu sa grandeur. Le Baal Tefilah étudia avec eux et leur
ouvrit les yeux. Il leur apprit à prier Dieu Béni-Soit-Il et fit
d'eux des Tsadikim parfaits. Ils en étaient déjà car ils
se consacraient uniquement à la prière, mais le Baal Tefilah les
éclaira et ils finirent par devenir de très grands Tsadikim.
Le Baal Tefilah envoya une lettre au Guerrier pour lui annoncer qu'il avait
eu le mérite de trouver des hommes selon son cur et qu'il était
devenu leur roi.
Les habitants du Pays de
la Richesse continuaient quant à eux de s'occuper de leurs affaires et
de leurs rituels. Or, le délai que le Guerrier leur avait accordé
touchait à sa fin. Ils furent terrifiés. Ils accomplirent tous
leurs rituels, apportèrent des sacrifices, firent des fumigations d'encens
et adressèrent leurs prières habituelles à leurs dieux.
Ils capturèrent un petit animal (un homme ayant très peu d'argent)
et l'offrirent en sacrifice à leurs dieux. Ils pensaient toujours suivre
le premier conseil qui leur avait été donné, et qui était
d'aller demander de l'aide au pays dont tous les habitants étaient des
dieux grâce à leurs richesses extraordinaires. Ce pays les aiderait
sûrement puisque tous ses habitants étaient des divinités.
Ils envoyèrent donc des émissaires dans ce pays.
En chemin, les émissaires s'égarèrent. Ils rencontrèrent
un homme qui marchait en s'appuyant sur une canne. Sa canne valait plus que
tous les dieux. Elle était sertie de diamants très précieux,
dont la valeur dépassait de loin toutes les richesses de tous leurs dieux.
Même si l'on évaluait la richesse de leurs dieux et celle des habitants
du pays où ils se rendaient, on n'arriverait pas à la valeur de
cette canne. Qui plus est, cet homme était coiffé d'un chapeau
couvert de diamants qui lui aussi valait très cher. Voyant cela, les
émissaires s'inclinèrent très bas devant cet homme, car
suivant leur théorie stupide, c'était un dieu au-dessus de tous
les autres dieux, tant il était riche. Le Grand Argentier du Roi (car
c'était lui) leur dit : " Cela vous étonne ? Accompagnez-moi
et je vous montrerai d'autres richesses ! " Il les conduisit sur la montagne
où étaient entreposés les trésors du Roi. Il les
leur montra. Apercevant le trésor, ils s'inclinèrent aussitôt
très bas, car d'après leur théorie stupide, l'homme était
un dieu supérieur à tous leurs dieux. Mais ils ne firent pas de
sacrifices bien que selon leur principe erroné, ils eussent dû
en faire. Mais on avait ordonné aux émissaires de ne faire aucun
sacrifice en chemin ; on craignait en effet qu'il ne restât plus rien
d'eux s'ils en effectuaient. Peut-être l'un d'entre eux trouverait-il
un trésor en route ; peut-être se rendrait-il aux toilettes et
y trouverait-il un trésor. Il aurait peut-être l'idée de
s'offrir en sacrifice et il ne resterait plus aucun d'entre eux. Pour cette
raison, les habitants du pays avaient décidé de ne rien sacrifier
en chemin. Les émissaires délibérèrent : pourquoi
iraient-ils chez ces dieux, dans le pays où on les envoyait et dont les
habitants étaient si riches qu'ils passaient pour des dieux ? Cet homme
serait plus à même de les aider, puisque son incomparable et extraordinaire
fortune faisait de lui un dieu supérieur à tous les autres dieux.
Ils demandèrent donc à l'homme de les accompagner dans leur pays.
Il accepta et partit avec eux. Lorsqu'ils arrivèrent, la joie fut grande
d'avoir trouvé un dieu comme celui-là. Ils étaient convaincus
que grâce à lui ils trouveraient de l'aide. Toutes ses richesses
faisaient de lui une divinité. L'homme (le Grand Argentier du Roi) ordonna
de ne plus faire de sacrifices, afin que le pays retrouvât sa normalité.
(Le Grand Trésorier était véritablement un grand Tsadik
puisqu'il appartenait aux gens du Roi lesquels étaient tous de grands
Tsadikim. Il détestait les coutumes perverses de ce pays mais ignorait
comment en détourner les habitants. Pour le moment, il ordonna de ne
pas faire de sacrifices.)
Les habitants lui parlèrent du problème posé par le Guerrier
dont ils avaient grande peur. Le Grand Argentier dit à son tour : "
N'est-ce pas le Guerrier ? " Et il partit chez le Guerrier. Il demanda
aux hommes de celui-ci s'il lui était possible de le rencontrer. On lui
répondit que l'on allait l'en informer. On informa le Guerrier qui ordonna
de le faire entrer. Le Grand Argentier entra, et ils se reconnurent. Ils pleurèrent
de joie. Le Guerrier dit alors au Grand Argentier :
- Notre respectable Baal Tefilah est là lui aussi. Je l'ai vu et il est
devenu roi.
Le Grand Argentier dit au Guerrier qu'il était passé par tous
les endroits où se trouvaient le Roi et ses gens, mais qu'il n'était
pas passé par les endroits du Baal Tefilah ni par ceux du Guerrier. Puis
il lui parla du pays et de ses habitants si stupides qu'ils étaient pris
au piège de leur cupidité laquelle les avait égarés.
Le Guerrier répéta au Grand Argentier ce qu'il avait déjà
dit au Baal Tefilah : il avait entendu du Roi que celui qui était tombé
dans la cupidité ne pouvait en être tiré que par le chemin
de l'Epée. Ils discutèrent longuement de l'affaire et le Grand
Argentier réussit à obtenir un sursis supplémentaire de
la part du Guerrier. Il leur accorda donc un délai. Puis ils convinrent
de signaux. Le Grand Argentier quitta le Guerrier et revint dans le pays. Il
continua à fustiger les habitants à cause de leur conduite perverse.
Ils étaient tombés dans le piège de la cupidité
mais il ne pouvait pas les en faire sortir, car elle était profondément
enracinée en eux. Pourtant, grâce aux longs discours du Baal Tefilah
et du Grand Argentier, ils étaient quelque peu troublés et disaient
: " Au contraire, tirez-nous de là ! " Mais ils s'accrochaient
encore solidement à leurs idées stupides et ne voulaient pas en
démordre. Cependant, on les avait sermonnés et ils disaient :
" Au contraire, s'il en est ainsi et si nous vivons vraiment dans l'erreur,
tirez-nous de notre folie ! " Le Grand Argentier leur dit : " Je vais
vous donner un conseil au sujet du Guerrier. Je connais son pouvoir, je sais
d'où il puise sa force. " II leur parla de l'Epée dont le
Guerrier tirait toute son pouvoir. " Par conséquent, je vais aller
avec vous à l'endroit de l'Epée et ainsi vous pourrez tenir tête
au Guerrier, car vous tirerez votre force du même endroit que lui. "
L'intention du Grand Argentier était qu'en se rendant sur le lieu de
l'Epée, ils sortent de leur erreur, de leur cupidité, car qui
emprunte le chemin qui mène au lieu de l'Epée est délivré
de sa cupidité.
Les habitants du pays suivirent ce conseil et déléguèrent
les Grands du pays pour se rendre sur le lieu de l'Epée en compagnie
du Grand Argentier. Les Grands du pays, leurs dieux, partirent avec lui. Ils
voyageaient couverts de bijoux d'or et d'argent, car c'était l'essentiel
pour eux. Le Grand Argentier fit savoir au Guerrier qu'il partait avec eux pour
le lieu de l'Epée et qu'il avait l'intention, si possible, s'il en recevait
le mérite, de retrouver le Roi et ses gens. Le Guerrier dit : "
Je viens avec toi. " Il se déguisa afin que les gens qui accompagnaient
le Grand Argentier ne sachent pas qu'il était le Guerrier en personne
et il partit avec le Grand Argentier. Ils décidèrent d'avertir
le Baal Tefilah qui leur dit : " Je viens aussi avec vous. " Il se
joignit à eux et avant de partir, demanda à ses gens de prier
afin que Dieu Béni-Soit-Il leur accorde de réussir et de mériter
de retrouver le Roi et ses gens. Le Baal Tefilah priait constamment à
cette fin et composa des prières pour eux. A présent qu'il partait
à la recherche du Roi et de ses gens en compagnie du Grand Argentier
et du Guerrier, il fallait que ses gens prient davantage encore afin qu'ils
méritent de réussir. Le Baal Tefilah rejoignit le Grand Argentier
et le Guerrier. La joie fut grande et ils pleurèrent. Puis ils partirent
tous trois ensemble. Les dieux, les Grands du pays, les accompagnèrent.
Ils marchèrent longtemps et arrivèrent dans un pays où
se tenaient des sentinelles. Ils leur demandèrent.
- Quel est ce pays ? Qui est votre roi ?
- A cause de la Tempête, le monde a été divisé en
nombreuses sectes. Les gens de ce pays ont décidé que le Principe
était la sagesse. Ils ont pris pour roi un grand sage. Peu de temps après,
ils ont trouvé un autre grand sage, un homme extraordinaire, le plus
grand de tous les sages. Le roi abdiqua en sa faveur et ils prirent l'autre
pour roi. En effet, pour eux le Principe réside dans la sagesse.
Le Grand Argentier, le Guerrier et le Baal Tefilah dirent : " On dirait
bien qu'il s'agit de notre Sage ! " Ils demandèrent la possibilité
de le rencontrer. On leur répondit que l'on allait s'informer. Ils partirent
informer le roi qui donna l'ordre de les faire entrer. Ils entrèrent
tous les trois chez le Sage qui régnait sur ce pays. Ils se reconnurent
car ce roi n'était autre que le Sage du Roi. La joie fut grande et leurs
larmes coulèrent. Ils disaient tout en pleurant : " Comment retrouver
le Roi et les autres ? " Ils demandèrent au Sage s'il savait quelque
chose au sujet de la Main du Roi. Il leur répondit qu'elle était
en sa possession, mais que depuis que la Tempête les avait dispersés,
il n'avait pas voulu la consulter, car la Main était l'apanage du Roi
et de lui seul. Cependant, il avait gravé l'image de la Main sur une
pierre afin qu'elle lui fût de quelque utilité ; mais il ne consultait
pas la Main elle-même.
Ils demandèrent au Sage comment il était arrivé ici. Il
leur dit que depuis la Tempête, il avait marché au hasard. Dans
ses pérégrinations, il était passé par tous les
endroits, à l'exception de ceux du Grand Argentier, ceux du Guerrier
et ceux du Baal Tefilah. Puis, les habitants du pays l'avaient rencontré
et l'avaient pris pour roi. Pour le moment, il fallait les conduire selon la
voie qu'ils avaient choisie, selon l'idée qu'ils se faisaient de la sagesse,
en attendant qu'il lui fût possible de les diriger selon la vérité
exacte.
Ils exposèrent ensuite au Sage l'affaire du pays qui s'était laissé
égarer par la cupidité. Ils dirent : " Si seulement nous
n'avions pas été séparés et dispersés, nous
aurions pu ramener ces gens égarés vers la vérité.
En fait, toutes les sectes, chacune ayant choisi sa folie, que ce soit le respect
ou le meurtre, se sont égarées. Il faut toutes les ramener vers
le vrai Principe. Même ceux qui ont choisi la sagesse n'ont pas atteint
le vrai but ; il faut les y conduire et extirper d'eux les sciences profanes
et les hérésies auxquelles ils tiennent encore. Et il est plus
facile d'anéantir toutes ces idioties que celles des gens qui sont à
ce point enfoncés dans l'idolâtrie de l'argent, car on ne peut
les en tirer. " Le Sage répondit qu'il avait lui aussi entendu du
Roi que l'on pouvait sauver un homme de tous ses désirs, mais que l'on
ne pouvait arracher quelqu'un à la cupidité que par le chemin
de l'Epée. Il ajouta qu'il allait les accompagner. Ils partirent tous
les quatre ainsi que les dieux (les riches du Pays de la Richesse).
Ils arrivèrent dans un pays et demandèrent aux sentinelles :
- Quel est ce pays et qui est votre roi ?
On leur répondit qu'après la Tempête, les habitants de ce
pays avaient décidé que le Principe était la parole. Ils
prirent pour roi un homme loquace et éloquent. Puis il trouvèrent
un grand orateur, un interprète. Ils en firent leur roi car l'autre avait
abdiqué en sa faveur.
Entendant parler d'un grand orateur, ils supposèrent que ce devait être
l'Orateur du Roi. Ils demandèrent encore la possibilité de le
rencontrer . On leur répondit qu'il fallait l'en informer ; ce qui fut
fait. Il ordonna de les faire entrer. Ils entrèrent chez le roi qui était
l'Orateur du Roi. Ils se reconnurent et pleurèrent de joie. L'Orateur
se joignit à eux et ils repartirent. Peut-être retrouveraient-ils
les autres. Ils voyaient que Dieu Béni-Soit-Il les aidait. A chaque fois,
ils retrouvaient leurs compagnons. Ils attribuaient tout cela au mérite
de leur Baal Tefilah qui priait constamment. Grâce à ses prières,
ils avaient eu le mérite de retrouver leurs compagnons. Ils reprirent
donc leur quête. Ils marchèrent et arrivèrent dans un pays.
Ils demandèrent :
- Quel est ce pays et qui est votre roi ?
On leur répondit que les habitants appartenaient à la secte dont
le Principe était de s'enivrer et d'être joyeux. Ils avaient pris
quelque ivrogne pour roi car il était toujours joyeux. Puis ils avaient
rencontré un homme assis au milieu d'une mer de vin. Cet homme leur plaisait
bien plus, car il devait être un grand ivrogne pour être assis dans
une mer de vin. Ils le prirent pour roi. Ils demandèrent à le
rencontrer. On partit informer le roi et ils furent introduits. C'était
l'Ami Fidèle du Roi, lequel était assis dans une mer de vin formée
par les paroles de consolation de l'Orateur. Les habitants du pays l'avaient
pris pour un grand ivrogne parce qu'il était assis là, et en avaient
fait leur roi. En entrant chez lui, ils se reconnurent et pleurèrent
de joie. L'Ami Fidèle se joignit à eux et ils repartirent.
Ils arrivèrent dans un pays et demandèrent aux sentinelles :
- Qui est votre roi ?
On leur répondit que leur roi était une belle femme qui mène
les hommes au but, à savoir de peupler le monde. Au début, ils
avaient pris une belle femme pour reine, puis ils avaient trouvé cette
femme, d'une beauté extraordinaire, et lui avaient offert la royauté.
Ils se dirent que ce devait être la Princesse. Ils demandèrent
: " Peut-on la voir ? " On partit s'informer. Ils se présentèrent
devant la reine et reconnurent la Princesse. La joie fut immense. Ils lui demandèrent
: " Comment es-tu arrivée ici ? " Elle leur répondit
que lors de la Tempête qui avait arraché son cher Enfant au berceau,
elle s'était aussitôt élancée à sa poursuite,
mais ne l'avait pas retrouvé. Elle avait fait jaillir son lait et une
mer de lait se forma. Puis les habitants du pays l'avaient rencontrée
et l'avaient prise pour roi. La joie fut très grande, mais ils pleurèrent
aussi sur le sort de l'Enfant qui n'était pas là, et sur le père
et la mère de la Princesse, dont ils étaient sans nouvelles. Cependant,
le pays avait désormais un roi car le mari de la Princesse, reine du
pays, était là : c'était le Guerrier, et le pays avait
son roi. La Princesse demanda au Baal Tefilah d'entrer dans le pays pour purifier
les habitants de leur obscénité. En effet, pour eux, le Principe,
c'était une belle femme. Ils se vautraient dans ce désir et en
étaient souillés. La Princesse demanda donc au Baal Tefilah d'aller
les purifier, de leur faire des remontrances afin qu'ils ne se complaisent plus
dans la luxure et qu'ils se débarrassent de leurs vices et de leur vulgarité.
Car le Principe qu'ils avaient choisi était non seulement un désir,
mais aussi toute leur foi (pour chaque secte le Principe choisi constituait
aussi toute leur foi).
Puis ils reprirent tous leur quête. Ils marchèrent et arrivèrent
dans un pays. Ils demandèrent :
- Qui est votre roi ?
On leur répondit que le roi était un enfant d'un an ; ils appartenaient
en effet à la secte de ceux qui avaient décidé de nommer
pour roi celui qui avait beaucoup à manger et ne se nourrissait pas de
mets ordinaires. Ils avaient d'abord choisi un homme riche, puis avaient rencontré
cet enfant assis au milieu d'une mer de lait. Il leur plut beaucoup car il se
nourrissait de lait et n'acceptait pas d'autre nourriture ordinaire. Ils l'avaient
donc pris pour roi et l'appelaient " Enfant d'un An " parce qu'il
vivait de lait tout comme un enfant de cet âge.
Ils se dirent que ce devait être leur Enfant. Ils demandèrent à
le voir. On partit s'informer. Ils furent admis en sa présence. Ils le
reconnurent et il les reconnut, bien qu'il n'eût été qu'un
petit enfant lors de son enlèvement. Mais comme il était d'une
grande sagesse et d'une profonde intelligence dès sa naissance, il les
reconnut. Eux aussi le reconnurent. Leur joie fut sans bornes. Mais ils pleurèrent
parce qu'ils n'avaient pas de nouvelles du Roi ni de la Reine. Ils demandèrent
à l'Enfant : " Comment es-tu arrivé ici ? " Il répondit
que depuis que la Tempête l'avait enlevé, il était allé
là où ses pas l'avaient conduit, dans un endroit où il
avait vécu de ce qu'il avait trouvé. Finalement, il était
arrivé à la mer de lait. Il avait compris que la mer était
due au lait de sa mère. Le lait avait coulé et formé cette
étendue. Il s'était assis dedans et en avait vécu. Puis
les habitants du pays étaient arrivés et l'avaient choisi pour
roi.
Ils repartirent et arrivèrent dans un pays. Ils demandèrent :
- Qui est votre roi ? "
On leur répondit que les habitants du pays avaient fait du meurtre leur
Principe. Ils avaient pris pour roi un meurtrier. Puis ils avaient rencontrée
une femme assise dans une mer de sang. Ils la nommèrent roi, car elle
devait être une grande meurtrière pour être assise, là,
dans une mer de sang. Ils demandèrent à la voir. On partit s'informer.
Ils entrèrent chez elle. C'était la Reine qui pleurait continuellement
et dont les larmes avaient formé une mer de sang. Ils se reconnurent
et leur joie fut très grande. Cependant ils pleurèrent car ils
étaient sans nouvelles du Roi.
Ils repartirent plus loin et arrivèrent dans un pays. Ils demandèrent
:
- Qui est votre roi ?
On leur répondit que les habitants du pays avaient choisi pour roi un
homme estimable, car pour eux le Principe, c'était le respect. Puis ils
avaient rencontré un vieillard portant une couronne sur la tête
et assis au milieu d'un champ. Il leur plut car ce devait être un homme
très respectable pour être assis, là, dans un champ, une
couronne sur la tête. Ils le prirent pour roi. Ils se dirent que ce devait
être leur Roi en personne. Ils demandèrent à le voir. On
partit s'informer. Ils furent admis en sa présence. Ils reconnurent le
Roi en personne. L'allégresse ne connut plus de mesure.
Quant aux dieux fous (les hommes riches du Pays de la Richesse) qui étaient
entrés avec eux, ils ne comprenaient pas ce qui se passait ni pourquoi
tout le monde était si gai et si joyeux.
La Sainte Communauté,
le Roi et ses gens, était à nouveau réunie.
Ils envoyèrent le Baal Tefilah dans tous les pays (c'est-à-dire
dans chaque pays où les sectes avaient choisi une mauvaise chose comme
principe) afin de les corriger, de les purifier et de les faire sortir de leur
égarement. Il devait extirper de chacun le vice et la folie. Le Baal
Tefilah avait maintenant le pouvoir de les remettre dans le droit chemin car
il avait pris les pouvoirs et la permission des rois de tous les pays. En effet,
le Roi et ses gens avaient tous régné sur les différents
pays.
Le Baal Tefilah se mit donc en route, armé de ses pouvoirs, en vue de
purifier tous les habitants et leur faire faire téchouvah.
Le Guerrier parla au Roi
de l'affaire du pays tombé dans l'idolâtrie de l'argent. Il dit
au Roi :
- Je vous ai entendu dire que grâce au chemin que je connais, celui qui
mène sur le lieu de l'Epée, on peut délivrer quiconque
tombe dans la cupidité.
- Oui, il en est ainsi.
Et le Roi ajouta qu'il existe un chemin qui se détache du chemin de l'Epée.
Grâce à ce chemin, on parvient à une montagne de flammes.
Sur cette montagne, un lion est couché. Lorsque ce lion doit manger,
il se jette sur les troupeaux, s'empare de moutons et de bovins et les dévore.
Les bergers savent cela et ils protègent leurs troupeaux. Mais le lion
n'en fait aucun cas. Lorsqu'il veut manger, il se jette sur eux. Les bergers
le frappent et se ruent sur lui, mais il n'y prête aucune attention ;
il capture moutons et bovins. Il rugit et les dévore. Quant à
la montagne de flammes, on ne la voit pas. Et sur le bord de ce chemin, il y
a un autre qui conduit à un endroit que l'on appelle la Cuisine. Dans
cette Cuisine, on trouve toutes sortes de nourritures, mais pas de feu. Les
nourritures cuisent grâce à la montagne de flammes. Pourtant, la
montagne de flammes se trouve loin de la Cuisine ; mais des canaux et des rigoles
partent de la montagne de flammes pour aboutir à la Cuisine. Grâce
à eux, tous les aliments cuisent. Et on ne voit pas la Cuisine non plus.
Cependant, il y a un signe : des oiseaux sont perchés sur la Cuisine
et grâce à eux, on sait que la Cuisine se trouve là. Les
oiseaux remuent leurs ailes et augmentent ou réduisent ainsi l'intensité
du feu. C'est-à-dire qu'en agitant leurs ailes, ils allument et attisent
le feu, ou bien le réduisent pour qu'il ne brûle pas trop fort,
pas plus qu'il ne faut. Ils attisent le feu, selon les aliments qui doivent
cuire. Tel aliment demande telle cuisson, tel autre demande une autre cuisson.
Tout se fait selon chaque aliment car les oiseaux entretiennent le feu en conséquence.
Le Roi raconta tout cela au Guerrier et ajouta :
- C'est pourquoi tu dois conduire les habitants du Pays de la Richesse, d'abord
contre le vent, afin que l'odeur des aliments leur parvienne. Puis, quand tu
leur auras donné de ces aliments, tu pourras arracher ces hommes à
leur cupidité.
Le Guerrier fit ainsi. Il emmena les gens qui l'accompagnaient
les Grands du Pays de la Richesse et qui étaient des dieux dans leur
pays
et qui étaient venus avec le Grand Argentier. En partant de chez eux,
les habitants du pays leur avaient donné plein pouvoir. Le pays devait
accepter ce qu'ils feraient.
Le Guerrier les emmena donc et les conduisit sur le chemin évoqué
par le Roi ; il les amena jusqu'à la Cuisine où se trouvaient
les aliments. Il les avaient conduits contre le vent et l'odeur des aliments
était parvenue jusqu'à eux. Ils avaient supplié le Guerrier
de leur donner de ces bons aliments. Alors, ils les avaient conduits avec le
vent et ils s'étaient mis à crier : " ça empeste !"
Il les avait alors conduits contre le vent et ils sentirent à nouveau
la bonne odeur des aliments. Puis il les avait une fois encore conduits avec
le vent et ils avaient crié : " ça empeste vraiment beaucoup
! " Alors, le Guerrier leur dit :
- Vous voyez bien quand même qu'il n'y a rien qui sente mauvais. Ce ne
peut être que vous qui empestez ! Ici, rien n'a mauvaise odeur.
Puis il leur donna des aliments. Dès qu'ils en eurent mangé, ils
commencèrent à se débarrasser de leur argent. Chacun creusa
un trou et s'y enterra de honte. Ils étaient honteux parce qu'ils avaient
senti à quel point l'argent sentait mauvais, aussi mauvais que des excréments,
car ils avaient goûté aux aliments.
Ils s'étaient arraché le visage, s'étaient enterrés
et ne pouvaient pas lever la face. Chacun avait honte devant son voisin. Tel
était le remède des aliments : celui qui en mange, en arrive à
détester l'argent. A cet endroit, l'argent est ce qu'il y a de plus honteux.
Lorsque quelqu'un veut critiquer quelqu'un autre, il lui lance : " Tu as
de l'argent ! " Car en cet endroit, l'argent représente la pire
des humiliations. Plus on en a, et plus on a honte. C'est la raison pour laquelle
ils s'étaient enterrés de honte. Aucun d'eux ne pouvait tourner
son visage vers l'autre, à plus forte raison vers le Guerrier. Et celui
qui trouvait sur lui un gulden ou un groschen s'en débarrassait aussitôt
en le jetant loin de lui.
Puis le Guerrier se dirigea vers eux et les fit sortir des trous où ils
s'étaient enterrés ; il leur dit :
- Venez, avec moi ! Maintenant vous n'avez plus de crainte à avoir à
cause du Guerrier, car je suis le Guerrier en personne.
Ils demandèrent au Guerrier de leur donner des aliments pour les rapporter
dans leur pays. Il ne faisait aucun doute maintenant qu'ils détestaient
l'argent, mais ils voulaient extirper la cupidité de leur pays. Le Guerrier
leur en donna et ils les rapportèrent chez eux. Ils en donnèrent
aux habitants qui aussitôt se débarrassèrent de leur argent
et s'enterrèrent de honte. Les gens très riches et les dieux étaient
ceux qui en ressentaient le plus. Les petites gens, que l'on appelait bêtes
et oiseaux avaient honte quant à eux d'avoir été aussi
insignifiants à leurs propres yeux parce qu'ils n'avaient pas eu d'argent.
Ils savaient maintenant que c'était tout le contraire : la honte c'est
l'argent. Les aliments avaient la propriété de le rendre détestable
à celui qui en mangeait car il sentait la mauvaise odeur de l'argent,
qui était celle de la fange. Tous se débarrassèrent de
leur argent et de leur or.
Puis on leur envoya le Baal Tefilah qui leur donna des pénitences, des
tikounim et les purifia.
Le Roi régna sur le monde entier et le monde entier revint vers Dieu
Béni-Soit-Il. On ne s'occupa plus que de Torah, de prières, de
téchouvah et de bonnes actions, amen.
Que ce soit Sa volonté, que Dieu soit béni pour toujours, amen et amen.
Le verset dit que Dieu Béni-Soit-Il
possède une fournaise dans un endroit, et que le feu se trouve dans un
autre endroit, comme il est dit (Is. 31 :9) : " Telle est la parole de
L'Eternel, qui a son foyer à Sion et sa fournaise à Jérusalem.
"Toute l'histoire fait allusion à ce chapitre. Va voir là-bas.
L'ordre du Roi et de ses gens : le Baal Tefilah et le Guerrier ; le Grand Argentier
et le Sage ; l'Orateur et l'Ami Fidèle ; la Princesse et l'Enfant ; Le
Roi et la Reine. Ce sont dix choses. Les Dix corrigent le monde et sortent chacun
de sa folie et le ramènent à la juste vérité.
LES SEPT MENDIANTS
Je vais vous raconter comment on se réjouissait autrefois.
Il était une fois
un roi qui avait un fils unique. Le roi voulait lui transmettre le royaume de
son vivant. Il donna une grande fête, et comme à l'accoutumée,
on s'y amusât beaucoup. La joie fut particulièrement grande en
ce jour où le roi transmettait de son vivant le royaume à son
fils. Tous les princes, tous les ducs, tous les nobles assistaient à
cette fête. Le pays se réjouissait beaucoup de cet événement
car c'était un grand honneur pour le roi. La joie était immense
et les festivités nombreuses : orchestres, pièces de théâtres
et autres amusements, bref, tout le nécessaire à une ambiance
de fête.
Alors que tout le monde était déjà bien joyeux, le roi
se leva et dit à son fils.
- Je sais lire dans les étoiles, et j'ai vu qu'un jour tu abdiquerais.
Par conséquent, veille à ne pas être triste si tu abdiques,
et sois joyeux. Même si tu es triste, je me réjouirai que tu ne
sois pas roi. En effet, tu ne mériterais pas la royauté si tu
n'étais pas joyeux. Si tu es homme à ne pas être joyeux
lorsque tu abdiques, tu n'es pas digne d'être roi. Mais si tu es joyeux,
je serai, moi, très joyeux.
Le prince régna sur
le pays avec rigueur. Il nomma des ministres, des ducs, des nobles et créa
des armées. C'était un sage et il aimait beaucoup la sagesse.
Il était entouré de sages éminents, et celui qui venait
le voir et possédait quelque savoir jouissait de sa considération.
Le prince accordait honneurs et richesses aux sages en récompense de
leur sagesse. Il donnait à chacun ce qu'il désirait. Voulait-on
de l'argent, il en accordait ; voulait-on des honneurs ? Il les accordait encore.
Tout cela en récompense de la sagesse. Celle-ci étant très
appréciée du prince, tous se mirent à étudier les
sciences et le pays tout entier s'y adonna. Celui qui désirait de l'argent,
étudiait les sciences afin d'obtenir de l'argent, et celui qui recherchait
les honneurs agissait de même. Tous s'adonnaient aux sciences. Le pays
oublia l'art de la guerre parce que tous ses habitants se consacraient aux études
scientifiques, et le plus petit d'entre eux eût été un très
grand sage dans un autre pays.
Les sages de ce pays possédaient une sagesse extraordinaire.
A cause de leur savoir, ils tombèrent dans l'hérésie et
y entraînèrent le prince. Cependant, les gens simples ne furent
pas atteints. La science des sages étant si profonde, les gens simples
ne pouvaient s'y plonger, et c'est pourquoi ils ne devinrent pas hérétiques.
En revanche, les sages et le prince le devinrent. Cependant, le prince était
bon ; de naissance, il était en effet doué de bonté et
de précieuses qualités. Il pensait souvent : " Où
suis-je ? Que suis-je en train de faire ? " Et il gémissait et soupirait.
Il se disait : " A quoi cela rime de se plonger là-dedans ? Qu'est-ce
que cela peut me faire ? Où suis-je ? " Et il soupirait. Pourtant,
dès qu'il se remettait à utiliser son intelligence, il revenait
aux sciences hérétiques. Et cela se reproduisait plusieurs fois.
Il se demandait : " Où suis-je ? Qu'ai-je à faire là-dedans
? " Et il gémissait et soupirait. Mais dès qu'il utilisait
son intelligence, l'hérésie reprenait le dessus.
Un jour, dans un pays, il
y eut un exode. Tous les habitants s'enfuirent. Dans leur fuite, ils traversèrent
une forêt où ils perdirent deux enfants, un garçon et une
fille. Quelqu'un perdit un garçon ; quelqu'un d'autre une fille. Ils
étaient encore petits, entre quatre et cinq ans. Les petits enfants n'avaient
pas de quoi se nourrir. Ils pleurèrent et crièrent parce qu'ils
n'avaient pas à manger.
Alors, un mendiant qui portait des sacs arriva. Les enfants commencèrent
à tourner autour de lui et à s'agripper à lui. Il leur
donna du pain et ils mangèrent. Il leur demanda :
- D'où venez-vous ?
- Nous ne savons pas, répondirent-ils car ils étaient encore petits.
Il s'éloigna d'eux mais ils lui demandèrent de les emmener avec
lui.
- Je ne veux pas que vous veniez avec moi.
Et ils s'aperçurent que le mendiant était aveugle. Ils s'étonnèrent
qu'étant aveugle il sût où aller. (En vérité,
on peut s'étonner de ce que les enfants se soient posé la question,
car ils étaient encore jeunes. Mais comme ils étaient intelligents,
ils s'étonnèrent.) Le mendiant leur donna sa bénédiction
- Puissiez-vous être comme moi. Puissiez-vous être aussi vieux que
moi.
Puis il leur donna encore du pain et s'éloigna. Les enfants comprirent
que Dieu Béni-Soit-Il veillait sur eux et leur avait envoyé un
mendiant aveugle pour leur donner à manger. Puis, le pain fut épuisé.
Ils se remirent à crier : " A manger ! " La nuit tomba et ils
la passèrent là où ils se trouvaient.
Le matin venu, ils n'avaient toujours rien à manger. Ils crièrent
et pleurèrent à nouveau.
Un mendiant sourd, arriva. Ils commencèrent à lui parler mais
il montra du doigt et dit : " Je n'entends pas. " Le mendiant leur
donna aussi du pain et commença à s'éloigner. Ils voulaient
que le mendiant les emmènent mais il refusa. Et lui aussi leur donna
sa bénédiction : " Puissiez-vous être comme moi. "
Il leur laissa du pain et s'éloigna. Lorsque le pain fut épuisé,
ils se remirent à crier.
Un autre mendiant, qui était bègue, arriva. Ils commencèrent
à lui parler et il répondit en bégayant. Ils ne comprirent
pas ce qu'il disait, mais lui les comprit. Ils ne pouvaient pas le comprendre
parce qu'il bégayait. Il leur donna du pain et s'éloigna et leur
accordant sa bénédiction, à savoir qu'ils soient comme
lui, et il partit.
Puis un autre mendiant, au cou tordu, arriva. Le même schéma se
reproduisit Ensuite arriva un mendiant bossu. Plus tard, survint un mendiant
qui n'avait pas de mains. Et enfin un mendiant qui n'avait pas de pieds. Chaque
mendiant leur donna du pain et les bénit en leur souhaitant d'être
comme lui.
Lorsque le pain fut épuisé,
les enfants se dirigèrent vers un endroit habité et atteignirent
une route. Ils l'empruntèrent et arrivèrent à un village.
Les enfants entrèrent dans une maison. On eut pitié d'eux et on
leur donna du pain. Ils se rendirent dans une autre maison où on leur
donna à nouveau du pain. Ils allaient d'habitation en habitation et ils
voyaient que c'était bien : on leur donnait du pain.
Ils décidèrent de rester toujours ensemble, et se fabriquèrent
de grands sacs. Ils allaient dans les maisons, participaient à toutes
les fêtes, circoncisions et mariages.
Ils continuèrent leur chemin, entrèrent dans des villes. Ils allaient
d'habitation en habitation, visitaient les foires, s'installaient avec les mendiants.
Ils s'asseyaient sur des bancs, leur sébille à la main. Finalement,
les enfants devinrent célèbres parmi tous les mendiants. Tous
les connaissaient et savaient qu'ils étaient les petits enfants qui s'étaient
perdus dans la forêt.
Un jour, une grande foire
eut lieu dans une ville importante. Les deux enfants s'y rendirent avec tous
les mendiants. Ceux-ci eurent l'idée de marier les enfants l'un à
l'autre. Ils en discutèrent et l'idée leur plut beaucoup. Mais
comment célébrer le mariage ? On décida que, puisque tel
jour on fêtait l'anniversaire du roi, tous les mendiants se rendraient
à la fête et mendieraient du pain natté et de la viande.
Ils auraient ainsi de quoi célébrer le mariage. C'est ce qui arriva
: tous les mendiants se rendirent à l'anniversaire et mendièrent
de la viande et du pain natté ; ils prirent tout ce qui restait du banquet,
viande et pain. Ils s'en allèrent et creusèrent un grand trou
capable de contenir cent personnes. Ils le couvrirent avec des poutres, de la
terre et des détritus et y entrèrent. Ils installèrent
un dais nuptial et célébrèrent l'union des enfants. Ils
se réjouirent beaucoup. Les jeunes mariés aussi étaient
très joyeux ; ils se rappelèrent les bienfaits que Dieu Béni-Soit-Il
leur avait accordés lorsqu'ils étaient dans la forêt. Ils
se mirent à pleurer et à se languir. " Comment retrouver
le premier mendiant, l'aveugle, qui nous a apporté du pain dans la forêt
? "
Alors qu'ils se languissaient, le mendiant aveugle les appela :
- Je suis là. Je suis venu à votre mariage et je vous apporte
un droshe geshank : puissiez-vous être aussi vieux que moi ! Je vous avais
souhaité d'être aussi vieux que moi. A présent je vous apporte
cela en cadeau de mariage : être aussi vieux que moi ! Vous croyez peut-être
que suis aveugle ? Il n'en est rien. En fait, pour moi le monde ne vaut pas
même un clin d'il. (Il semblait aveugle car il ne jetait pas même
un coup d'il sur le monde, car pour lui le monde entier ne méritait
pas qu'on le regardât un instant et c'est pourquoi il ne le regardait
pas.) Je suis très vieux et cependant je suis jeune et je n'ai pas encore
commencé à vivre. Pourtant je suis très vieux et je ne
suis pas le seul à le dire, car j'ai l'approbation du grand aigle. Je
vais vous raconter une histoire :
Un jour, des hommes partirent
sur la mer avec toute une flotte. Une tempête éclata et brisa tous
les navires. Les hommes furent sauvés et arrivèrent à une
tour. Ils montèrent dans la tour et y trouvèrent toutes sortes
de nourritures et de boissons, des vêtements, et tout ce dont ils avaient
besoin. Tout était très bien, tous les plaisirs du monde étaient
disponibles. Les naufragés décidèrent que chacun raconterait
une histoire ancienne, l'histoire la plus ancienne dont il se souvenait depuis
qu'il avait commencé à avoir de la mémoire. Il y avait
parmi eux des vieux et des jeunes.
Ce fut le plus vieux d'entre eux qui eut l'honneur de parler le premier. Il
dit : " Que vais-je pouvoir vous raconter ? Je me souviens du jour où
la pomme fut arrachée de l'arbre. " Personne ne comprit ce qu'il
avait dit. Mais il y avait parmi eux des sages qui déclarèrent
: " C'est vraiment une histoire très ancienne. " Puis un autre
vieillard, un peu plus jeune, eut l'honneur de parler à son tour et dit
: " C'est une histoire ancienne ? Moi, je me souviens de cette histoire
et je me souviens même du moment où la lumière brûlait
! " Ils s'écrièrent que cette histoire était bien
plus ancienne que la première. C'était d'ailleurs très
étonnant, car le deuxième vieillard était plus jeune que
le premier et pourtant il se souvenait d'une histoire plus ancienne.
Puis le troisième vieillard eut l'honneur de parler. Il était
plus jeune que les deux premiers et dit : " Je me souviens du moment où
la constitution du fruit eut lieu, lorsqu'il commença à être
un fruit. " On s'écria : " C'est vraiment une histoire très
ancienne ! " Puis, le quatrième vieillard, qui était encore
plus jeune, s'écria : " Je me souviens du moment où l'on
apporta la graine pour planter le fruit. " Le cinquième, qui était
bien plus jeune, dit : " Je me souviens même des sages qui ont conçu
le fruit. " Le sixième, plus jeune que le précédent,
dit : " Je me souviens même de la saveur du fruit avant qu'elle ne
pénétrât en lui. " Le septième dit : "
Je me souviens même de l'odeur du fruit avant qu'elle n'entrât en
lui. " Le huitième dit : " Je me souviens même de l'apparence
du fruit avant qu'elle ne se posât sur lui. "
Le mendiant poursuivit sa narration et déclara :
- Je n'étais alors qu'un enfant, et j'étais présent. Je
me suis écrié : " Je me souviens de toutes ces histoires
et je ne me souviens de rien. " Tous s'écrièrent : "
Voilà une histoire vraiment très ancienne, c'est la plus ancienne
de toutes ! " Ils étaient stupéfaits qu'un enfant se souvienne
davantage que les autres hommes présents.
Alors, un grand aigle arriva. Il frappa à la tour et dit :
" Cessez d'être pauvres, retournez à vos trésors, servez-vous
en ! " Puis il nous dit de sortir de la tour, le plus vieux devant sortir
le premier, et il nous emmena loin de la tour. Il m'avait d'abord fait sortir
car j'étais en vérité le plus vieux de tous. Il avait donc
fait sortir le plus jeune en premier. Le vieillard le plus âgé
sortit le dernier. En effet, le plus jeune était le plus vieux puisqu'il
avait raconté l'histoire la plus ancienne. Et le vieillard le plus âgé
était le plus jeune de tous.
Le grand aigle nous dit : " Je vais vous expliquer toutes les histoires.
Celui qui a dit se souvenir du moment où la pomme fut arrachée
de l'arbre voulait dire qu'il se souvenait du moment où son cordon ombilical
fut coupé. Il se souvient de ce qu'on lui a fait à sa naissance.
Celui qui a dit se souvenir du moment où la lumière brûlait,
voulait dire qu'il se souvient du moment où il était dans le ventre
de sa mère et de la lumière qui brûlait au-dessus de sa
tête (il est dit dans la Guemara, Niddah 30b qu'une lumière brûle
au-dessus de la tête de l'enfant dans le ventre de sa mère). Celui
qui a dit se souvenir du fruit en devenir voulait dire qu'il se souvenait du
moment où son corps était en cours de formation, lorsque l'enfant
commence à être créé. Celui qui se souvient du moment
où la graine fut apportée pour planter le fruit veut dire qu'il
se souvient du moment où la goutte fut émise. Celui qui se souvient
des sages qui ont conçu la graine, veut dire qu'il se souvient du moment
où la goutte était encore dans le cerveau. Celui qui se souvient
de la saveur, veut parler de nefesh. Celui qui se souvient de l'odeur, veut
parler de rouach. Et l'apparence, c'est la neshamah. Quant à l'enfant
qui a dit se souvenir de rien, il est plus grand que vous, car il se souvient
même de ce qu'il y avait avant nefesh, rouach, neshamah. C'est pourquoi
il a déclaré se souvenir de " rien ". "
Puis le grand aigle ajouta :
" Retournez vers vos navires (c'est-à-dire les corps qui s'étaient
brisés et allaient se reformer), retournez donc vers eux ! "
Et il nous bénit. Puis il me dit :
" Toi, viens avec moi, car tu es comme moi, tu es très vieux et
très jeune. Tu n'as pas encore commencé à vivre et cependant
tu es très vieux. Et je suis comme cela aussi, car je suis très
vieux et je suis jeune. "
J'ai donc l'approbation du grand aigle pour dire que je suis très vieux
et tout jeune. Maintenant, je vous donne cela en cadeau de mariage : être
aussi vieux que moi !
La joie et l'allégresse furent grandes et tous se réjouirent.
Le deuxième des sept
jours de réjouissances, les jeunes mariés se souvinrent de l'autre
mendiant, le sourd, qui les avait nourris en leur donnant du pain. Ils se languissaient
: " Comment faire venir le mendiant sourd qui nous a nourris ? " Alors
qu'ils se languissaient, il arriva et dit : " Je suis là ! "
Il se précipita sur eux, les embrassa et leur dit :
- Je vous apporte votre cadeau : être comme moi toute votre vie. Puissiez-vous
avoir une vie heureuse comme la mienne. C'est ainsi que je vous avais bénis,
et maintenant je vous offre ma vie heureuse comme droshe geshank. Vous croyez
que je suis sourd. Je ne suis pas sourd, mais le monde entier ne mérite
pas que j'entende ses défauts. Tous les bruits du monde ne sont que défauts.
Chacun crie à cause de son défaut, de ce qui lui manque. Même
les joies du monde ne proviennent que des défauts, car on se réjouit
d'avoir obtenu ce qui nous manquait auparavant. Le monde ne mérite pas
que j'entende ses défauts. Je mène une vie heureuse car je ne
manque de rien. Et j'ai l'approbation du pays de la richesse pour dire que je
mène une vie heureuse. (Il menait une vie heureuse car il mangeait du
pain et buvait de l'eau).
- Je vais vous raconter une histoire :
Il existe un pays rempli
de richesses. Ses habitants possèdent de grands trésors. Un jour,
ils se réunirent et chacun vanta en détails la vie heureuse qu'il
menait. Je leur dis alors : " Je mène une vie plus heureuse que
la vôtre. En voici la preuve : si vous menez une vie heureuse, aidez ce
pays qui avait un jardin. Dans ce jardin, il y avait des fruits qui renfermaient
toutes les saveurs et tous les parfums du monde. Il y avait aussi toutes sortes
de belles choses à voir, toutes les couleurs et toutes les fleurs du
monde. Ce jardin contenait tout. Un jardinier en prenait soin, et le pays vivait
heureux grâce à cet endroit. Mais le jardinier disparut. Tout ce
qui se trouvait dans le jardin ne pouvait plus continuer à pousser car
il n'y avait plus de jardinier pour s'occuper de lui et faire ce qu'il y avait
à faire. Cependant, les habitants avaient pu continuer à vivre
grâce au regain.
Un roi cruel arriva mais il ne put rien leur faire. Alors il détruisit
le bonheur dont les habitants jouissaient grâce au jardin. Il ne détruisit
pas le jardin lui-même mais laissa dans le pays trois bandes de serviteurs
et leur dit de faire ce qu'il leur avait ordonné. Et à cause de
ce qu'ils firent, à cause de ce que le roi leur avait ordonné
de faire, ils corrompirent le sens du goût. Celui qui voulait goûter
une chose, ne sentait qu'un goût de charogne. Ils corrompirent l'odorat
de telle sorte que tout avait l'odeur du galbanum. Et ils corrompirent le sens
de la vue, et la vision des habitants s'obscurcit, comme si tout était
entouré ou recouvert d'épais nuages.
Maintenant, si vous menez une vie heureuse, venez en aide à ce pays.
Je peux vous dire ceci : vous ne pourrez pas l'aider, car vous allez être
corrompus. Tout ce qui est arrivé aux gens de ce pays vous arrivera :
votre goût, votre odorat et votre vue seront corrompus. "
Les riches se levèrent et partirent pour le pays ; je les accompagnai.
En chemin, ils menèrent bonne vie car ils avaient leurs trésors.
Mais en s'approchant du pays, ils se laissèrent corrompre. Ils sentirent
que leurs sens se dénaturaient.
Je m'écriai : " Si déjà, alors que vous n'êtes
pas encore entrés dans le pays, votre goût, votre vue et votre
odorat se corrompent, qu'en sera-t-il lorsque vous entrerez ! Comment pourrez-vous
aider ce pays ? " Je pris de mon pain et de mon eau et leur en donnai.
Ils goûtèrent dans mon pain et dans mon eau toutes les saveurs,
et ce qui était corrompu en eux redevint normal.
Les habitants du pays où se trouvait le jardin cherchaient le moyen de
réparer ce qui était corrompu en eux. Comme il existait un pays
de la richesse, ils se dirent que leur jardinier, qui avait disparu, était
de la même souche que les habitants de ce pays lesquels menaient une vie
heureuse. Ils décidèrent d'y envoyer des émissaires pour
demander de l'aide. Ils les envoyèrent. Ceux-ci partirent et rencontrèrent
en chemin les gens du pays de la richesse qui se rendaient dans le pays du jardin
; ils leur demandèrent : " Où allez-vous ? " Ils répondirent
: " Nous allons voir les habitants du pays de la richesse pour demander
de l'aide. " Ils répondirent : " Nous sommes les habitants
du pays de la richesse et nous allons chez vous. "
Je dis alors : " Vous avez besoin de moi car vous ne pouvez pas aller chez
eux et les aider. Restez ici. Je partirai avec les émissaires pour aider
les habitants. " Je partis avec les émissaires et arrivai dans le
pays. J'entrai dans une ville et je vis arriver des hommes. L'un deux fit une
plaisanterie. D'autres gens arrivèrent et il y eut tout un groupe de
gens qui plaisantaient et riaient. Je tendis l'oreille et je les entendis proférer
des obscénités. L'un faisait une plaisanterie obscène que
l'autre rendait plus obscène encore ; il riait et en tirait grand plaisir,
comme cela se passe d'habitude. J'allai plus loin, dans une autre ville. Je
vis deux hommes qui se querellaient en affaires. Ils se présentèrent
devant un Beth Din qui trancha : celui-ci est innocent, celui-là est
coupable. Les deux hommes sortirent et recommencèrent à se quereller.
Ils dirent qu'ils n'acceptaient pas la décision de ce Beth Din et qu'ils
en voulaient un autre. Ils en choisirent un autre et exposèrent leur
affaire. Puis, l'un d'eux se disputa avec un troisième homme et ils choisirent
encore un autre Beth Din. Ils recommencèrent à se quereller, et
à chaque fois ils choisissaient un nouveau Beth Din. Finalement, la ville
fut pleine de Batei Dinim. J'observai attentivement et je me rendis compte que
c'était l'absence de vérité qui provoquait tout cela. Parfois
le Beth Din favorisait tel plaideur et tranchait en sa faveur parce que les
juges recevaient des pots-de-vin ; aucune vérité n'émanait
de ces juges. Puis je vis que les habitants se complaisaient tous dans la luxure
laquelle était chose si courante chez eux qu'ils la considéraient
comme permise.
Je leur dis alors que c'était à cause de cela que le goût,
la vue et l'odorat étaient corrompus. En effet, le roi cruel avait lâché
chez eux trois bandes de serviteurs chargés de parcourir leur pays et
de le corrompre. Ils l'avaient parcouru et raconté des obscénités,
et ainsi l'obscénité était entrée dans le pays.
A cause d'elle, le sens du goût avait été gâté
et chaque chose avait un goût de charogne. Ils avaient introduit la corruption,
et à cause d'elle la vue des habitants s'était corrompue et tout
leur paraissait sombre, ainsi qu'il est écrit (Deut. 16 :19) : "
la corruption aveugle les yeux des sages. " Les serviteurs avaient aussi
introduit la luxure dans le pays laquelle avait corrompu l'odorat, car la luxure
souille l'odorat. (Voila pourquoi le roi cruel avait lâché dans
le pays trois bandes de serviteurs auxquels il avait ordonné de le parcourir
et d'y introduire ces trois transgressions corruptrices de la vue, du goût
et de l'odorat.)
" Par conséquent, occupez-vous de faire revenir le pays dans le
droit chemin et corrigez ces trois transgressions. Recherchez ces hommes et
expulsez-les. Ainsi, vous purifierez le pays de ces trois interdits. Et je peux
vous dire que, non seulement vous recouvrerez la vue, le goût et l'odorat,
mais vous retrouverez le jardinier disparu. " Ils firent ce qu'on leur
avait dit et purifièrent le pays. Ils recherchèrent les hommes
du roi et en capturèrent un. Ils lui demandèrent : " D'où
viens-tu ? " Ils finirent par capturer tous les hommes du roi cruel et
les expulsèrent. Ils purifièrent le pays de ses transgressions.
Puis, il y eut un tumulte : " Peut-être le fou est-il le jardinier
? " En effet, il y avait un homme qui errait et disait être le jardinier.
Tout le monde le prenait pour fou, lui lançait des pierres et le chassait.
" Peut-être s'agit-il du jardinier ? " On partit à sa
recherche et on le ramena. Je dis alors : " Il n'y a pas de doute, c'est
bien le jardinier ! "
Ainsi, j'ai l'approbation de ce pays et je peux dire que je mène une
vie heureuse car j'ai corrigé ce qui n'allait pas dans ce pays et ses
habitants ont même retrouvé leur jardinier et ils ont recommencé
à mener une vie heureuse. Aujourd'hui je vous fais cadeau de ma vie heureuse.
La joie et l'allégresse furent grande. Tous furent joyeux. Le premier
mendiant leur avait offert une longue vie et le second, une vie heureuse. Tous
les autres mendiants vinrent au mariage et leur apportèrent un droshe
geshank. Ce qu'ils leur avaient souhaité, qu'ils puissent être
comme eux, ils leur apportèrent en cadeau de mariage.
Le troisième jour,
les jeunes mariés se souvinrent, pleurèrent et se languirent :
" Comment faire venir le troisième mendiant, celui qui bégayait
? " A ce moment, il arriva et dit : " Je suis là. " Il
se précipita vers eux pour les embrasser et leur dit :
- Je vous avais bénis pour que vous soyez comme moi. Aujourd'hui je vous
apporte un droshe geshank : être comme moi ! Vous pensez que je bégaye.
Je ne bégaye pas du tout, mais les paroles des hommes qui ne sont pas
louanges du Très-Haut, sont imparfaites. (C'est pourquoi il semblait
bégayer, ne pas pouvoir parler, car il ne voulait pas prononcer une parole
profane, une parole qui ne fût pas une louange de Dieu Béni-Soit-Il.
Toute parole qui ne loue pas Dieu Béni-Soit-Il est imparfaite. Voilà
pourquoi le mendiant bégayait.) En vérité, je ne bégaye
pas. Au contraire, je suis éloquent et parle très bien. Je suis
un orateur extraordinaire. Je peux dire des allégories, des chants et
des poèmes merveilleux. Lorsque je commence à réciter mes
allégories, mes chants et mes poèmes, il n'est pas de créature
au monde qui ne puisse ni ne veuille m'écouter, car tout ce que je dis
est composé avec beaucoup d'art. Et j'ai l'approbation de ce grand homme
qui s'appelle le Véritable Homme Charitable :
Un jour, tous les sages
s'étaient réunis. Chacun se vantait de sa sagesse. L'un d'eux
disait que grâce à elle, il avait inventé le fer. C'est-à-dire
qu'il avait donné au monde le moyen de fabriquer du fer à partir
de la terre. Un autre se vantait d'avoir inventé un autre métal.
Un autre encore se vantait d'avoir inventé l'argent, grâce à
son savoir, ce qui était déjà plus important. Un autre
se vantait d'avoir inventé l'or. Un autre se vantait d'avoir inventé
les armes, fusils et canons et tout le reste. Un autre se vantait d'avoir trouvé
le moyen de fabriquer les métaux autrement qu'avec leurs composants habituels.
Un autre se vantait de connaître d'autres sciences, car elles permettent
d'inventer nombre de choses, comme le salpêtre, la poudre, etc. Alors,
l'un d'eux s'écria : " Je suis plus intelligent que vous, car je
suis intelligent comme le jour. " On ne comprit pas ce qu'il voulait dire
par ces mots " intelligent comme le jour ". Il dit : " On peut
réunir toutes vos sciences et il ne restera rien d'elles, si ce n'est
une heure. Chaque science a son origine dans un jour différent, selon
ce qui fut créé ce jour, car toutes les sciences ne sont que combinaisons.
(Pour fabriquer quelque chose, on combine plusieurs éléments.
C'est pourquoi chaque science emprunte au jour où Dieu a créé
les éléments auxquels on emprunte les matériaux qui sont
ensuite combinés avec art pour fabriquer ce que l'on désire, l'argent,
le cuivre et le reste.) Par conséquent, on peut mettre ensemble avec
sagesse toutes vos sciences et elles ne vaudront pas plus d'une heure, alors
que moi, je suis aussi intelligent qu'un jour entier. " Je lui dis alors
: " Comme quel jour, " Il répondit : " Ah, celui-ci est
plus intelligent que moi, car il me demande 'comme quel jour ?'. Disons que
je suis aussi intelligent que le jour de votre choix. " (Toutefois, une
question se pose : en quoi cet homme est-il plus intelligent parce qu'il a demandé
" comme quel jour ? " Mais c'est toute une histoire...)
Le mendiant reprit son récit :
- Le Véritable Homme Charitable est un grand homme ; quant à moi,
je parcours le monde et je rassemble tous les actes de charité et ensuite
je les lui apporte. Le principe du temps, (c'est-à-dire le fait que le
temps existe sous forme d'années et de jours, cela est l'oeuvre Dieu
Béni-Soit-Il), n'existe que grâce aux actes charitables. Je vais
récolter tous les vrais actes de charité que j'apporte ensuite
au Véritable Homme Charitable. Et il en fait le temps.
Il existe une montagne. Sur cette montagne il y a une pierre. De cette pierre,
sort une source. Chaque chose a un cur. Le monde tout entier a lui aussi
un cur. Le cur du monde possède une stature complète,
avec un visage, des mains, des pieds etc. Cependant, l'ongle du pied du cur
du monde possède l'essence du cur plus que tout autre cur.
La montagne où coule la source se dresse à une extrémité
du monde et le cur du monde se trouve à l'autre extrémité
du monde, en face de la source. Il désire ardemment pouvoir arriver à
la source et il se languit. Ce désir et cette langueur sont extraordinaires.
Le cur crie sans cesse, car il veut arriver jusqu'à la source.
La source elle-même désire le cur. Le cur a deux maladies
: le soleil, qui le pourchasse et le brûle, et le désir et la nostalgie
qu'il éprouve envers la source qu'il veut atteindre. Il est toujours
à l'opposé d'elle et il crie continuellement : " Au secours
! " Il se languit beaucoup de l'atteindre. Cependant, il doit parfois se
reposer et cesser un peu de haleter. Alors, vient un oiseau qui déploie
ses ailes au-dessus de lui et le protège du soleil. Le cur se repose
un peu. Cependant, même lorsqu'il se repose, il regarde dans la direction
de la source et se languit. Mais s'il se languit ainsi, pourquoi ne va-t-il
pas retrouver la source ? Dès que le cur veut se rapprocher de
la montagne où coule la source, il ne voit plus le sommet de la montagne
et n'aperçoit plus la source. Et quand il n'aperçoit plus celle-ci,
il se meurt, car le cur tire toute sa force vitale de la source. Lorsqu'il
se trouve à l'opposé de la montagne, il en voit le sommet où
coule la source. Mais dès qu'il veut aller sur la montagne, il n'en voit
plus le sommet (lorsqu'on est loin d'une haute montagne, on en voit le sommet
mais celui-ci disparaît lorsqu'on se rapproche).
Il ne voit plus la source et il risque de mourir, à Dieu ne plaise. Car
si le cur mourait, à Dieu ne plaise, le monde serait détruit,
car le cur est la vie de toute chose, et comment le monde pourrait-il
subsister sans le cur ? C'est à cause de cela que le cur
ne peut aller vers la source. Il reste toujours en face d'elle, il crie et se
languit de ne pouvoir aller vers elle. Cette source n'a pas de temps ; elle
n'est pas dans le temps ; elle ne connaît pas les jours et le temps qui
s'écoule, car elle est plus haute que le temps du monde. Mais comment
la source peut-elle exister dans le monde (car rien n'existe sans le temps)
? Tout le temps de la source ne provient que de ce que le cur lui offre
un jour en cadeau. Si ce jour finissait, s'il s'en allait, la source n'aurait
plus de temps et elle disparaîtrait du monde. Et si la source n'existait
pas, le cur mourrait, à Dieu ne plaise, et le monde entier disparaîtrait,
à Dieu ne plaise.
Lorsque le jour touche à sa fin, le cur et la source se mettent
à chanter ensemble, à réciter des allégories, des
chants et des poèmes. Ils chantent l'un pour l'autre de belles allégories
et de belles poésies, avec beaucoup d'amour et de nostalgie : le cur
chante pour la source, et la source chante pour le cur. Et le Véritable
Homme Charitable perçoit tout cela et veille. Lorsque le jour touche
à sa fin et risque de mourir (si le jour s'en allait, si la source n'avait
plus de jour, elle disparaîtrait , alors le cur mourrait, à
Dieu ne plaise, le monde serait détruit, à Dieu ne plaise), le
Véritable Homme Charitable fait cadeau d'un jour au cur, et le
celui-ci fait cadeau de ce jour à la source qui a de nouveau un temps
(alors, le jour peut à nouveau faire subsister la source et le cur
lui aussi peut subsister). Lorsque le jour vient d'où il vient, il va
avec des allégories et de beaux chants qui renferment toutes les sciences.
Il existe des différences entre les jours : il y a dimanche, lundi, etc.
et il y a Rosh Chodesh et les jours de fête. Et tout le temps que le Véritable
Homme Charitable possède, il le possède grâce à moi
qui vais rassembler toutes les véritables actions charitables grâce
auxquelles le temps existe. (Voila pourquoi le mendiant bègue est plus
intelligent que celui qui se vante d'être aussi intelligent que le jour
de son choix, car le temps et les jours existent grâce à lui ;
c'est lui qui rend possibles les jours grâce aux chants et aux allégories
qui renferment toutes les sciences. Ainsi, le principe de l'existence du temps,
avec les allégories et les chants, qui renferment toutes les sciences,
est dû au bègue.) C'est de cette manière que j'ai reçu
l'approbation du Véritable Homme Charitable. Je peux parler par allégories
et réciter les chants qui renferment toutes les sciences. Aujourd'hui,
je vous offre en droshe geshank de pouvoir être comme moi.
La joie fut grande et tous se réjouirent. Les réjouissances de
la journée se terminèrent et la nuit s'écoula.
Le matin venu, ils se souvinrent
et se languirent de revoir le mendiant au cou tordu. Alors, il entra et dit
:
- Je vous avais bénis et je vous avais souhaité d'être comme
moi. Aujourd'hui, je vous donne en droshe geshank d'être comme moi. Vous
croyez que j'ai le cou tordu. C'est le contraire : mon cou est droit. Cependant,
le monde est rempli de vanité et je n'en veux pas. (C'est pourquoi il
semblait que son cou fût tordu, car il ne voulait pas partager les vanités
du monde et il détournait la tête.) En vérité j'ai
un très beau cou, il est tout à fait normal, et j'ai aussi une
bonne voix. Grâce à elle, je peux imiter tous les sons du monde,
y compris le timbre d'une voix. J'ai un très bon cou et une très
bonne voix, le pays peut en attester :
En effet, il existe un pays où tout le monde connaît bien l'art
musical. Tout ses habitants se consacrent à la musique, même les
petits enfants. Il n'y a pas un seul enfant qui ne sache jouer de quelque instrument
de musique. Le plus petit dans ce pays, serait le plus grand des musiciens dans
un autre pays. Les sages et le roi de ce pays, ainsi que ceux qui jouent dans
des orchestres, sont des musiciens extraordinaires.
Un jour, les sages du pays s'étaient réunis, et chacun se vantait
de son art. Celui-ci se vantait de savoir jouer d'un instrument, celui-là
se vantait de savoir jouer d'un autre instrument. Un autre se vantait de savoir
jouer d'un autre instrument encore. Un autre de savoir jouer de chacun de ces
instruments. Un autre de savoir jouer de tous les instruments. Un autre encore
se vantait de pouvoir imiter un instrument avec sa voix. Tel autre se vantait
de pouvoir imiter un autre instrument. Un autre se vantait de pouvoir imiter
chaque instrument. Il y en avait un qui se vantait de pouvoir imiter le tambour
; et un autre le bruit du canon. Et moi, qui étais présent, je
m'écriai : " Ma voix est meilleure que les vôtres. En voici
la preuve : si vous êtes vraiment de grands musiciens, aidez ces deux
pays :
Il y a deux pays séparés
par des milliers de milles . Lorsque vient la nuit, on ne peut pas dormir. A
la nuit tombée, des lamentations se font en effet entendre. Les hommes,
les femmes, les enfants entendent des plaintes lugubres et tous se mettent à
se lamenter. Si l'on posait une pierre là-bas, elle fondrait. Voilà
ce qui se passe dans ces deux pays. Dans le premier, on entend cette lugubre
plainte et tous doivent se lamenter ; et c'est pareil dans le second. Des milliers
de milles les séparent l'un de l'autre. Donc, si vous êtes experts
dans l'art musical, aidez ces deux pays ou, du moins, imitez leurs lamentations.
Ils me répondirent : " Conduis-nous là-bas. "
- D'accord, je vais vous y conduire.
Ils partirent tous, ils marchèrent et arrivèrent dans l'un des
pays. Lorsque la nuit tomba, tout se passa comme d'habitude. Tous se lamentèrent
y compris les sages. (Ils se rendirent compte qu'ils ne seraient d'aucune aide.)
Le mendiant leur dit :
- Quoi qu'il en soit, dites-moi d'où vient cette lamentation que l'on
entend. D'où vient-elle ?
- Mais tu le sais bien !
- Oui, je le sais. Il y a deux oiseaux : un mâle et une femelle. Il n'existe
qu'un couple de ces oiseaux au monde, et la femelle a disparu. Le mâle
la cherche, et elle cherche le mâle. Cela fait longtemps qu'ils sont à
la recherche l'un de l'autre et ils se sont perdus. Ils se sont rendus compte
qu'ils ne pouvaient plus se retrouver. Ils sont restés là où
ils étaient et ont construit un nid. Le mâle a construit son nid
près de l'un des deux pays, mais pas trop près. Cependant, sa
voix porte tellement que l'on croit qu'il a fait son nid tout près du
pays et on y entend sa voix. La femelle a fait son nid près de l'autre
pays. Lorsque vient la nuit, le couple se lamente. Il se lamente à cause
d'elle, et elle se lamente à cause de lui. Ils le font avec une profonde
tristesse. Et ce sont ces lamentations que l'on entend et qui font que tout
le monde doive se lamenter et ne parvienne à dormir.
Ils ne voulurent pas le croire et ajoutèrent :
- Est-ce que tu nous conduiras là-bas, près des oiseaux ?
- Je peux vous y conduire. Mais comment pouvez-vous y aller ? Si déjà
vous ne pouvez pas supporter les lamentations et si vous êtes forcés
de vous lamenter, lorsque vous arriverez là-bas, vous ne pourrez vraiment
pas supporter les hurlements. D'autre part, lorsqu'il fait jour, la joie qui
règne là-bas est insupportable. En effet, dans la journée
tous les oiseaux se rassemblent autour du mâle et de la femelle, les consolent,
et les réjouissent avec beaucoup d'allégresse. Ils leur adressent
des paroles de consolation : " Vous allez vous retrouver. " Ils se
réjouissent, et dans la journée, la joie n'est pas supportable.
De loin, on n'entend pas les cris de joie ;on ne les entend que lorsqu'on est
tout près. En revanche, les hurlements s'entendent de loin. Vous ne pouvez
donc pas aller là-bas.
- Ne peux-tu pas arranger cela ?
- Si, je le peux, car je sais imiter tous les sons du monde. Je sais même
émettre des sons, c'est-à-dire que je suis capable de lancer ma
voix, de telle sorte que là où je suis, on ne puisse l'entendre,
mais plus loin, il est possible de l'entendre. Ainsi je peux lancer une voix
de elle à lui, c'est-à-dire que je peux imiter sa voix à
elle et la faire parvenir près de l'endroit où lui se trouve.
De même, je peux émettre sa voix à lui depuis l'endroit
où il se trouve et la faire parvenir à elle. C'est ainsi que je
vais les attirer l'un vers l'autre et tout arranger.
Mais qui aurait pu le croire ?
Il les emmena dans une forêt.
Ils entendirent comme une porte que l'on ouvre et referme, et que l'on verrouille.
Puis, le bruit d'un fusil qui tire un coup et celui d'un chien qui va chercher
le gibier et se traîne dans la neige. Ils entendirent tout cela. Ils regardèrent
mais ne virent rien. Ils n'entendirent pas le mendiant émettre quelque
son que ce fût. (Cependant le mendiant avait lancé sa voix et ils
se rendirent compte qu'il pouvait imiter tous les bruits et les envoyer quelque
part.)
(Le Rebbe n'en dit pas plus et omit volontairement une partie de l'histoire.)
Le mendiant conclut : " Par conséquent, ce pays peut attester que j ai une bonne voix et que je sais imiter tous les sons. Aujourd'hui, je vous donne en droshe geshank d'être comme moi." La joie et l'allégresse furent grandes.
Le cinquième jour ils furent joyeux. Ils se souvinrent du mendiant bossu. Ils se languirent de le faire venir, car s'il était présent, la joie redoublerait. Alors, il arriva et dit : " Je suis là. Je suis venu à votre mariage." Il courut vers eux, les étreignit et les embrassa. Puis il ajouta : " Je vous avais bénis et je vous avais souhaité d'être comme moi. Aujourd'hui je vous apporte votre droshe geshank : puissiez-vous être comme moi ! Je ne suis pas du tout bossu. Bien au contraire, j'ai de bonnes épaules qui ont la qualité du " moindre qui contient le plus " (Genèse Rabbah 5 :6). Et j'en ai la preuve :
Un jour, des gens bavardaient
et se vantaient. Chacun se vantait d'être " le moindre qui contient
le plus ". On se moqua de l'un d'entre eux, mais les paroles de chacun
des autres trouvèrent grâce à leurs yeux. Cependant je possède
cette qualité du " moindre qui contient le plus " à
un plus haut degré. L'un d'eux s'était vanté et avait dit
que son cerveau était un " moindre qui contient le plus ",
car son cerveau contenait des myriades d'hommes avec tous leurs besoins, leurs
habitudes, leurs expériences et leurs mouvements. Il portait tout cela
dans son cerveau. Il était donc un " moindre qui contient le plus
" car un petit morceau son cerveau renfermait beaucoup d'hommes et tout
ce qui les concernait. On s'était moqué de lui et on avait dit
: " Tu n'es rien et tes gens ne sont rien ! " Puis l'un d'eux déclara
: " J'ai vu un 'moindre qui contient le plus'. Un jour, je suis allé
sur une montagne qui était couverte d'ordures et de saleté. C'était
stupéfiant. Comment se faisait-il qu'il y eût tant d'ordures et
de déchets sur cette montagne ? Près de celle-ci, se trouvait
un homme qui me dit : " Tout cela vient de moi. " Il était
installé près de la montagne et y jetait tous ses déchets,
toutes ses ordures, tous les restes de ce qu'il mangeait et buvait. C'était
à cause de lui que la montagne était à ce point couverte
d'ordures et de saleté. Cet homme était donc un " moindre
qui contient le plus ", car à lui seul il produisait tant d'ordures.
Au même titre que celui qui s'est vanté que son cerveau fut un
'moindre qui contient le plus.'
Un autre se vanta aussi de posséder cette qualité. Il possédait
en effet un petit pays qui produisait beaucoup de fruits. Lorsque l'on évaluait
la quantité de fruits produite par celui-ci, on se rendait compte qu'il
n'y avait pas assez d'espace dans le pays pour la contenir. La quantité
de fruits récoltés dépassait de loin la place disponible.
C'était donc un " moindre qui contient le plus ". Son discours
fut très apprécié. Il était vraiment un " moindre
qui contient le plus ".
Un autre déclara qu'il possédait un très beau verger plein
de fruits. Beaucoup de gens et de nobles y venaient parce que il était
d'une très grande beauté. Lorsque venait l'été,
les gens et les princes venaient s'y promener en plus grand nombre encore. Et
en vérité, il n'y avait pas de place dans ce jardin pour les contenir
tous. C'était donc un " moindre qui contient le plus ". Ils
furent d'accord avec lui.
Un autre dit que sa parole était un " moindre qui contient le plus
", car il était secrétaire d'un grand roi. " Beaucoup
de gens viennent voir le roi, qui pour le louer, qui pour lui présenter
une requête, et ainsi de suite. Bien entendu, le roi ne peux pas les entendre
tous. Je résume donc tous leurs discours en quelques mots que les rapporte
au roi. Dans ces quelques mots sont inclus toutes leurs louanges, toutes leurs
requêtes et tous leurs discours. Ma parole est donc un " moindre
qui contient le plus ". "
Un autre encore dit que son silence était un " moindre qui contient
le plus ", car nombreux étaient les accusateurs et les calomniateurs
qui disaient du mal de lui. On lui cherchait querelle et l'on médisait
beaucoup sur son compte. A tout cela, il répondait par le silence. Telle
était sa seule réponse aux accusations et aux racontars colportés
à son sujet. Il répondait à tout cela par le silence. Celui-ci
était donc un 'moindre qui contient le plus'.
Un autre encore déclara qu'il était lui-même un " moindre
qui contient le plus ". En effet, il y avait un homme pauvre, aveugle,
et très grand. Quant à lui, il était au contraire très
petit et conduisait l'aveugle de grande taille. Il était donc un "
moindre qui contient le plus " car l'aveugle aurait pu glisser et tomber,
et lui, il le tenait, car il lui servait de guide. Il était donc un "
moindre qui contient le plus ", car étant petit il tenait l'aveugle
qui lui était grand de taille.
Le mendiant poursuivit son récit :
- J'étais présent et je déclarai : " Il est vrai que
vous possédez cette qualité du " moindre qui contient le
plus " et je comprends tout ce que vous avez voulu dire. Le dernier d'entre
vous, celui qui s'est vanté de conduire un aveugle très grand,
est plus grand que vous tous. Mais je le suis encore plus que chacun d'entre
vous. Celui qui s'est vanté de conduire l'aveugle, a voulu dire qu'il
conduisait le cycle lunaire. En effet, la lune s'appelle " aveugle "
car elle n'éclaire pas d'elle-même. Et lui, il conduit la lune,
bien qu'il soit petit et que le cycle lunaire soit long et fasse subsister le
monde, car le monde a besoin d'elle. Il est donc véritablement un "
moindre qui contient le plus ". Cependant, mon 'moindre qui contient le
plus' est plus grand que tous les autres. En voici la preuve :
Un jour, les membres d'une
secte s'étaient dit que chaque bête sauvage possède son
coin d'ombre, où elle désire être seule. Chaque bête
a son endroit particulier. Chacune a choisi un coin d'ombre où elle veut
se reposer. Et chaque oiseau possède sa branche. C'est sur cette branche
qu'il veut se reposer, et pas sur une autre. Chaque oiseau possède sa
branche particulière où il se repose. Alors, les gens de la secte
se sont dit qu'il devait y avoir un arbre à l'ombre duquel toutes les
bêtes prennent du repos. Elles veulent se reposer à l'ombre de
cet arbre. Et sur les branches de l'arbre se reposeraient tous les oiseaux.
Ces gens se dirent donc que cet arbre existait et ils voulurent se rendre près
de lui, car le bonheur qui régnait là-bas devait être sans
mesure. Toutes les bêtes et tous les oiseaux s'y trouvaient et ne représentaient
aucun danger. Toutes se mêlaient les unes aux autres et jouaient. Il devait
être très plaisant de se trouver au pied de cet arbre. Ils se mirent
à réfléchir à la direction à prendre pour
y arriver. Ce sujet causa des divergences entre eux et il n'y eut personne pour
trancher. L'un disait : " Il faut aller vers l'est. " L'autre disait
: " Non ! C'est vers l'ouest qu'il faut aller. " Un autre encore disait
: " Par ici ! " Un autre disait : " Par là ! " Ils
ignoraient la bonne direction pour parvenir jusqu'à l'arbre. Alors, vint
un sage qui leur dit : " De quoi parlez-vous ? De la direction à
prendre pour atteindre l'arbre ? Essayez plutôt de savoir quels seront
les hommes qui pourront y arriver ! Car tout le monde ne peut pas parvenir jusqu'à
lui. Ne peuvent réussir que ceux qui possèdent les qualités
de cet arbre. En effet, celui-ci a trois racines : la première, c'est
la foi (croire en Dieu). La seconde est la crainte, et la troisième racine
est l'humilité. Et la vérité est le tronc de l'arbre, c'est-à-dire
que l'arbre lui-même est vérité. Des branches partent de
l'arbre. C'est pourquoi nul ne peut arriver jusqu'à lui, si ce n'est
celui qui en possède les qualités : la foi, croire en Dieu ; la
crainte, craindre Dieu ; l'humilité, ne pas compter à ses propres
yeux et la vérité. "
Les membres de la secte ne possédaient pas tous ces qualités.
Mais uniquement quelques uns d'entre eux. Cependant, ils étaient tous
très unis, s'aimaient beaucoup et ne voulurent pas se séparer
les uns des autres pour qu'une partie d'entre eux seulement, ceux qui possédaient
les qualités de l'arbre, fussent à même de s'y rendre tandis
que les autres resteraient. Ils refusèrent cela car ils étaient
très liés. Il fallait seulement attendre que tous aient acquis
les qualités nécessaires pour arriver jusqu'à l'arbre.
C'est ce qu'ils firent ; ils travaillèrent beaucoup et firent nombre
d'efforts pour acquérir les qualités requises. Une fois acquises,
ils furent tous de la même opinion concernant la direction à prendre
pour arriver à leur but. Ils partirent tous et marchèrent longtemps.
Ils finirent par apercevoir l'arbre de loin. Puis ils regardèrent attentivement
: l'arbre se dressait " nulle part " ! Il n'avait pas de lieu. Et
s'il n'avait pas de lieu, comment arriver jusqu'à lui ?
J'étais avec eux et je leur dis : " Je peux vous amener jusqu'à
lui. En effet, l'arbre n'a pas de lieu car il est au-delà de l'espace
terrestre. Cependant, la caractéristique du 'moindre qui contient le
plus' fait un tant soi peu entrer en jeu la notion d'espace. Bien qu'il s'agisse
d'un 'moindre qui contient le plus', il y a quand même quelque espace.
Et ma qualité de 'moindre qui contient le plus' est tellement élevée
qu'elle se trouve à l'extrême fin de l'espace, au-delà de
quoi ou ne peut plus parler d'espace. Ainsi, je peux tous vous emmener jusqu'à
l'arbre qui est au-dessus de l'espace. " (Le mendiant bossu est une position
médiane entre l'espace et ce qui est au-delà de l'espace car il
est un 'moindre qui contient le plus' ; celui-ci est l'extrémité
de l'espace, au-dessus de quoi on ne peut plus parler d'espace. Il pouvait donc
les faire sortir de l'espace et les emmener plus haut que celui-ci.)
Je les pris et les emmenai jusqu'à l'arbre. Je peux donc prouver que
je possède bien cette qualité du 'moindre qui contient le plus'.
(C'était la raison pour laquelle il semblait être bossu, car il
portait beaucoup de choses, en sa qualité du 'moindre qui contient le
plus'.)
Aujourd'hui je vous fais ce cadeau afin que vous puissiez être comme moi.
La joie et l'allégresse furent grandes.
Le sixième jour, ils furent encore joyeux. Puis ils se languirent de faire venir le mendiant qui n'avait pas de mains. Alors, il entra et dit : " Je suis là ! Je suis venu à votre mariage ", et il leur dit la même chose que les autres, se précipita vers eux et les embrassa, et ajouta : " Vous pensez que je suis infirme, à cause de mes mains. Il n'en est rien. J'ai de la force dans les mains, mais je ne l'utilise pas en ce monde, car j'en ai besoin pour autre chose, et le Château des Eaux peut en attester :
Un jour, quelques hommes
et moi étions réunis. Chacun vantait la force de ses mains. Celui-ci
se vantait d'avoir telle puissance dans ses mains ; celui-là de telle
autre puissance. Ainsi, chacun vantait la puissance de ses mains. Par exemple,
celui-ci se vantait d'avoir certains pouvoirs et certaine puissance capables
de faire revenir vers lui une flèche après qu'il l'eût lancée.
Bien que la flèche ait été lancée, il pouvait la
faire revenir et la rapporter, tellement ses mains étaient fortes. Je
lui demandai : " Quelle sorte de flèche peux-tu faire revenir ?"
En effet, il existe dix sortes de flèches différentes, car il
y a dix sortes de poisons. Lorsqu'on lance une flèche, on l'enduit auparavant
de poison. Et il existe dix sortes de poisons pour les enduire. Lorsqu'on enduit
la flèche d'un poison, celle-ci est dangereuse à un certain degré
; lorsqu'on l'enduit d'un autre poison, elle est dangereuse à un autre
degré. Il en est ainsi pour les dix sortes de poisons. Chacun est plus
mauvais que l'autre, plus dangereux.
Le mendiant lui demanda donc quelle sorte de flèche il pouvait faire
revenir. Il lui demanda aussi s'il pouvait faire revenir la flèche avant
qu'elle n'eût atteint la cible. Et il dit : " Mais quelle sorte de
flèche peux-tu faire revenir ?" L'autre lui répondit : "
Je peux faire revenir telle sorte et telle sorte ".
Le mendiant poursuivit : Je lui dis alors : " Tu ne peux pas guérir
la Princesse. Si tu ne peux faire revenir qu'une sorte de flèche, tu
ne peux pas la guérir. "
Un autre se vantait d'avoir de tels pouvoirs dans les mains, que lorsqu'il prenait
quelque chose à quelqu'un, il pouvait le lui rendre. Il devait être
très charitable. Je lui demandai : " Quelle sorte de charité
fais-tu ? " Il me répondit qu'il donnait la dîme. Je m'écriai
: " Si c'est ainsi, tu ne peux pas guérir la Princesse, car tu ne
peux pas arriver à son lieu. En effet, tu ne donnes que la dîme
et tu ne peux donc franchir qu'un seul rempart. Par conséquent, tu ne
peux pas arriver jusqu'à elle. "
Un autre se vantait d'avoir d'autres pouvoirs. Il y a dans le monde des gouverneurs,
des gens haut placés qui dirigent une ville ou un pays. Chacun a besoin
de sagesse. " J'ai de tels pouvoirs dans les mains que je peux accorder
de la sagesse à ces hommes en apposant mes mains sur eux. " Je lui
demandai : " Etant donné qu'il y a dix mesures de sagesse (Berachot
22a), quelle sorte de sagesse peux-tu accorder grâce à tes mains
? " Il répondit : " Je peux accorder telle et telle sagesse."
Je m'écriai : " Tu ne peux donc pas guérir la Princesse.
En effet, tu ne saurais connaître son pouls car il y en a dix sortes.
Tu es en mesure de n'en connaître qu'une sorte, car tu ne peux accorder
qu'une sorte de sagesse grâce à tes mains. "
Un autre se vantait d'avoir certains pouvoirs. De ces mains, il pouvait arrêter
une tempête. Il pouvait saisir le vent, le stopper, le contrôler
et faire en sorte que le vent soufflât comme il le fallait, avec mesure.
Je lui demandai : " Quelle sorte de vent peux-tu saisir avec tes mains
? Il y a dix vents différents. " Il répondit : " Tel
et tel vent. " Je m'écriai : " Tu ne peux donc pas guérir
la Princesse, car tu ne peux pas lui jouer la mélodie. En effet, il y
a dix sortes de mélodies et la guérison de la Princesse dépend
des mélodies. Et tu ne peux lui en jouer qu'une. " Tout le monde
s'écria : " Que peux-tu faire ? " Je répondis : "
Je peux tout ce que vous ne pouvez pas. Les neuf choses que vous ne pouvez accomplir,
je peux, moi, les accomplir. Voici l'histoire :
Il était une fois
un roi qui désirait une princesse Il se donna beaucoup de mal pour imaginer
des stratagèmes afin de s'emparer d'elle. Finalement, il y réussit.
Elle vécut chez lui. Un jour, le roi rêva que la Princesse se révoltait
et le tuait. Il se réveilla mais le rêve resta gravé dans
son cur. Il fit venir tous les interprètes de songes. Ils interprétèrent
son rêve littéralement c'est-à-dire que le rêve se
réaliserait, la Princesse allait tuer le roi.
Le roi ne ignorait quoi faire, comment agir avec elle. La tuer ? Il en aurait
trop de douleur. L'exiler ? Cela le rendrait triste, car un autre la prendrait
et i1 en serait très peiné car il avait fait beaucoup d'efforts
pour s'emparer d'elle et maintenant elle irait vers un autre. D'autre part,
s'il la délivrait et si elle allait vers un autre, le rêve se réaliserait
sûrement et elle viendrait le tuer. Il avait peur du rêve, et s'il
la gardait auprès de lui, elle le tuerait peut-être. Il ne savait
que faire. Puis son amour s'amenuisa petit à petit à cause du
rêve. Il ne l'aimait plus comme avant. Son amour se diminuait de plus
en plus. De son côté, elle l'aimait de moins en moins, et finit
par le haïr. Elle s'enfuit de chez lui. Le roi envoya des hommes à
sa recherche. Quelqu'un arriva et dit au roi qu'elle se trouvait près
du Château des Eaux.
Il existe un château construit avec de l'eau. Il y a aussi dix remparts,
les uns dans les autres, qui sont tous faits en eau. Le sol sur lequel on marche,
ainsi que le jardin, les arbres et les fruits, sont aussi faits en eau. Tout
est en eau. On ne peut décrire la beauté et l'aspect merveilleux
du Château, tellement il est extraordinaire. Le Château tout entier
est en eau. Bien sûr, on ne peut pas y entrer, car on se noierait, puisque
le Château tout entier est en eau. Après s'être enfuie, la
Princesse était arrivée au Château. Elle avait marché
tout autour.
On avait donc dit au roi qu'elle se trouvait quelque part près du Château
des Eaux. Le roi se mit en route avec toutes ses armées pour s'emparer
d'elle. Lorsque la Princesse les aperçut, elle décida de s'enfuir
dans le Château, quitte à se noyer, plutôt que de tomber
entre les mains du roi et de lui appartenir. Peut-être pourrait-elle se
sauver et s'enfermer dans le Château des Eaux. Lorsque le roi la vit s'enfuir
dans le Château des Eaux, il dit : " Ah, c'est comme ca ? ",
et il ordonna à ses hommes de tirer sur elle, et si elle devait mourir,
qu'elle meure ! On tira sur elle et elle fut atteinte par les dix sortes de
flèches enduites des dix sortes de poisons. La Princesse s'enfuit dans
le Château des Eaux et y pénétra. Elle franchit toutes les
portes des remparts d'eau, car il y avait des portes dans ceux-ci. Elle les
franchit toutes. Elle fut ainsi à l'intérieur du Château
des Eaux. Elle tomba et resta là-bas, malade. "
Le mendiant poursuivit son récit : " Je la guéris. Celui
qui n'a pas dans ses mains les dix sortes de charité ne peut pas franchir
les dix remparts du Château des Eaux, car il pourrait s'y noyer. Le roi
et ses hommes pourchassèrent la Princesse et se noyèrent tous.
Et moi, je puis franchir les dix remparts du Château des Eaux. Ces derniers
sont les dix vagues de la mer et celles-ci se dressent comme des remparts. Et
les vents les supportent et les font se soulever. Et les vagues, qui sont les
dix remparts, se dressent toujours là-bas car les vents soutiennent et
font se soulever les vagues. Je puis franchir les dix remparts du Château
des Eaux et je peux extraire de la Princesse les dix flèches différentes.
Je connais les dix sortes de pouls grâce aux dix doigts, car grâce
à chacun d'entre eux on peut connaître chaque pouls en particulier.
Et je puis guérir la Princesse grâce aux dix mélodies différentes,
car sa guérison dépend des mélodies. C'est pourquoi je
guéris la Princesse. J'ai donc de grands pouvoirs dans les mains. Aujourd'hui
je vous fais ce cadeau. "
La joie fut immense et tous furent joyeux.
Il m'est pénible
de raconter cette histoire. Mais j'ai commencé à la raconter.
je dois continuer. Dans cette histoire, il n'est pas un mot qui n'ait quelque
intention. Celui qui connaît bien les livres saints peut comprendre un
peu et appréhender. Les flèches dont l'un se vante de pouvoir
les faire revenir vers lui sont citées dans le verset (Deut.32 :4l) :
" Quand ma main s'armera du châtiment ". La charité qui
correspond aux remparts d'eau, on en parle dans le verset (Is. 48:18) : "
Et ton bonheur comme les flots de la mer ". Les dix sortes de pouls et
les dix sortes de mélodies sont citées dans le Zohar (Tikouney
Zohar, Tikoun 69). Mais qui, quand, quoi...
Le Rebbe (Rabbi Na'hman) n'a pas parlé plus avant. Il voulait dire :
qui sont-ils tous, quand cela s'est-il passé, et qu'est ce que cela signifie...
On ne peut pas le savoir.
La suite de l'histoire, ce qui est arrivé le septième jour avec
le mendiant qui n'avait pas de pieds, ainsi que la suite de l'histoire du prince,
par laquelle il avait commencé, il ne les a pas racontées et il
a dit qu'il ne les raconterait pas et que l'on n'entendrait pas la fin avant
que ne vienne le Messie, bientôt et de nos jours, amen.
Il a dit aussi : " Si je ne savais rien d'autre que cette histoire, je
serais quand même une 'grande nouveauté', car cette histoire est
extraordinaire. Elle renferme beaucoup de moussar, beaucoup de Torah, car elle
contient de nombreux enseignements. Elle parle d'un grand nombre des premiers
Tsadikim, comme le Roi David, alav hashalom ". En effet, le Roi David se
tenait à une extrémité du monde, et il a crié vers
la source qui coule près de la pierre sur la montagne, comme dans l'histoire.
En effet, il est dit dans les Psaumes (61 :3) : " De l'extrémité
du pays je crie vers toi, alors que mon cur tombe en défaillance
: puisses-tu me mener sur un rocher qui domine de haut ! " Le thème
de David appartient au troisième jour, où l'on parle du cur
et de la source.
Cette histoire renferme de grands secrets de la Torah. Du début à
la fin, toutes les histoires de ce livre renferment de grands secrets de la
Torah. Chaque mot, chaque sujet a une signification autre. Et cette histoire
est la plus grande de toutes.